Depuis le début de l’invasion en Ukraine, les journaux télévisés ne cessent de montrer des images de blindés russes détruits, abandonnés ou capturés. Qu’en est-il réellement ?
Tout d’abord, il convient de préciser que l’on parle de véhicules blindés en général. Si les journalistes utilisent parfois le terme « char » pour décrire tout véhicule militaire, ce terme ne s’applique correctement qu’aux véhicules à chenilles dont la fonction principale est de combattre d’autres chars. Il existe de nombreux autres véhicules de combat blindés, allant des véhicules de reconnaissance aux canons autopropulsés en passant par les véhicules de transport d’infanterie. Les chars d’assaut ne représentent qu’une fraction des effectifs et de la puissance de combat.
Avant l’invasion en Ukraine, les estimations réalisées par les services de renseignement américains indiquaient que les forces russes comptaient environ 120 groupes tactiques de bataillons, ou GTB. Un GTB est un groupement tactique capable d’opérer de manière indépendante, une force autonome d’armes comprenant des chars, de l’infanterie, de l’artillerie, des défenses aériennes ainsi que des installations de logistique, de maintenance et de soutien. L’armée russe dans son ensemble pourrait compter près de 160 GTB au total.
Un GTB est composé d’une compagnie de dix chars et de trois compagnies d’infanterie. Celles-ci comprennent généralement une compagnie avec dix véhicules d’infanterie chenillés BMP et deux compagnies avec dix véhicules de transport de troupes à roues BTR. Cela donne un total de 40 véhicules blindés en première ligne. Ainsi, 40 véhicules blindés multipliés par 120 GTB donnent un total de 4800 véhicules de combat blindés.
Cependant, les soldats armés de fusils ne représentent pas la principale source de la puissance de feu du GTB. En effet, ils sont assistés par un peloton de trois véhicules armés de lance-grenades automatiques, et par un autre peloton de soutien avec cinq véhicules antichars.
Derrière eux se trouve un imposant dispositif d’artillerie : généralement trois batteries de deux canons automoteurs de 152 mm, deux batteries de trois roquettes à lancement multiple avec des véhicules de rechargement, et deux batteries de trois mortiers lourds de 120 mm. L’artillerie, que Staline appelait le « Dieu de la guerre », est susceptible d’infliger davantage de pertes que les troupes de première ligne.
Selon le gouvernement ukrainien, les pertes s’élevaient à 374 chars et 1226 autres véhicules de combat blindés, soit un total de 1600 véhicules perdus.
Le GTB dispose également de ses propres moyens de défenses aériennes, sous la forme de trois véhicules de transport de troupes transportant des équipes de missiles portables, plus deux batteries de trois lanceurs de missiles sol-air mobiles avec leurs véhicules de contrôle et de radar.
Il faut encore ajouter à cela une section de reconnaissance, une unité de récupération avec cinq véhicules chenillés pour remorquer les blindés en panne, plus trois véhicules de commandement et de quartier général, et le nombre total de véhicules blindés dans un GTB est d’environ 85. Les chiffres peuvent varier, car certains GTB disposent de mortiers et d’artillerie autopropulsés tandis que d’autres possèdent des armes plus anciennes tractées par des camions.
En plus des véhicules blindés, un GTB dispose également d’un soutien important constitué de 11 camions de munitions, de cinq camions-citernes pour le carburant, de quatre ambulances pour le champ de bataille et de cinq véhicules de maintenance et de réparation. Le total s’élève généralement à 57 véhicules non blindés.
Si tous les GTB étaient au complet, cela porterait le total de véhicules blindés à 10 200. Il existe quelques véhicules supplémentaires à des niveaux de commandement plus élevés : des unités d’artillerie et de défenses aériennes, plus un certain nombre d’autres unités telles que les forces séparatistes irrégulières. Cependant, ces 10 200 véhicules représentent vraisemblablement l’essentiel des blindés russes.
En outre, cela suppose que chaque GTB est à 100 % de sa force de combat, ce qui n’a jamais été le cas historiquement. Si l’on remonte à l’époque romaine, l’on constate que si, sur le papier, une légion comptait 5000 hommes (à l’époque de Jules César), le nombre réel était plutôt de 3500. Pour toute armée, l’effectif complet est un idéal théorique qui est rarement, voire jamais, atteint dans la réalité.
Il arrive que certaines armées atteignent 90 % de leur effectif officiel, mais dans la pratique, de nombreux véhicules ne sont pas utilisables, ou ont été prêtés pour comblet un manque sur un autre front, ou encore une unité est en attente de nouveaux équipements. En 2016, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a affirmé que les unités de chars russes possédaient un taux d’aptitude au service de 94 %, ce qui signifie que la plupart de ces unités seraient prêtes à combattre à tout moment. Ce taux a été largement considéré comme une exagération. Aux États-Unis, les unités de M-1 Abrams dans les années 1980 visaient les 90 % d’aptitude au service, mais ce taux a parfois sombré jusqu’à 54 %.
Le nombre réel de véhicules blindés sur le terrain en Ukraine pourrait donc être légèrement inférieur au nombre théorique. Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait que la Russie dispose de nombreux équipements militaires anciens ou obsolètes stockés dans des parcs automobiles ou des entrepôts, qui peuvent être utilisés pour combler les lacunes ou réactivés et envoyés au combat pour remplacer les pertes (cela suppose qu’il y ait encore des équipages pour les faire fonctionner). Selon certaines estimations, les forces russes comptent 12 420 chars et 36 000 autres véhicules blindés. L’International Institute for Strategic Studies (IISS) estime que la Russie dispose de plus de 10 000 chars en stock et de nombreux autres véhicules.
Toutefois, ce chiffre inclut des milliers d’anciens modèles de T-72, dont certains ont environ 50 ans. L’on peut se demander quelle serait leur efficacité sur le champ de bataille moderne, en dehors des problèmes de maintenance et de la question de savoir combien sont encore en état de fonctionner. La Russie semble rencontrer des problèmes d’entretien chroniques, comme en témoigne le grand nombre de véhicules abandonnés, dont certains sont remorqués par des tracteurs agricoles ukrainiens. Tout cela donne au moins une idée de ce à quoi l’Ukraine doit faire face.
Oryx, un site de renseignement de source ouverte dirigé par l’analyste Stijn Mitzer, documente minutieusement chaque photographie confirmée d’une perte russe. Lundi 14 mars, l’on dénombrait 204 chars et 406 autres véhicules blindés de perdus, soit un total de 610 pertes.
Le ministère américain de la Défense a estimé que la Russie perdait environ 50 véhicules par jour. Le 8 mars, il a évalué les pertes russes à « 8-10 % des actifs militaires. » Dimanche 13 mars, il a estimé que les pertes totales de véhicules s’élevaient à 184 chars et plus de 380 autres véhicules blindés (soit un total de 564 véhicules perdus).
Comme l’on pouvait s’y attendre, l’Ukraine affirme que les Russes ont subi des pertes plus importantes. Selon le gouvernement ukrainien, au 14 mars les pertes s’élevaient à 374 chars et 1226 autres véhicules de combat blindés, soit un total de 1600 véhicules perdus.
Le chiffre réel des pertes est probablement supérieur aux estimations d’Oryx et inférieur à l’affirmation optimiste de l’Ukraine, de sorte que l’estimation américaine de 8-10 % est sûrement exacte. L’armée américaine considère que 30 % de pertes sont suffisantes pour détruire efficacement un GTB, mais les commandants font tourner les unités et les retirent de la ligne de front pour éviter qu’un GTB ne s’effondre.
Il n’y a tout simplement aucune comparaison possible avec d’autres guerres. Durant les neuf années de l’occupation de l’Afghanistan, les Soviétiques ont perdu 147 chars et 1314 autres véhicules blindés, soit moins de 1500 au total, avant d’avoir dû se retirer.
Le succès de l’Ukraine jusqu’à présent encouragera les alliés à fournir encore plus d’armes antichars aux Ukrainiens, en plus des 20 000 déjà promises ou livrées. Un responsable des opérations spéciales américaines chargé de suivre le conflit a estimé qu’environ 300 missiles Javelin tirés avaient détruit 280 véhicules. Cette estimation est peut-être optimiste, mais elle donne une idée de l’efficacité de ces armes.
La réponse russe n’a pas tardé à voir le jour. Plutôt que d’envoyer des troupes dans les zones habitées où les combats risquent d’être intenses, les forces russes ont commencé à bombarder ces zones avec des roquettes, de l’artillerie et des frappes aériennes. Ces opérations ont peu d’effet sur le plan militaire, mais causent d’horribles pertes civiles et visent à briser le moral des Ukrainiens sans trop de pertes russes. La même approche pourrait finalement pousser la Russie à utiliser des armes chimiques.
La guerre est toujours imprévisible et la situation peut changer rapidement. La résistance de l’Ukraine met à mal la machine de guerre russe, qui répond avec une brutalité de plus en plus féroce. Les semaines à venir risquent d’être marquées par de lourdes pertes dans les deux camps. Une chose est sûre : la Russie ne peut pas continuer à maintenir ce niveau de pertes éternellement.
Article traduit de Forbes US – Auteur : David Hambling
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