Chaque mois, Forbes France vous fait découvrir une personnalité du monde de la musique. De ceux et celles qui font surgir les talents. Nous vous proposons une rencontre avec Edwin Clément, archetier et meilleur ouvrier de France. Il nous raconte son incroyable métier… Tout commence avec le Pernambouc ! Entretien réalisé par Florence Petros
Il arrive que des décisions politiques inconsidérées interrompent brutalement, au nom d’intérêts de court terme et de politique d’image, des traditions anciennes essentielles. Il arrive aussi que des personnes se lèvent et combattent jusqu’au succès ces décisions. C’est le cas d’Edwin Clément, meilleur ouvrier de France, l’un des spécialistes mondiaux des archets, qui a su rassembler autour de lui les forces nécessaires à l’interruption d’une folie politicienne. Son énergie, celle qu’il applique aux pièces uniques qu’il fait naître, il la tire de sa religion pour la beauté, il la puise dans sa conviction de la nécessité d’une forme d’extension du sacré à la confection des instruments de musique les plus essentiels.
Pourriez-vous nous décrire en quelques mots votre métier d’archetier ?
Il fait partie de la grande famille des métiers de la facture instrumentale dont les savoir-faire sont souvent séculaires. L’archèterie moderne proprement dite est née au milieu du 18ème siècle en s’émancipant des ateliers de lutherie où les archets baroques et classiques étaient construits.
La musique à cordes frottées a beaucoup évolué durant cette période et le métier d’archetier a accompagné cette transformation. Celui-ci s’est créé au carrefour de nombreux autres artisanats d’art, tels que l’ébénisterie, l’orfèvrerie, l’horlogerie, le travail nacrier.
Il faut noter que l’abolition des corporations durant la période révolutionnaire y a grandement contribué : il était par exemple interdit sous l’ancien régime à un orfèvre de travailler le bois et a contrario à un ébéniste de travailler les métaux précieux.
L’apprentissage du métier est long, parfois fastidieux car il faut maîtriser le façonnage de nombreux matériaux dont le principal est le bois de pernambouc, emblématique à notre profession à bien des égards. La baguette en elle-même est fabriquée d’une seule pièce avec ce bois originaire de la forêt atlantique du Brésil.
Edwin Clément : J’aime utiliser l’image viticole. Sans vigne, pas de vin ; sans pernambouc pas d’orchestre.
Est-il le bois unique utilisé dans l’archèterie moderne ?
Il est en tous les cas, par ses immenses qualités de résistance, de densité et surtout de sonorité le bois qui a permis de développer le jeu des musiciens depuis plus de 250 ans. Il possède une variété incroyable de caractéristiques qui contribuent, dans le paradoxe d’uniformisation du jeu du violon et du violoncelle depuis le début du 19ème siècle, à créer une importante diversité et à adapter l’archet à chaque musicien. C’est avec ce prolongement de la main droite qu’est l’archet que les musiciens expriment leur transmission de la partition musicale.
De plus, l’histoire de ce bois est d’une telle richesse qu’elle raconte d’une certaine manière l’histoire de notre civilisation depuis 500 ans.
Vous parlez de sonorité du bois de pernambouc ?
EC : Il faut savoir que la sonorité des instruments à cordes frottées provient pour une partie importante, quasi essentielle, de l’archet et donc du bois de pernambouc. Je laisserai aux scientifiques le soin d’en calculer le pourcentage. J’aime utiliser l’image viticole. Sans vigne, pas de vin ; sans pernambouc pas d’orchestre.
Si je comprends bien vos explications, l’archetier crée un archet pour donner sa voix à un musicien ?
En quelque sorte. C’est avant tout, en ce qui me concerne, un métier de rencontre. Je travaille sur-mesure à la demande d’un musicien ou d’un ensemble comme un quatuor pour favoriser sa sensibilité musicale avec sa physionomie (le corps de chacun est différent !) en accord avec son instrument, également unique. Je crée un lien, le troisième côté du triangle. On peut aussi imaginer un cercle formé par le bras droit, l’archet, la corde, l’instrument et le corps de l’instrumentiste.
Vous avez été récemment très actif sur le problème du Pernambouc qui a été au cœur de l’actualité musicale cet automne dernier. Pourriez-vous nous rappeler quels étaient les enjeux de cette actualité ?
Il faut savoir que l’utilisation du bois de pernambouc est réglementée par la Convention de Washington sur le commerce des espèces en danger depuis 2007. Le Brésil avait demandé l’adoption d’un amendement encore plus sévère qui aurait contraint son utilisation de manière telle qu’il aurait proscrit à terme son usage et donc compromis de manière irrémédiable l’avenir de notre métier et la qualité de transmission de la musique.
Vous dites qu’il est classé dans les espèces menacées. Quel péril pèse-t-il sur son existence ?
Le péril principal est la disparition de son aire de répartition naturelle. Le Brésil a développé son économie sur sa bande côtière et la forêt atlantique a été coupée et remplacée par des cultures intensives de soja, d’eucalyptus, d’élevage, etc.… plus rentables à court terme. Cette situation se retrouve dans de nombreux endroits du monde.
La profession ne s’était-elle pas engagée dans la protection de sa ressource ?
La profession a pris la mesure de cet état de fait il y a plus de 20 ans. A travers le programme de l’IPCI (International Pernambouco Conservation Initiative) dont je suis un membre fondateur, nous avons mis en place des actions avec des partenaires publics et privés brésiliens visant à l’étude, la préservation et la replantation de pernambouc, plus 300 000 arbres. L’enjeu était que la demande récente du gouvernement du Brésil empêchait purement et simplement à l’avenir l’utilisation des bois de replantation, faisant fi de la préservation au contraire permise par le travail accompli par l’IPCI.
Quelle leçon tirez- vous de cette confrontation dont le déroulement a eu lieu au mois de novembre à la Cop19, rassemblant à Panama tous les pays signataires de la CITES(*) ?
homme détruit sans vergogne et pense que le progrès qu’il a défini comme tel peut tout remplacer. L’archèterie d’art a encore une existence économique aujourd’hui car l’utilisation de sa production concerne principalement un public de musiciens professionnels qui la considèrent unanimement comme irremplaçable. Beaucoup d’autres métiers d’art n’ont pas cette chance. Nous sommes au cœur de ce j’appellerais la civilisation de la main et de son intelligence. L’émotion que le spectateur reçoit des arts, qu’ils soient picturaux, musicaux ou architecturaux, provient en grande partie de la main guidée par un esprit artistique. Notre époque range les beaux-arts au musée. J’ai personnellement l’immense privilège de les vivre au quotidien : sculpter pour engendrer la résonance. Cette résonance est véhiculée par le corps avec les plus beaux matériaux que la nature nous ait donnés. J’utilise mes rabots comme le danseur utilise son corps. J’ai en mémoire l’image du pied de Noureev photographié à la fin de sa carrière, un pied abimé, calleux, déformé, marqué par le travail d’une vie pour nous donner le meilleur de lui-même.
Quels sont vos derniers coups de cœur artistique ?
Dans le domaine de l’interprétation musicale, j’ai une grande admiration pour le violoniste Augustin Hadelich. Sa musicalité, sa sonorité et sa virtuosité élégante apportent une fraîcheur et une profondeur qui rappellent le parfum des grands violonistes du XXème siècle. Peut-être parce que les résonances de son violon ne sont pas freinées par l’épaulière artificielle qui a beaucoup changé le jeu des instrumentistes depuis les années 1980. Dans le domaine de la littérature, je ne peux que recommander, pour ceux qui aiment les grands espaces préservés de notre pays, la lecture du « Cantique de l’Infinistère » de François Cassingena-Trévedy. Moine bénédictin et marcheur, il évoque avec une plume poétique exceptionnelle sa traversée du Cézallier qu’il baptise Infinistère, là où dans le silence des grands vents de l’Auvergne le Ciel rencontre la Terre ou… vice-versa.
(*) Convention International for the trade of endangered species.
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