Baisse de niveau sans précédent, inégalités toujours plus fortes, impact de l’intelligence artificielle… Notre système éducatif fait face à des défis inédits que l’éducation nationale ne peut relever seule. Pour de nombreux parents, le recours au soutien scolaire apparaît alors comme une solution indispensable à la réussite de leurs enfants. Pourtant, ce marché majoritairement basé sur des modèles obsolètes est loin de répondre à leurs attentes et reste profondément inégalitaire. Pour permettre un accès à l’éducation réellement équitable, il doit se réinventer.
Une contribution d’Etienne Porche, co-fondateur et CEO Les Sherpas
L’école de la République est en crise
Pour l’école publique, tous les voyants sont au rouge. Tandis que la France dégringole au classement Pisa, les Français sont désormais plus de 67% à estimer que l’école reproduit les inégalités et n’assure pas les mêmes chances de réussite à tous les élèves (Sondage IFOP, juin 2023). Une situation de crise dans laquelle la sélection croissante et de plus en plus précoce des élèves joue sans doute un rôle déterminant : 90% d’une classe d’âge décroche à présent le baccalauréat, mais la suite des parcours éducatifs est plus incertaine et repose sur des dynamiques de sélection présentes dès les premières années du lycée. En 2023, seul un étudiant sur deux avait ainsi reçu une réponse favorable sur Parcoursup correspondant à ses vœux prioritaires et seulement 24% des étudiants jugeaient la plateforme équitable selon le Baromètre l’Étudiant-BVA. La crise du COVID-19 a également considérablement aggravé la situation d’un système déjà mal en point. La « génération COVID » a accumulé les lacunes au cours de quasiment deux années de pandémie pendant lesquelles l’accès à des cours de qualité était rare. Enfin, l’arrivée de l’intelligence artificielle, loin d’égaliser le rapport au savoir, tend au contraire à transformer les attentes des institutions scolaires et universitaires au détriment des élèves ayant accumulé du retard. Le travail de compilation et de restitution des cours est ainsi largement dévalorisé au profit des capacités de réflexion originale et d’esprit critique, moins susceptibles d’être reproduites par l’IA.
Le soutien scolaire n’est pas un truc de riche
Dans ce contexte, la demande en matière de soutien scolaire n’a jamais été aussi forte. Ce marché qui représente déjà un chiffre d’affaires de plus de deux milliards d’euros par an connaît une croissance continue d’environ 10% par an. Cet engouement n’est pas le fait exclusif des classes supérieures comme on le suppose habituellement : les classes moyennes sont celles qui investissent le plus massivement dans l’éducation de leurs enfants en proportion de leur revenu. Une stratégie souvent inaccessible aux familles de classes populaires qui en auraient pourtant le plus besoin : selon l’Observatoire des inégalités, 28% des élèves issus des milieux populaires sont sujets au décrochage scolaire contre 7 % pour les enfants de cadres. Le soutien scolaire tel qu’il est conçu aujourd’hui ne permet donc pas de remédier à ces inégalités et 31,1% des élèves français interrogés par l’UNICEF en 2021 affirmaient ne pas pouvoir être aidés à l’école s’ils étaient en difficulté pour comprendre ou faire leurs devoirs. Cette situation est d’autant plus inéquitable que le soutien scolaire est largement subventionné par le biais d’un crédit d’impôt. Un subventionnement utilisé par les principaux acteurs du soutien scolaire comme moyen de maximiser leurs marges en affichant des prix calculés après déduction et en encourageant leurs clients à consommer leur crédit d’impôt, lequel pourrait leur être utile pour d’autres dépenses.
Un modèle social et pédagogique problématique
L’accompagnement scolaire repose ainsi majoritairement sur un système hyper subventionné qui biaise la libre concurrence en défaveur du consommateur. Une situation qui ne permet pourtant pas aux parents d’élèves d’avoir accès à des prestations de qualité ni aux professeurs particuliers d’être payés décemment. Qu’ils soient directement missionnés par une agence d’accompagnement scolaire ou simplement mis en relation par le biais d’une plateforme, les professeurs particuliers sont en effet majoritairement très mal payés par des entreprises pratiquant des marges extrêmement élevées. Pour les parents, l’équation n’est pas gagnante non plus : ceux-ci paient le prix fort pour des mises en relations incertaines avec des personnes majeures non supervisées et des cours d’enseignants non sélectionnés et faiblement rémunérés donc parfois peu motivés.
Construire un soutien scolaire équitable et sur mesure
Les parents d’élèves se trouvent ainsi entre le marteau et l’enclume : d’un côté un système public de plus en plus sélectif et de l’autre un soutien scolaire de faible qualité pour un prix excessif. Dans ce contexte, il est urgent de réinventer un modèle d’accompagnement équitable et conçu en complémentarité avec l’éducation commune reçue à l’école. Face à l’impossibilité pour les professeurs de l’éducation nationale d’assurer un suivi individualisé, le soutien scolaire doit être un espace propice à des efforts sur mesure et tirant parti de la souplesse d’une telle proximité pour offrir des cours plus proches du quotidien des élèves. Dans cette optique, il est d’abord nécessaire d’assurer une sélection des professeurs particuliers en fonction des besoins de chacun, mais aussi de leur permettre de toucher une juste rémunération. Cette exigence éthique doit s’accompagner d’une baisse significative des marges pratiquées dans cette industrie pour la rendre véritablement accessible à tous. Enfin, l’égalité doit également être géographique : les territoires ruraux font face à une inégalité profonde en matière d’accès aux professeurs particuliers et les cours à distance constituent l’unique option permettant de relever ce défi, ils devraient donc faire l’objet de crédits d’impôt au même titre que les cours présentiels.
L’éducation nationale est un pilier de l’égalité républicaine et les professeurs du secteur public réalisent un travail inestimable pour tenter de relever les défis qui touchent cette institution. Le soutien scolaire devrait être conçu comme une chance pour permettre à chacun de disposer d’un accompagnement complémentaire personnalisé et ainsi donner les mêmes chances de réussite à tous les élèves. Mais pour cela, il devra être entièrement refondé sur des bases d’attention aux besoins de chacun et d’équité.
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