Plus de 4000 enseignants manqueront à l’appel à la rentrée 2022. À cela s’ajoute un taux de contractuels passé en 5 ans de 14,5% à 22%. Résultat, des dizaines de milliers d’élèves seront face à des enseignants novices, qui découvriront la réalité d’un quotidien sûrement bien différent de ce qu’ils imaginaient. Un quotidien qui en 2022 n’appartient plus au monde d’avant et qui sera éloigné de l’expérience vécue ou fantasmée.
Les enseignants doivent “apprendre à habiter des rôles professionnels” (L.Ria) qui dépassent le cadre de l’enseignement en classe. L’enseignant coordonne des projets, pilote des expérimentations et gère des partenariats. Et même dans le cadre de la classe les révolutions à opérer donnent le vertige tant la recherche en neurosciences a fait bouger les lignes.
Il s’agit de changements de paradigmes majeurs qui interrogent les représentations de la profession.
Des élèves reconnus pour ce qu’ils sont
La flexibilité pédagogique et la différenciation ne sont plus aujourd’hui des options. Penser que l’homogénéité existe ou qu’il est possible d’en créer les conditions est un leurre. Chaque élève arrive à l’école avec une variété d’expériences, de sujets d’intérêt et de forces… La reconnaissance de qui il est fait pleinement partie de la mission de l’enseignant. Les parents le savent. Ils s’attendent à ce que les professeurs personnalisent leur approche, qu’ils aident et soutiennent leur enfant. Le plus souvent, les enseignants en début de carrière, préoccupés majoritairement par la gestion de classe et des programmes, ne seront pas à même de découvrir les élèves avec qui ils vont vivre une année durant. Et pourtant, la reconnaissance de cette diversité est indispensable dans la construction d’un collectif de classe. Les enseignants mettront du temps à ajuster leurs approches. La nécessité d’avoir un plan B ou C pour les cas où le plan A ne fonctionne pas et la capacité de savoir lequel mettre en œuvre prendra du temps.
Pourquoi ?
D’abord parce que changer de plan va nécessiter de comprendre le contexte pour savoir quelle stratégie utiliser. Ensuite la personnalité des élèves, le moment de la séquence et l’avancée du groupe sont aussi des facteurs clés à prendre en compte. L’outillage mérite d’être conséquent et préalablement expérimenté. Le croisement de tous ces facteurs permet le bon fonctionnement de la classe. A bien y réfléchir, l’enseignant est un “data center” à lui tout seul qui traite les informations, croise de multiples données en permanence pour ajuster et prendre les bonnes décisions.
Une contextualisation nécessaire
Chaque enseignant pense des situations d’apprentissage le plus souvent authentiques en lien avec le milieu dans lequel évoluent les élèves et leurs parents. Il s’agit de donner du sens et permettre aux élèves de projeter les contenus scolaires sur le monde qui les entoure [1]. Lille n’est pas Paris qui n’est pas Bénodet ou Saint-Sulpice et faire cours de SVT, d’histoire-géographie ou de français, nécessitera d’y inclure une réalité locale. L’architecture, le relief, la faune, la flore, l’économie locale,… sont autant d’éléments que l’enseignant va devoir raccorder aux programmes pour leur donner corps et vie. L’enseignant d’histoire en Moselle ne pourra manquer de relater en parallèle de la Rafle du Vel d’Hiv, celle de la rafle manquée de Nancy. Ce qui implique aussi de construire ses ressources pédagogiques propres en complément de celle des manuels.
Des disciplines élargies
De nouvelles attentes à l’égard du système éducatif ont vu le jour ces dernières années. Elles sont fortement liées au contexte social et politique. En découlent des modifications notables sur les programmes comme en témoigne l’éducation à l’environnement, aux médias et à l’information, à la citoyenneté, à la santé, à l’égalité filles/garçons…
Toutes ces « éducations à » appartiennent à chaque niveau et discipline qui doit s’en emparer pour résonner avec ce que le monde advient. Ces évolutions sont des avancées majeures mais qui demandent aux enseignants de tisser des liens et construire des ponts avec les différentes disciplines. Là aussi un exercice parfois d’équilibriste s’avère nécessaire pour des prises de conscience à effectuer avec tact et discernement.
Des partenariats pour ouvrir le champ des possibles
L’école s’ouvre sur le monde et invite à la coopération et aux partenariats pour faire entrer régulièrement d’autres expertises dans la classe : arts, théâtre, cinéma, sport, sciences… Mener des projets d’éducation par la recherche accompagné par des référents scientifiques (Savanturiers) ou participer à l’éducation à l’image avec un laboratoire de musée (Ersilia) exige un travail de coordination, d’intégration et de planification.
Une complexité qui demande créativité, résilience et humilité au quotidien
Aujourd’hui la complexité du métier d’enseignant est bien plus de mise qu’hier. Elle résulte de la diversification des publics et des missions. L’enseignement est une activité qui pose des défis tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. Il exige des connaissances sur la matière enseignée, le programme, les stratégies d’apprentissage, ainsi que sur les capacités, les intérêts et la personnalité des élèves. C’est un savoir aller vers l’autre dans tous les contextes avec recul et humilité pour écouter et comprendre ce que les élèves disent et portent en eux de singulier.
Le métier d’enseignant s’apprend. Il ne peut être réduit à l’application de directives qui à elles seules ne peuvent circonscrire la complexité des situations pédagogiques rencontrées au quotidien. Les enseignants portent en eux une incroyable capacité à inventer, innover pour proposer aux élèves des réponses didactiques et pédagogiques, adaptées et contextualisées, mais pour y arriver ils ont besoin d’être accompagnés et ce, surtout avant de rencontrer les élèves une première fois.
[1] Exemple: programmes d’enseignement du cycle 2
Tribune rédigée par : Julie Higounet, Responsable pôle développement professionnel, Mission Laïque française
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