TRIBUNE | Ce début d’année a été marqué en France par une grève des médecins libéraux aussi rare qu’inattendue, une première depuis une douzaine d’années.
Comment est-ce possible dans le pays qui est le champion d’Europe de la dépense de santé avec l’Allemagne, soit 11% du produit intérieur brut (PIB) ou 270 Md€ ?
Les médecins libéraux, parents pauvres d’un système de santé pourtant richement doté
Nos médecins ne sont en effet pas les premiers bénéficiaires de cette manne avec un tarif de la consultation fixé à 25€ contre plus de 45€ en moyenne au sein de l’Union européenne. Si nos médecins arrivent à compenser un tant soit peu, c’est en travaillant plus que leurs confrères étrangers. Quant à la comparaison de leurs revenus par rapport au salaire moyen, plus favorable, elle est trompeuse, la France étant en voie de paupérisation relative depuis 40 ans, notre PIB/habitant régressant de façon continue au sein de l’OCDE. Supérieur à celui de l’Allemagne et des Etats-Unis en 1980, il est aujourd’hui très nettement inférieur.
Les raisons de fond sont multiples pour expliquer ce paradoxe entre un niveau de ressources record au global et des revenus somme toute moyens des acteurs centraux du système de soins que sont les médecins libéraux. Citons pêle-mêle un surcroît de postes administratifs au détriment des soignants, un manque d’échanges d’informations entre praticiens – l’absence de dossier médical partagé, balbutiant depuis une vingtaine d’années, engendrant 30% d’actes superflus contre 15% en moyenne au sein des pays de l’OCDE -, le manque de sécurisation de la carte vitale, véritable carte bleue publique sans code secret ou processus d’authentification robuste, ou encore la mauvaise répartition des soins entre la médecine de ville et l’hôpital.
Si la réponse à l’ensemble de ces dysfonctionnements relève d’une réforme systémique d’ampleur qui ne peut être menée que sur le moyen-long terme, il y a un levier efficace de rationalisation de l’offre de soins à court terme qui est systématiquement éludé dans les débats actuels sur ce sujet. Il s’agit de la convention avec l’assurance maladie.
Le conventionnement des médecins libéraux avec l’assurance maladie, un levier de rationalisation inexploité
En effet, nos médecins dits libéraux ne le sont pas vraiment. Ils dépendent d’une clientèle payée par la collectivité à travers le conventionnement précité. Quel médecin pourrait vivre décemment sans garantir un tarif remboursé à ses patients en dehors de quelques quartiers cossus de grandes villes ?
Or, ce conventionnement est aujourd’hui essentiellement à sens unique. Contrairement à la logique d’un contrat classique qui répartit de façon équilibrée les droits et les devoirs entre les contractants, le conventionnement avec l’assurance maladie pose peu d’obligations aux médecins libéraux en dehors des tarifs fixés par la convention, tarifs qui peuvent néanmoins faire l’objet de dépassements d’honoraires en s’installant en « secteur 2 » pour certains d’entre eux.
Or, cette situation est singulière par rapport à d’autres professionnels de santé soumis à des obligations bien plus strictes dans une logique d’intérêt général. Il en va ainsi des pharmaciens, des infirmiers libéraux ou des kinésithérapeutes. Les mesures incitatives ayant globalement échouées, pourquoi les médecins libéraux échapperaient-ils à cet encadrement qui permet une meilleure répartition de l’offre médicale sur tout le territoire ?
Redéfinir les droits et les devoirs des médecins libéraux dans le cadre du conventionnement avec l’assurance maladie permettrait de rééquilibrer l’offre de soins avec l’hôpital tout en augmentant significativement leurs revenus
Une sortie par le haut de cette crise pourrait ainsi passer par une redéfinition des droits et des devoirs des médecins libéraux conventionnés avec l’assurance maladie, soit l’argent des Français. Il s’agirait de répondre favorablement à une forte hausse des tarifs conventionnés des consultations versus une liberté d’installation encadrée en début de carrière (6 premières années par exemple) excluant les zones surdotées et un rétablissement des obligations de garde. Le coût moyen d’un passage aux urgences étant estimé à 250€, cela laisse une grande marge de négociation pour revaloriser les revenus des médecins libéraux tout en répondant au moins partiellement au déséquilibre entre l’offre de soins de ville et hospitalière.
Les internes, les lampistes du système actuel
Plutôt que de s’attaquer aux racines du problème et négocier avec le Conseil national de l’Ordre national des médecins pour trouver des solutions pérennes, le gouvernement a imposé une année d’internat supplémentaire avant de devenir médecin généraliste, soit la solution de « facilité » qui consiste à « exploiter » davantage une population plus malléable afin de tenter de couvrir les territoires sous-dotés, un interne en 3e année ne gagnant que 27 000€ bruts par an, un pansement sur une jambe de bois en quelque sorte…
Tribune signée par Patrice Huiban, Président du Mouvement France Ambitions
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