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Ce que l’art d’être parents nous apprend sur le management

Suite et fin d’une brève réflexion amorcée dans cette même publication le 6 novembre dernier. Petit exercice de transposition, de comparaison (qui n’est pas raison), de mise en résonance, entre ces deux « métiers ». Où il sera question de notre présence à l’autre, de notre capacité à cultiver la curiosité de notre équipe et des jeux (sérieux)…

Par Benoît Meyronin

 

Avoir une parole impeccable

Ceux qui connaissent les célèbres « accords toltèques » reconnaîtront ici le premier d’entre eux. L’auteur, Don Miguel Ruiz, l’illustre en évoquant le cas des enfants, sur qui l’influence de notre parole est incroyablement puissante. J’ai la conviction qu’il en va de même en entreprise, où la maîtrise de notre verbe est une condition importante de notre rôle de manager. Ne pas médire, ne pas propager de rumeurs… sont autant d’éléments à vigiler. Être exemplaire, en ce sens, c’est cultiver pour soi, et pour notre équipe, cette exigence. Ne pas dire du mal des autres services, de certains collaborateurs, de nos pairs, de nos fournisseurs… Ce premier accord est si essentiel que les trois autres en découlent.

 

Être vraiment présent

La qualité de notre présence aux autres, qu’il s’agisse de nos enfants ou de nos équipes – mais aussi de nos collègues, clients, partenaires, etc., constitue un enjeu majeur quand on parle de considération. Ce n’est tant le temps, la quantité de notre disponibilité, que sa qualité, celle de notre écoute active, qui sera justement appréciée. Nos enfants, dès leur plus jeune âge, savent parfaitement, intuitivement, si nous sommes réellement avec eux ou bien absorbé par une contrariété d’ordre personnel ou professionnel. Il en va de même au bureau : affirmer que l’on est disponible, tout en ne l’étant pas manifestement, est perceptible.

Cela rejoint ce dont il sera question, plus bas : la curiosité. N’est-elle pas, en effet, cette « faculté de se déprendre de soi », cette « attention affectueuse au monde » (J-P. Martin, 2019), une forme de disponibilité ?

 

Manager ou l’art de réapprendre à jouer ? 

Le jeu, il faut le rappeler, n’est jamais que le premier moyen par lequel nous sommes entrés en relation avec l’Autre, le camarade de crèche, puis de classe. Le jeu nous sert depuis toujours à « établir des contacts sociaux », nous dit Donald W. Winnicott, qui ajoute : « Le jeu, c’est la preuve continue de la créativité, qui signifie la vie », rien de moins… Il aide à créer de « la communication avec les autres », à susciter et éprouver, donc, de la connexion, de la sociabilité : « Le jeu fournit un cadre pour le début des relations affectives et permet donc aux contacts sociaux de se développer » (Ibid.). Pour l’historien néerlandais Johan Huizinga, jouer est à ce point un facteur de culture qu’il a proposé la notion d’Homo Ludens, l’homme qui joue – nous sommes en 1938.

A l’heure du travail hybride, le « retour au bureau » est devenu une antienne. Le plus souvent, la question du collectif, de l’être ensemble, de la convivialité et de la sociabilité constitue les mots valises d’une réponse qui semble évidente, mais qui ne l’est point. Cela veut dire que l’animation des espaces de travail est fondamentale pour que la vie s’y redéploye. Cela signifie aussi que tout ne doit pas être inscrit, prescrit, dirigé… obligé. L’appropriation, le détournement, la personnalisation, la gamification, doivent y prendre place. Comme un enfant prend plaisir à exercer un sens du désordre (apparent ?), à reconfigurer les lieux selon son humeur et ses activités, nos bureaux doivent pouvoir vivre (un peu) de la même façon. Modularité, flexibilité et recyclabilité doivent y être une réalité, afin que nos usages les plient et les déplient au gré des besoins, des humeurs, des envies.

Plus globalement, comme le souligne très justement Emmanuelle Savignac : « La force du jeu, c’est qu’il entraîne en dédramatisant ». Il favorise le pouvoir de dire via son « potentiel immersif » (M-A. Dujarier). Il est porteur de multiples vertus qui, à la maison comme au bureau, ont leur importance.

 

Cultiver sans cesse sa curiosité et celle de son équipe

En lien avec ce qui précède, il y a la curiosité. Qu’est-ce que la curiosité ? Selon le philosophe Jean-Pierre MARTIN (2019), cité plus haut, « c’est un rapport au monde. Un désir d’apprendre plus que de savoir. J’oserai dire : un affect, une disponibilité » (p. 27). Son étymologie convoque la notion de soin, de souci, qui nous renvoie vers l’éthique du care : « Le soin que l’on prend de ce qui existe et pourrait exister » (Ibid.). Il s’agit donc bien de cultiver l’attention de son équipe, comme nous répondons à cette curiosité innée de nos enfants : « Où est notre regard d’enfant ? que nous reste-t-il de la première impression, du premier regard, de la surprise, de la rencontre ? » (Ibid.).

Alors que nos « modes de vie [et je rajoute ici : en entreprise] sont terriblement cloisonnés » (ibid.), nous devons veiller à nourrir la curiosité de nos équipes vis-à-vis de l’interne, déjà, et du « reste du monde », aussi. Michelin en a fait d’ailleurs l’un des cinq piliers de son modèle de leadership : « être attentif au monde qui nous entoure ». S’émerveiller au sein du collectif de travail, lutter contre le dessèchement voire le désenchantement, est plus qu’un impératif managérial : c’est une attitude humaniste, une ambition, un devoir, voire une éthique. Celle du care, du souci que l’on a de soi, des autres et du monde.

 

 À lire également : Une étude révèle que les enfants proches de leurs parents sont généralement plus gentils

 

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