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Burn-out : comment les employeurs en tirent profit

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Burn-out. Getty Images

Aujourd’hui, le monde du travail repose sur un mythe toxique : le burn-out serait un échec personnel. Fatigué ? Faites de la méditation. Submergé par les e-mails ? Améliorez votre gestion du temps. Épuisé ? Vous en faites trop. Derrière ces injonctions se cache un message bien rodé des employeurs : le problème, c’est vous, pas nous. À vous de trouver la solution.

 

Selon la Society for Human Resource Management (SHRM), la plus grande organisation de ressources humaines au monde, 44 % des 1 405 employés américains interrogés en 2024 se disent épuisés au travail, 45 % se sentent « vidés émotionnellement » et 51 % terminent leur journée « à bout de forces ».

Toutefois, le burn-out n’est pas un problème individuel : c’est une faille structurelle. Il découle d’une culture où l’on attend toujours plus des employés tout en leur donnant moins de moyens. Et les employeurs, loin de remettre en question ce modèle toxique, s’en accommodent parfaitement.


 

L’épuisement professionnel : un modèle économique bien rodé

Ne vous y trompez pas : le burn-out n’est pas un concept abstrait inventé par des experts en management en quête de best-seller. C’est une conséquence bien réelle d’un monde du travail où la réussite repose sur un déséquilibre flagrant : l’employeur exige toujours plus, et l’employé donne jusqu’à l’épuisement.

Dans une logique purement financière, ce modèle est redoutablement efficace : maximiser la productivité tout en minimisant les coûts et en gonflant les bénéfices. Mais si l’on considère la valeur humaine, il est bien moins reluisant.

Réfléchissez-y : on vous apprend que pour avancer, il faut multiplier les efforts, assumer plus de responsabilités et faire preuve d’un esprit d’équipe infaillible. Pendant ce temps, les entreprises limitent leurs investissements en recrutement, en bien-être au travail et en santé mentale. Pourquoi ? Parce que ce sont les employés eux-mêmes qui compensent ce manque.

D’après l’American Psychological Association (APA), l’épuisement professionnel est un risque lié au travail, causé par un stress chronique mal géré. Ses signes sont clairs : fatigue extrême, cynisme, sentiment d’inefficacité. Et contrairement aux idées reçues, il ne découle pas d’un manque de résilience individuelle, mais d’un dysfonctionnement organisationnel profondément ancré.

Le burn-out n’est pas un échec personnel, mais le symptôme d’un environnement de travail dysfonctionnel que l’employeur ne sait – ou ne veut – pas corriger. La réalité, c’est que l’épuisement des employés est rentable. Tant qu’un employé épuisé continue à travailler, il reste rentable. S’il s’effondre, il est remplacé.

 

Quand le bien-être des salariés n’est qu’une façade

Regardez autour de vous : votre entreprise a sûrement mis en place un programme censé lutter contre le burn-out, une sorte de pansement sur une plaie ouverte. Peut-être un « vendredi sans réunion » (où votre manager trouve toujours une excuse pour en planifier une), une application de bien-être à consulter sur votre temps libre, ou mieux encore, une « formation obligatoire sur la gestion de son propre bien-être ».

Ces initiatives donnent l’illusion que votre épuisement est pris au sérieux, mais elles occultent l’essentiel : vous restez surchargé, sous-estimé et contraint de travailler bien au-delà de vos horaires officiels.

Dans un article de la Harvard Business Review, des chercheurs rappellent que le burn-out ne vient pas seulement d’une charge de travail excessive, mais d’un environnement toxique, dépourvu de soutien et où le droit à la déconnexion n’existe que sur le papier. Selon eux, trois facteurs alimentent l’épuisement : la surcharge de travail, le manque de contrôle et l’absence de reconnaissance. Des causes profondes que les entreprises préfèrent ignorer, trop occupées à soigner leur image plutôt que le bien-être de leurs employés.

Le burn-out est alimenté par la culture du « toujours plus », qui épuise les employés et nuit, à terme, à la réussite des entreprises elles-mêmes. Lorsque la performance est valorisée à outrance, au point d’ignorer les dégâts humains qu’elle engendre, l’équilibre se rompt. Pourtant, au lieu de remettre en question ces dérives systémiques, les employeurs préfèrent multiplier les solutions individuelles, faisant porter aux salariés la responsabilité de leur propre épuisement.

 

Qu’est-ce qui doit changer concrètement ?

Beth Brown, directrice de la santé et du bien-être chez ComPsych, souligne que le burn-out ne vient pas de nulle part. Il est souvent alimenté par des politiques et des pratiques inadaptées, des rôles à haut risque et des systèmes de travail dépassés. Selon elle, même les initiatives bien intentionnées en matière de bien-être peuvent sembler inutiles si la culture d’entreprise ne suit pas, poussant les employés à les voir comme des mesures de façade plutôt que de réels engagements.

Elle met aussi en avant un facteur clé du burn-out : le décalage entre les valeurs des employés et celles de leur entreprise. Se sentir peu considéré, sous-payé ou contraint de masquer sa véritable personnalité finit par miner la motivation et la confiance. À force, les salariés en viennent à se demander pourquoi ils restent – et beaucoup finissent par partir.

Une étude menée en 2020 par Spring Health révélait que 76 % des travailleurs américains déclaraient souffrir d’épuisement professionnel chaque année. Si une entreprise veut vraiment prévenir ce fléau et placer les employés au cœur de ses priorités, elle doit aller au-delà des discours et passer à l’action :

  • Alléger les charges de travail: arrêter de glorifier les journées à rallonge et embaucher suffisamment de personnel.
  • Respecter les limites: les e-mails à 22 h ne devraient pas être la norme. Le droit à la déconnexion doit être intégré à la culture d’entreprise.
  • S’attaquer au management toxique: le burn-out est souvent causé par de mauvais managers. Il faut les former ou, si nécessaire, les remplacer.
  • Investir dans un vrai soutien à la santé mentale: offrir des cours de yoga gratuits ne compense pas un environnement de travail toxique, mais un accompagnement sérieux peut faire la différence.
  • Encourager la flexibilité: les employés ne sont pas des machines. Leur accorder de l’autonomie sur leur emploi du temps ne freinera pas leur productivité, bien au contraire.

Beth Brown souligne que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée doit être repensé. Selon elle, parler d’harmonie entre les deux est plus réaliste, car l’idée d’un partage 50/50 est souvent irréalisable. Elle insiste sur l’importance de la flexibilité et d’attentes claires en matière de charge de travail. Mais surtout, elle rappelle que les initiatives de bien-être n’ont de sens que si elles s’appuient sur de réels changements structurels, et non sur des avantages de façade.

Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités face au burn-out qu’elles génèrent. Le problème ne vient pas de vous, mais du système en place. Rappelez-vous ceci : si vous vous épuisez, votre employeur vous remplacera en une semaine. Votre corps, votre esprit et vos relations, eux, mettront bien plus longtemps à se reconstruire. Protégez-vous, car personne ne le fera à votre place.

 

Une contribution de Jason Walker pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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