Les résultats du baccalauréat 2024 ont été dévoilés le 8 juillet avec un taux record de 91,1% d’élèves admis en filière générale avant rattrapage, confirmant ainsi la tendance à la hausse de ces dernières années. Autrefois considéré comme une épreuve exigeante, véritable sésame pour l’accès à l’enseignement supérieur, voire suffisante pour débuter dans la vie active, le baccalauréat se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. D’un côté, le nombre de bacheliers ne cesse d’augmenter, en contradiction apparente avec les promesses du ministre de l’Éducation de renforcer les exigences académiques. De l’autre, sa valeur intrinsèque s’érode encore et toujours davantage. Face à ce constat, une question s’impose : le bac vaut-il encore quelque chose en 2024 ?
Une contribution de Etienne Porche, CEO et cofondateur des Sherpas
La grande illusion : derrière les chiffres, un diplôme dévalorisé
L’idée d’un bac plus abordable, voulue à partir de 1980, portait la volonté d’une démocratisation de l’éducation. Cette stratégie visait à améliorer le taux d’emploi des jeunes. Le raisonnement était logique : puisque le bac et les études supérieures constituaient la porte d’entrée vers le monde du travail, plus de bacheliers signifiait plus d’étudiants … et donc moins de chômage !
Suite à cette volonté politique, le taux de réussite au bac a augmenté de manière continue sur les quarante dernières années. De 64 % en 1980, il passe à 75 % en 1995, 85 % en 2005, puis à 91,9% en 2013 pour se maintenir au-dessus des 90 % depuis. Cependant, le chômage des jeunes n’a pas baissé sur la même période, au contraire ! D’environ 12 % en 1980, il est passé à 16 % en 2000, puis à 23 % en 2010 et même à 26 % en 2016 selon l’INSEE1. Que s’est-il passé ? Un bel effet ciseau.
D’un côté, l’explosion du nombre de diplômés bac+2, bac+3 et bac+5 a diminué la valeur du simple niveau bac sur le marché du travail. Malheureusement, cette augmentation du taux de réussite ne résulte pas d’une amélioration du niveau des élèves, mais plutôt d’un nivellement par le bas des exigences. Comme le montrent nos résultats en baisse constante au classement PISA, on a permis à un plus grand nombre de jeunes d’obtenir un bac dévalorisé. Cette approche, certainement plus simple à mettre en place, a permis aux responsables politiques de tous bords de présenter des statistiques avantageuses.
Cette pseudo-démocratisation de l’éducation cache une triste vérité : nous délivrons à notre jeunesse des diplômes au rabais, créant l’illusion d’une réussite qui s’effondre dès l’entrée dans le supérieur, avec un taux d’échec de 60 % dès la première année de licence2. Nous envoyons nos élèves au front sans armes, avec pour seule protection un diplôme dont l’encre est à peine sèche, et dont la valeur s’est évaporée sur le marché français, comme à l’international3.
Le grand décalage : un bac déconnecté des réalités du monde moderne
Dans le contexte professionnel actuel, le baccalauréat, avec ses fondamentaux théoriques, n’est plus qu’un pré-requis élémentaire qui ne garantit aucunement l’employabilité de celui qui le détient. En effet, un bachelier n’a souvent, ni les compétences, ni la maturité nécessaire pour intégrer directement le monde professionnel.
Face à ce constat, on a demandé aux entreprises de prendre le relai : les employeurs forment de plus en plus leurs jeunes recrues. La croissance spectaculaire de l’apprentissage en France depuis 2018 en est l’illustration parfaite avec 852 000 apprentis recensés rien qu’en 2023. Ainsi, le taux de chômage des jeunes a bien baissé – certes concomitamment à la baisse du chômage dans son ensemble – pour atteindre 18 % en 2024.
La réforme 2021 : un coup d’épée dans l’eau
La réforme du bac de 2021, avec ses objectifs de personnalisation et de contrôle continu, partait d’une intention louable, à savoir, mettre fin au système schématique des 3 filières (S, ES et L), pour pousser familles et élèves à l’anticipation dans l’orientation. Malheureusement, là encore, cela n’a pas eu les résultats escomptés.
La personnalisation des parcours, via un plus grand choix de spécialités, devait ouvrir de nouveaux horizons aux élèves. Force est de constater que nous avons en grande partie recréé les anciennes filières, perpétuant ainsi les mêmes biais d’orientation. Pour les originaux qui tenteraient des associations hors normes de spécialités, les problèmes arrivent sur Parcoursup ou à l’entrée dans le supérieur. Pourquoi ? Car on a réformé à moitié. Le véritable enjeu derrière les spécialités se situe dans leur articulation avec l’enseignement supérieur, où les profils attendus n’ont guère évolué, et c’est logique ! Prenons l’exemple des écoles d’ingénieurs : elles exigeront toujours un solide bagage en mathématiques, conduisant à exclure les élèves n’ayant pas fait le choix des maths en spécialité.
Le contrôle continu, conçu pour apporter de la flexibilité et réduire le bachotage, s’est avéré être, lui aussi, une arme à double tranchant. Il a, certes, apporté de la souplesse dans l’évaluation, et permis une analyse plus fidèle des compétences qu’une simple épreuve terminale. Mais, la diminution des épreuves de fin d’année et les examens de contrôle continu (les fameuses E3C) ont poussé au relâchement des élèves. Pourquoi avoir voulu faire compliqué ? Il suffisait d’augmenter la pondération du contrôle continu, et conserver les épreuves historiques du bac à 50/50 : nous aurions eu le meilleur des deux mondes !
Osons la question qui fâche : le bac a-t-il encore de la valeur ?
Tel qu’il fonctionne aujourd’hui, nous nous permettons d’en douter. Le bac est devenu un sujet de préoccupation secondaire dans le parcours scolaire : les parents ne s’y trompent pas, 64 % d’entre eux considèrent Parcoursup et l’accès aux études secondaires comme le vrai enjeu de la réussite éducative4. Alors comment redonner un sens au baccalauréat ?
Il faudrait commencer par restaurer une partie de son exigence d’antan, via une notation et des attendus plus stricts. Cela irait de pair avec une mise à jour des programmes pour intégrer des connaissances plus pratiques et ainsi améliorer la transition des jeunes vers le supérieur et le monde professionnel. On pourrait également adopter un système d’évaluation plus équilibré entre examens finaux et contrôle continu afin de remédier aux effets de bords observés.
Certes, avec ces mesures on réduirait sans doute un peu le nombre de bacheliers, mais leur diplôme aurait bien plus de valeur. Ces pistes permettraient de réduire les échecs dans le supérieur tout en améliorant le niveau général des élèves en France. C’est en partie ce qu’avait annoncé le Ministre de l’Éducation nationale en décembre 2023, mais qui ne s’est malheureusement toujours pas réalisé au regard des statistiques de cette année. Il faudra donc encore attendre pour voir les choses évoluer.
Plus que jamais, la France a besoin d’une stratégie éducative claire. La bienveillance envers nos élèves ne doit pas se transformer en complaisance. Cessons de confondre égalité des chances et démagogie diplômante. Le bac doit redevenir un véritable certificat de compétences, aligné sur les besoins du monde contemporain, pour qu’il puisse de nouveau ouvrir des portes à notre jeunesse.
- Chômage selon le sexe et l’âge – INSEE – 2024
- Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – 2022
- OCDE – Rapport Regards sur l’éducation – 2023
- Baromètre IFOP x Les Sherpas sur l’égalité des chances à l’école – 2024
À lire également : Comment la réflexion stratégique sur l’éducation peut conduire à de meilleures décisions
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