Au cours des dernières années, la question de l’origine ethnique a été au cœur d’un débat national aux États-Unis, engendrant une scission entre les professionnels qui se soucient réellement des groupes sous-représentés et ceux qui prétendent s’en préoccuper sans véritable engagement.
Un article de Maya Richard-Craven pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
Beaucoup de personnes de couleur n’ont pas la chance de travailler dans un environnement psychologiquement sûr et authentique. Et d’après les recherches, cette réalité est encore plus préoccupante pour les personnes noires. Un rapport de Catalyst, Exposé of Women’s Workplace Experiences Challenges Antiracist Leaders to Step Up, a révélé que 51% des femmes appartenant à des groupes ethniques marginalisés aux États-Unis, en Angleterre, au Canada, en Australie et en Afrique du Sud sont victimes de racisme au travail. La recherche a montré que cela était particulièrement vrai pour les femmes à la peau foncée.
Maya Richard-Craven, journaliste chez Forbes et auteure de cet article, s’est entretenue avec le Dr Sarah Webb, qui a fondé la société de conseil Colorism Healing il y a deux ans. Le Dr Webb se décrit comme une femme à la peau foncée et n’hésite pas à parler du colorisme et à s’y confronter. « Aux États-Unis, il y avait ce qu’on appelait la règle de l’unique goutte de sang (one-drop rule). Nous avions un groupe de personnes qui avaient des ancêtres, des teintes de peau et des apparences physiques différents, mais qui étaient toutes catégorisées comme des personnes noires. Dans le contexte des États-Unis, le colorisme signifie qu’il n’y a qu’une seule catégorie raciale : les gens ont des teintes de peau très variées », explique Mme Webb.
Contexte historique
Les stéréotypes, l’exclusion et l’agressivité envers la communauté noire font partie intégrante de l’histoire des États-Unis, et ce depuis très longtemps. Revenons en 1619 : l’année où les premiers esclaves africains ont été amenés aux États-Unis. Les esclavagistes ont créé un système et divisé les personnes asservies en deux groupes : les esclaves de maison et les esclaves de champs. Les esclaves de maison travaillaient à l’intérieur et côtoyaient davantage la communauté blanche. Ils avaient parfois des opportunités d’éducation. Ils étaient donc plus susceptibles de savoir lire et écrire, ou d’avoir un parent ou un enfant blanc.
Le système d’esclavage dans les maisons et dans les champs a créé un énorme fossé entre les Noirs, qui existe encore aujourd’hui en raison de l’intersectionnalité entre la couleur de la peau et le statut socio-économique. « Par exemple, une partie de ma famille est issue d’esclaves de maison en Louisiane. Mes parents maternels ont plutôt la peau claire et ont profité d’un meilleur accès aux opportunités éducatives et professionnelles en raison de leur proximité avec la communauté blanche et leur prospérité. L’autre partie de ma famille est issue d’esclaves des champs en Caroline du Sud. Nombre d’entre eux ont la peau foncée et ont eu une vie moins privilégiée. Cette différence de couleur évidente au sein des familles est présente tout comme elle l’est sur le lieu de travail », explique Maya Richard-Craven.
Lorsque vous observez les grandes entreprises et leurs dirigeants, vous pouvez remarquer que les dirigeants noirs ont souvent la peau claire. Beaucoup d’entre eux ont fréquenté des lycées privés réputés et des universités prestigieuses, et ont des parents qui travaillent dans des domaines tels que la finance, la médecine et le droit. Cependant, les Noirs qui n’ont pas la peau claire ou qui ne sont pas issus de milieux privilégiés méritent tout autant de pouvoir s’épanouir dans leur carrière et dans leur vie. Des clichés archaïques et préjudiciables concernant les Noirs à la peau foncée se sont répandus sur le lieu de travail : « agressif », « énervé », « menaçant ». Autant de qualificatifs qui dépendent de la personnalité d’une personne, et non de sa couleur de peau. « Je souhaite voir davantage de Noirs à la peau foncée occuper des postes de direction et d’encadrement. Tous les Noirs méritent le même niveau de respect, quelle que soit la couleur de leur peau », affirme la journaliste.
Briser les mythes
Il est indéniable que les mythes de l’époque coloniale concernant les Noirs à la peau foncée sont présents sur le lieu de travail, que les gens veuillent le reconnaître ou non. La journaliste raconte : « J’ai longuement parlé du colorisme avec le Dr. Webb. Cette femme originaire de Louisiane en a fait l’expérience directe. « Même au sein de ma famille, et je l’ai vu très clairement dès mon plus jeune âge, les gens parlaient à ma sœur et la considéraient alors qu’ils m’ignoraient. Je me distinguais des autres, mais de façon négative », m’a-t-elle dit. »
Et le Dr Webb n’est pas la seule. Énormément de Noirs à la peau foncée souffrent du colorisme, et cela vient souvent de leur propre famille et de leur communauté. Le fossé que les esclavagistes ont creusé entre les Noirs sur la base de leur couleur de peau ne se manifeste pas seulement dans les familles. Il existe également sur le lieu de travail.
« De nombreuses études montrent que si tous les Noirs sont victimes de stéréotypes raciaux, plus leur peau est foncée ou plus ils ont des cheveux de type afro, plus ces stéréotypes sont exagérés et plus ils sont susceptibles d’être pris pour cible sur la base de ces stéréotypes », explique le Dr Webb. « Et même parmi les personnes de couleur noire, il existe encore une perception selon laquelle les personnes au teint plus foncé sont considérées comme plus agressives ou moins faciles à approcher. Je l’ai constaté sur mon lieu de travail », a-t-elle ajouté.
Abolir le colorisme
L’abolition du colorisme ne se fera pas du jour au lendemain. « Bien que les personnes à la peau foncée soient plus susceptibles d’être victimes de colorisme, mon expérience m’a permis de constater que cela allait dans les deux sens. On m’a souvent qualifiée de personne à la peau très claire, de façon péjorative. Les personnes noires que je ne connais pas supposent souvent que je suis prétentieuse ou que je ne sors qu’avec des Blancs. Les femmes noires à la peau claire comme moi sont profondément fétichisées – dans le cinéma, la musique et surtout la pornographie. On m’a dit « tu es différente des autres » et « tu es jolie pour une Noire » parce que j’ai la peau claire et que je viens d’une banlieue majoritairement blanche. Un jour, un ancien partenaire m’a demandé : « Tu viens d’une bonne famille noire, n’est-ce pas ? » Malgré ces microagressions, je me sens privilégiée d’avoir la peau claire dans ma vie personnelle et professionnelle », confie la journaliste.
« Nous, les Noirs, ne pouvons pas nous attendre à ce que les autres ethnies cessent de pratiquer le colorisme à notre égard tant que nous ne cesserons pas de le faire les uns envers les autres. Les professionnels noirs doivent reconnaître le fossé que les esclavagistes ont creusé entre nous et se donner pour mission de travailler ensemble pour combler ce fossé pour de bon », poursuit-elle.
Selon le Dr Webb, cela commence par la reconnaissance du fait que nous avons tous des préjugés. Elle poursuit : « Je pense que l’une des raisons pour lesquelles ces conversations sont si difficiles à avoir est que les gens stigmatisent les préjugés. Si vous ne disposez pas actuellement d’une équipe diversifiée pour vous aider à identifier ce qui manque ou ces lacunes, engagez des sociétés ou des agences externes pour vous aider à commencer à diversifier votre équipe de base », a-t-elle déclaré. « La prochaine étape pour les entreprises qui ne disposent pas de la diversité interne actuelle est de diriger une plus grande partie de leur processus de recrutement à l’avenir. Recherchez des agences qui ont fait leurs preuves en fournissant ce premier départ à d’autres entreprises comme la vôtre », a-t-elle ajouté. Ainsi, recruter des candidats diversifiés ne signifie pas uniquement recruter des Noirs à la peau claire, issus de milieux privilégiés. La diversité, ce n’est pas ça.
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