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Anthony Babkine (Diversidays) : « La France doit devenir un modèle international d’égalité des chances »

Anthony Babkine - Crédits : Thomas Decamps
Anthony Babkine - Crédits : Thomas Decamps

À quelques semaines du lancement du Festival UNIQUES, Anthony Babkine, cofondateur et délégué général de Diversidays, et figure engagée pour l’inclusion dans la tech et l’entrepreneuriat en France, revient pour Forbes France sur son parcours, ses combats et les enjeux du futur.

Forbes France : Vous lancez en mai 2025 la première édition du Festival UNIQUES. Pourquoi cet événement et pourquoi maintenant ?

Anthony Babkine : En tant qu’acteur associatif, cela fait des années qu’on agit sur le terrain, mais trop souvent, les initiatives en faveur de l’égalité des chances ne bénéficient pas suffisamment de visibilité et sont parfois méconnues des premiers concernés. Le Festival UNIQUES, qui se déroulera les 15, 16 et 17 mai, c’est notre manière, avec Diversidays et France Travail, de créer un espace commun, un temps fort national pour valoriser tout ce qui existe en faveur de l’orientation et l’insertion professionnelle, la reconversion, l’accès à l’emploi, à l’entrepreneuriat pour tous et bien d’autres.

Il aura lieu dans toutes les régions pour les deux premiers jours, puis au Parc Floral de Paris le 17 mai. Au total, ce sont plus de 1 000 événements régionaux qui auront lieu dans toute la France hexagonale et ultramarine, et plus de 100 000 personnes qui seront mobilisées, avec le soutien d’organisations telles qu’AXA, Google France, PwC France, L’APEC, Les Entreprises s’Engagent, Bpifrance et bien d’autres…. Ce sera un moment fort : des ateliers, des job dating, des concerts, des tables rondes, du mentorat, mais également 236 associations d’égalité des chances mobilisées pour démontrer l’impact de l’écosystème associatif et du monde de l’insertion professionnelle. On veut mettre à l’honneur des personnalités engagées, mais aussi des talents invisibles, celles et ceux que l’on ne voit pas d’habitude, des personnes ordinaires aux parcours extraordinaires.

D’où vous vient ce combat pour l’inclusion ?

A.B. : Je suis tombé dedans assez tard. J’ai eu un parcours scolaire assez chaotique : dix ans d’errance, deux redoublements, un système scolaire vécu comme un broyeur. Heureusement, mes parents et quelques enseignants bienveillants m’ont poussé à croire en moi, et dans ma ville, à Évry-Courcouronnes, des associations de quartier m’ont également accompagné, notamment par des cours du soir et l’IUT Techniques de commercialisation d’Evry ! C’est grâce à eux que j’ai pu intégrer une école de commerce publique. Dix ans plus tard, je réalise cette ascension sociale, en devenant Directeur général adjoint dans l’agence conseil en communication TBWA. J’ai aussi dû apprendre les codes sociaux du monde “Corporate” et des grandes entreprises, presque comme un nouveau langage. Quelques années plus tard, je me suis dit qu’il fallait rendre cet environnement beaucoup accessible.

Par ailleurs, je pense que l’égalité des chances en France reste un idéal, mais la réalité est tout autre. 75 % des Français estiment que la société est “plutôt injuste”¹, un sentiment accentué par les inégalités perçues dans les domaines de l’emploi, de l’éducation et des opportunités économiques. Par conséquent, 57 % des Français pensent que l’égalité des chances dans l’emploi n’existe pas et beaucoup associent ces inégalités à des discriminations liées à l’origine sociale ou au niveau de diplôme². Et en effet, elles persistent et s’accentuent ces dernières années : origine, genre, âge, handicap, lieu de résidence… Les politiques d’égalité des chances avancent trop lentement : sans mesures structurelles fortes, rien ne changera vraiment.

Est-ce cela qui vous a poussé à cofonder Diversidays avec Mounira Hamdi en 2016 ?

A.B. : Exactement. En 2011, avec Mounira Hamdi, nous étions fraîchement diplômés d’une grande école avec un ADN “Tech” (l’Institut Mines-Télécom Business School) et on faisait nos premiers pas dans un environnement professionnel du numérique dans lequel on ne se reconnaissait pas. On ne voyait ni femmes, ni personnes issues de la diversité sociale ou géographique. On a donc lancé un cycle de conférences le “LabCom” (en 2011), puis des Trophées pour les femmes dans le digital avec TF1 (en 2014)… puis on a eu envie d’aller plus loin. On a créé Diversidays : une association nationale d’égalité des chances dans la Tech, pour changer les représentations dans le domaine, permettre à plein de gens qui doutent de prendre leur place dans le secteur. Le numérique est un formidable ascenseur social. Encore faut-il pouvoir le savoir et être conseillé dans sa démarche !

Vous parlez souvent d’entrepreneuriat comme d’un levier. Une voie de contournement du système ?

Oui, c’est un puissant levier d’inclusion économique, mais soyons lucides : tout le monde ne démarre pas avec les mêmes cartes en main. Le manque de financement, de réseau, de confiance en soi, tout ça pèse… Notre programme Future Makers a accompagné plus de 500 créateurs d’entreprises en 8 ans. Des talents comme Loubna Ksibi de Meet My Mama, Hicham Housseni de Kunto ou Khaled Al Mezayen d’Inovaya ouvrent le champ des possibles. On les met en lien avec des rôles modèles et business angels – comme Fariha Shah (Co-fondatrice Cominty) Paul Lê (La Belle Vie/ Frichti) ou encore Amadou Ba (co-fondateur de Booska-P) – pour leur transmettre les clés du jeu entrepreneurial : qu’est-ce qu’un POC ? L’amorçage ? Le développement d’un business ? Les clés de l’impact ? Sans accompagnement et mentorat, les chances de succès sont maigres !

Le numérique reste votre grand axe de travail. Avec quel impact ?

A.B. : C’est un axe de travail essentiel puisque le numérique crée en moyenne 25 000 emplois par an. Notre programme “DéClics Numériques”, lancé en 2020 avec le soutien de Google.org, l’Agefiph, Novapec, Salesforce et France Travail, a déjà permis à 15 000 demandeurs d’emploi d’être orientés vers des formations ou des reconversions dans les métiers du numérique. 40 % d’entre eux ont retrouvé le chemin de l’emploi ou des études dans le domaine. Certains coachs des Ateliers Numériques de Google interviennent même chez nous.

La dimension politique n’est jamais loin de vos engagements. Vous continuez à dialoguer avec les pouvoirs publics ?

A.B. : Oui, et je le vis comme un devoir. L’ascenseur social est grippé, c’est un fait. L’OCDE dit qu’il faut six générations pour changer de classe sociale en France. C’est insupportable. Mais je dis souvent que les problèmes on les connaît, les solutions, un peu moins ! Je le rappelle aux décideurs que je rencontre : il faut des actions proactives, des passerelles concrètes. La colère monte quand les gens sentent qu’ils n’ont aucun levier pour s’en sortir, aucune mobilité sociale. Nous avons un écosystème d’égalité des chances particulièrement actif et dense qui mérite d’être plus visible, soutenu et doté. Le festival UNIQUES sera une une opportunité de faire remonter des recommandations aux acteurs publics.

Vous évoquez aussi des vents contraires, des menaces de régression autour des enjeux d’inclusion. De quoi parlez-vous ?

A.B. : Face aux pressions venues de l’Ouest, des entreprises se sentent contraintes de ralentir leurs engagements ou se mettent en ‘mode silencieux’. Mais tout n’est pas perdu : 77% des français souhaitent le maintien des politiques de diversité et d’inclusion et que nos entreprises maintiennent ces actions internes, d’après une étude d’avril 2025 d’Ipsos³. Une attitude nettement hostile aux prises de position de l’administration Trump. Face à cette attente des Françaises et Français, la France devrait être garante des droits fondamentaux qui se cachent derrière les politiques d’inclusion.

Quelle place les entreprises ont-elles dans ce combat ?

A.B. : Elles ont une responsabilité. Une entreprise devrait être un lieu où tout le monde se sent digne, écouté, respecté. L’inclusion, ce n’est pas qu’un enjeu éthique, c’est un enjeu de bien-être au travail et in fine d’engagement des équipes ! Elle permet d’innover, de mieux comprendre ses clients. Et avec l’IA générative, il y a un vrai danger si elle est conçue par des groupes homogènes. Il faut plus de diversité sociale, culturelle, de genre dans la conception de ces outils. Sinon, on crée des biais systémiques.

Le Festival UNIQUES, c’est une façon de poser une nouvelle brique à cet édifice ?

A.B. : Oui, avec l’ensemble des partenaires d’UNIQUES⁴, on veut montrer que la France peut et doit devenir un modèle international d’égalité des chances. Mieux : elle doit l’incarner. Les associations, les acteurs de l’insertion professionnelle, les entreprises engagées sont nombreuses et UNIQUES sera l’opportunité de réaffirmer notre rôle, nos convictions et l’utilité de chacun ! Dans un contexte mondial où certains reculs sur les droits fondamentaux, même dans des démocraties majeures, il est essentiel que notre pays fasse la démonstration qu’un autre chemin est possible, fondé sur la dignité, l’inclusion et l’égalité réelle.

Le festival UNIQUES est un espace d’expression pour tout ce qui existe, pour redonner confiance à celles et ceux qui ne se reconnaissent parfois pas dans les figures de réussite traditionnelles. On veut faire tomber le syndrome de l’imposteur auprès de celles et ceux qui doutent. Créer un élan national et collectif. Parce qu’à la fin, ce combat, c’est l’affaire de toutes et tous.

¹ Edition 2022 du baromètre annuel du ministère des solidarités
² Société d’étude QAPA, 2021
³ Cabinet Ipsos “Les Français et l’abandon des politiques de D&I par les entreprises américaines”
⁴ Diversidays, France Travail, AXA, Google, PwC France, Les entreprises s’engagent, Apec -Association Pour l’Emploi des Cadres, SAP, Live Nation Entertainment, ManpowerGroup France, LinkedIn, Salesforce, Netflix, MAIF, Bpifrance, Sanofi, BNP Paribas, Deep Dive, GL events, L-Acoustics, FDJ UNITED et d’autres soutiens et associations, un événement sous le haut patronage de la Commission nationale française pour l’UNESCO.

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