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Un président anti-système au Sénégal : mais quel est le système ?

Sénégal

Présenté comme le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye vient de remporter l’élection présidentielle du Sénégal. Toutefois, sans une description claire du système qu’il s’agirait d’abattre, les attentes des Sénégalais et de nombreux observateurs occidentaux pourraient bien être déçues. 

 Une contribution d’Eric Braune – Professeur Associé – Omnes Education Research Center

 

Bassirou Diomaye Faye a remporté dimanche dimanche 24 mars l’élection présidentielle de la République du Sénégal. Le nouveau Président entend redéfinir les termes des partenariats économiques liant le Sénégal aux puissances occidentales et affirme rechercher des coopérations vertueuses, respectueuses et mutuellement productives avec ses partenaires économiques[1]. Également, Bassirou Diomaye Faye a indiqué que la pleine souveraineté du Sénégal pourrait passer par sa sortie du Franc CFA et le retrait des militaires français toujours positionnés dans le pays. Focalisés sur la politique économique et les relations internationales, les observateurs occidentaux ont vite surnommé Bassirou Diomaye Faye le Président anti-système. Pourtant, le véritable défi du nouveau président devrait consister à réduire la distance séparant les Sénégalais de leurs institutions.

Les relations des Sénégalais avec leurs institutions

La république du Sénégal dispose d’institutions démocratiques dont le Président est le garant[2]. Devant le conseil constitutionnel réuni en séance publique Bassirou Diomaye Faye prêtera le serment suivant :

« Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine. »

Pourtant la très grande majorité des Sénégalais vivent en dehors du cadre institutionnel de leur pays. Tout d’abord, le taux de scolarisation est faible, 43% des enfants de 12 à 18 ans ne sont pas scolarisés[3]. Une large part des jeunes Sénégalais échappent donc dès l’enfance à la première obligation qui leur est faite, ainsi qu’à l’opportunité que l’Etat leur offre. Ensuite, 9 Sénégalais sur 10 occupent un emploi informel et 97% des entreprises sont dans le secteur informel[4]. Par conséquent, l’essentiel de l’activité économique s’effectue en dehors de tout cadre légal et l’Etat a peu de prise sur les conditions réelles du travail dans le pays. Enfin, la mesure de la valeur créée par le travail s’avère particulièrement difficile dans un pays où le taux de bancarisation, c’est-à-dire la proportion de la population ayant accès aux services bancaires formels, n’excède pas les 20%[5]. Plus facilement qu’en Europe ou aux Etats-Unis, les Sénégalais peuvent échapper aux taxes et à l’impôt.

Les Sénégalais vivent donc très majoritairement et dès l’enfance en marge des institutions de leur pays. Le nouveau Président souhaite à juste titre redéfinir les relations du Sénégal avec ses partenaires économiques. Toutefois, la promesse d’une rupture avec « le système » devrait également l’amener à réfléchir aux moyens permettant de réduire la distance séparant les Sénégalais de leurs institutions.

Sortir du système ?  

Le Sénégal est une société communautaire où chacun n’existe pas indépendamment d’une communauté dont les intérêts prévalent sur ceux de l’individu[6]. La responsabilité sociale découle de cette connexion profondément ressentie envers une communauté régie par des règles informelles qui ne se confondent pas avec les lois du pays. En l’absence de légitimité, l’administration tente de prendre le pouvoir sur la société civile par le biais de la cooptation, du clientélisme, du patrimonialisme et de la coercition de masse[7]. La très forte corruption de l’administration[8] est donc le signe de son manque de légitimité auprès de la société civile. Lutter contre la corruption nécessite d’assurer une plus grande légitimité à l’administration et à ses fonctionnaires. Mais comment réaliser une telle prouesse sans détruire la qualité des relations sociales au sein des communautés ?

A défaut, le projet politique de Bassirou Diomaye Faye devrait permettre aux institutions sénégalaises de tirer le plus grand bénéfice des prochaines rentes gazières et pétrolières du pays[9]. Les évolutions des taux de scolarisation et de bancarisation, la réduction de la part de l’économie informelle nous permettront de mesurer dans quelle mesure ces rentes profitent à l’ensemble des Sénégalais. Voici posé 3 indicateurs importants de la rupture souhaitée avec le système existant.

 


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Sources : 

[1] https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/senegal/election-presidentielle-au-senegal-qui-est-bassirou-diomaye-faye-le-candidat-antisysteme-qui-s-apprete-a-prendre-la-tete-du-pays_6447043.html.

[2] https://wipolex-res.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/sn/sn006fr.pdf.

[3] https://theconversation.com/seule-une-fille-sur-trois-atteint-lecole-secondaire-au-senegal-voici-pourquoi-et-comment-y-remedier-203440.

[4] https://www.ilo.org/travail/info/publications/WCMS_735752/lang–en/index.htm.

[5] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/situation-economique-et-financiere-du-senegal.

[6] Pérezts, M., Russon, J. A., & Painter, M. (2020). This time from Africa: Developing a relational approach to values-driven leadership. Journal of Business Ethics, 161(4), 731-748.

[7] Luiz, J. M. (2009). Institutions and economic performance: Implications for African development. Journal of International Development, 21(1), 58–75.

[8] https://www.transparency.org/en.

[9] https://theconversation.com/senegal-petrole-gaz-et-emploi-seront-les-priorites-du-prochain-president-221662.

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