Le Centre commun de recherche (JRC, Joint Research Centre) de la Commission européenne a récemment publié un rapport sur l’utilisation de biomasse forestière pour produire de l’énergie au sein de l’Union européenne (UE). Selon ce rapport, il est primordial d’engager une discussion honnête pour « clarifier le débat autour de la durabilité des bioénergies tirées du bois ».
Cet appel arrive à point nommé. Les avis sont partagés quant à la neutralité climatique des biomasses comme source énergétique, et nombreux sont ceux qui se laissent influencer par des interprétations subjectives ou par leurs intérêts personnels. Ainsi, lorsque des articles scientifiques sont cités, les faits sont souvent exposés hors contexte.
Afin d’envisager des options respectueuses du climat pour notre futur système énergétique, il faut être beaucoup plus nuancé et éviter de tomber dans une vision manichéenne.
Biomasse et bioénergies : de quoi parle-t-on ?
Pour faire simple, la combustion de biomasse (matière végétale) produit de la chaleur qui peut être utilisée pour créer de l’énergie ou des biocarburants. Plus communément appelé bioénergie, ce type d’énergie peut être créé à partir de différentes matières organiques comme les déchets agricoles (par exemple les bagasses de cannes à sucre ou les rafles de maïs), les copeaux de bois et les granulats provenant des coupes d’éclaircie et des résidus de l’industrie du bois, ou encore les excréments séchés d’animaux. Toutes ces matières organiques contiennent de l’énergie solaire qu’elles ont stockée et absorbée.
Les bioénergies sont souvent décrites comme une solution pratique pour répondre aux besoins énergétiques des populations. Toutefois, cette pratique est plus ancienne que toutes les autres sources d’énergie dérivée. En effet, déjà à l’époque des hommes des cavernes, la combustion du bois était utilisée pour se réchauffer.
Biomasse : une énergie durable ?
Le Conseil consultatif scientifique des académies européennes (EASAC, European Academies Science Advisory Council) compte parmi les plus fervents opposants aux bioénergies, car cela serait nocif pour le climat. Néanmoins, cette vision est trop réductrice. Si l’on considère le bilan carbone dans son ensemble, l’analyse est différente.
L’une des principales critiques contre la combustion de biomasse concerne les émissions de CO2. Ces dernières auraient le même effet sur le réchauffement climatique que les émissions de CO2 générées par la combustion d’énergies fossiles.
L’organisation IEA Bioenergy explique en quoi cette comparaison est inexacte : « La combustion de biomasse à des fins énergétiques produit certes des émissions de carbone, mais ces dernières font partie intégrante de l’échange continu de carbone entre la biosphère et l’atmosphère. Par conséquent, le passage des énergies fossiles aux bioénergies et l’effet d’une telle transition sur les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre (GES) ne peuvent être étudiés en comparant les émissions de CO2 au point de combustion ».
Selon Øyvind Skreiberg, directeur scientifique chez SINTEF Energy Research, il existe un stock fixe de carbone sur Terre et dans l’atmosphère : « Le réchauffement climatique est le résultat d’une augmentation du carbone dans l’atmosphère, notamment du CO2. Si la combustion de biomasse n’influe pas sur le stock fixe de carbone, alors il n’y a pas de réchauffement climatique provoqué par la combustion de biomasse, car il n’y a pas d’ajout net de CO2 dans l’atmosphère ».
Dans la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, les émissions de CO2 résultant de la combustion de biomasse sont considérées comme climatiquement neutres dans le domaine énergétique. En d’autres termes, « cela signifie que seulement une augmentation nette de l’utilisation de biomasse peut conduire à une augmentation des émissions de CO2, et partant, contribuer au réchauffement climatique », explique Øyvind Skreiberg.
Qu’en est-il de la préservation des forêts ?
L’un des principaux arguments avancés par l’EASAC et le JRC concerne la préservation des forêts. Actuellement, la protection des forêts tropicales humides est un enjeu planétaire. Cependant, l’idée que la déforestation sévit partout dans le monde est inexacte. En Norvège et dans de nombreuses régions en Europe, le stock de biomasse forestière augmente.
Un article de 2017, publié dans le journal Biofuels, Bioproducts and Biorefining, contestait l’idée qu’une plus grande utilisation de biomasse à des fins énergétiques aurait des répercussions négatives sur la déforestation : « Les projections montrent qu’en l’absence d’une demande supplémentaire de granulés de bois, la superficie des forêts naturelles devrait diminuer d’ici 2030 (une perte de superficie de l’ordre de 450 à 15 000 km2). En cas de forte demande de granulés de bois, une plus grande superficie de forêts naturelles serait conservée (entre 2000 et 7500 km2) et entre 8000 et 20 000 km2de plantations de pin seraient créés ».
Le professeur Francesco Cherubini, directeur de l’Industrial Ecology programme à l’Université norvégienne de sciences et de technologie (NTNU), explique que la gestion active des forêts préserve les forêts en tant que collectrices de carbone et non en tant que sources de carbone : « Une bonne gestion des bois et forêts contribue à l’augmentation du stock de carbone forestier tout en fournissant des biomasses à des fins multiples, notamment énergétiques ».
Quelles décisions en matière d’aménagement du territoire ?
Bien entendu, la disponibilité des terres et leur utilisation à des fins bénéfiques sont des considérations importantes à prendre en compte au moment d’évaluer les avantages et les inconvénients de l’utilisation de biomasse. Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’analyser la quantité de terres disponibles. Une fois encore, il est difficile de parler du stock de biomasse de manière isolée. Cette réflexion doit être menée à l’aide d’autres facteurs tels que le climat, les répercussions de la diversité des biomasses et le coût d’opportunité de l’utilisation des terres.
Un tel débat soulève également de nombreuses questions quant au système alimentaire actuel. « Près de la moitié des terres sur la planète sont utilisées pour nourrir les animaux, et non les humains. Par exemple, la culture du soja est la cause principale de la déforestation en Amazonie, mais plus de 75 % des récoltes sont utilisés pour nourrir les animaux », explique Francesco Cherubini.
Le professeur à la NTNU ajoute que « les bioénergies doivent être associées à d’autres options pour réduire l’impact sur le changement climatique et atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Nous ne devons pas considérer cela comme une compétition entre d’un côté l’utilisation des terres disponibles pour étendre la superficie des forêts, et de l’autre la culture à des fins énergétiques. Nous avons besoin des deux. »
Comment maintenir le bilan carbone ?
Indépendamment de la réduction directe des émissions de CO2, si l’on veut maintenir le bilan carbone, les émissions de CO2 issues d’énergies fossiles doivent être compensées par l’augmentation du stock de carbone non fossile de la Terre ou par d’autres moyens permettant d’éliminer le CO2 de la biosphère. Toutefois, il existe une limite à la quantité de carbone qui peut être naturellement absorbée par les océans et la biosphère terrestre. Actuellement, les niveaux d’émissions sont bien au-delà des capacités naturelles de la Terre.
Aujourd’hui, cet équilibre n’est pas maintenu, au point que le stock de carbone dans l’atmosphère dépasse les seuils critiques et influe sur l’augmentation moyenne de la température mondiale.
Ainsi, étiqueter les bioénergies comme « mauvaises » est une erreur. Limiter les répercussions du changement climatique nécessite de mettre en œuvre des efforts considérables, notamment pour réduire de manière drastique les émissions d’origine fossile. Les bioénergies ne résoudront pas à elles seules la crise climatique, mais elles joueront un rôle crucial dans le cadre d’un changement plus large. Pour Francesco Cherubini, « nous avons besoin de solutions combinées et multiples, qui allient la gestion des forêts, leur expansion et leur conservation, avec des améliorations dans le secteur agroalimentaire. »
Compte tenu du besoin de réduire les émissions d’origine fossile, les technologies de captage et stockage du CO2 (CSC) peuvent être utilisées conjointement avec les bioénergies. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce procédé permettrait à lui seul de stocker en permanence d’énormes quantités de CO2 chaque année, bien que tout dépende de la disponibilité à long terme des biomasses et de la mise en œuvre à grande échelle du CSC.
Il existe de nombreuses autres solutions positives pour le climat basées sur les biomasses, au-delà de la simple combustion, qui peuvent contribuer à la transition énergétique. Par exemple, le stockage du charbon de bois dans le sol améliore la qualité des sols tout en créant un collecteur de carbone, une option pour les villes comme pour les zones rurales. Une utilisation accrue du bois comme matériau de construction permettra également de stocker du carbone à long terme.
Biomasse et bioénergies : quel plan pour l’avenir ?
La planète a actuellement besoin d’un large choix d’options durables qui tiennent compte des contextes locaux parfois complexes et des besoins accrus de la société en matière de matériaux et d’énergie.
Comme l’a récemment souligné l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les biomasses forestières ne doivent pas être mises de côté. La recherche devrait plutôt se concentrer sur la mise en place de meilleures pratiques en matière de gestion et réglementation pour permettre une production durable.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Nils Rokke
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