Depuis des décennies la conquête spatiale a dû développer des compétences pour répondre aux contraintes extraordinaires des voyages dans l’espace. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour enseigner différemment ? En effet, nous sommes entrés dans une nouvelle ère avec les cours à distance. Est-il encore possible d’enseigner de la même façon ? Par Christian Rivet, Professeur Associé de Marketing à Grenoble École de Management (GEM), David Courty, Responsable de plateformes d’expérimentation GEM labs, Grenoble École de Management (GEM).
Sans entrer dans les détails, reprenons quelques grandes lignes des programmes spatiaux et de leur fonctionnement :
Les astronautes sont à distance, souvent très loin. Ils sont parfois sans connexion, passent dans des zones d’ombre (communication). Ils sont limités en nombre d’outils emportés et en ressources (poids, encombrement). Ils vivent des relations sociales complexes avec leurs proches (gestion de la distanciation sociale, promiscuité avec les membres d’équipage).
Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de programme possible sans une interaction forte avec le sol. Les astronautes travaillent main dans la main avec les équipes techniques. Ils vont réaliser des tâches dans la station spatiale ou en sortant de la capsule, pour aller réparer, tester, expérimenter. Ils sont à la fois chercheurs, explorateurs, pilotes… Tout se réalise de concert avec les ingénieurs, experts, mécaniciens au sol. On n’imagine pas un programme dans l’espace qui se résumerait à dire “voici les instructions, 5, 4, 3, 2, 1, débrouillez-vous !”
Pour faire un parallèle avec l’enseignement actuel, tout comme dans l’espace il y a la distance, les aléas de la mauvaise connexion, la limitation des machines, le tout parfois dans une situation sociale complexe : promiscuité (colocation, famille…) ou dans une grande solitude… un vide sidéral. Afin de comprendre et d’analyser cette situation d’apprentissage, nous allons nous inspirer du modèle SAMR de Ruben R. Puentedura, développé en 2010, sur l’intégration des technologies dans l’enseignement. L’approche SAMR va nous permettre de porter un regard sur les différents stades de l’intégration des outils numériques dans le processus d’apprentissage actuel.
Le modèle SAMR présente 4 niveaux :
S comme Substitution.
La technologie permet de répliquer, sans changement du scénario pédagogique.
A comme Augmentation.
La technologie agit comme un substitut direct avec une amélioration fonctionnelle.
M comme Modification.
La technologie permet une refonte importante du scénario.
R comme Redéfinition.
La technologie permet la création de nouvelles approches pédagogiques, jusqu’alors non-imaginées.
On ne change rien, mais on améliore ! (S. A)
Substituer
Le digital permet d’enseigner à distance, il propose une connexion pour suivre le cours. On peut parler de visioconférence, de télé-classe, mais tout se passe vraisemblablement de façon synchrone avec des documents en ligne identiques au cours de référence. La technologie informatique est utilisée pour effectuer la même tâche qu’auparavant, l’enseignement est classique et descendant.
Augmenter
Les technologies vont permettre d’augmenter votre cours, en intégrant parfois des contenus vidéo, des documents partagés. Les échanges peuvent être simplifiés par l’organisation de groupes de travail en ligne. Une partie du cours peut se dérouler en asynchrone, des tests d’évaluation peuvent être auto-corrigés.
La technologie amène une véritable transformation ! (M)
Modifier
Le digital apporte une refonte du cours, le parcours d’apprentissage peut être complètement adapté à un contexte social et environnemental.
L’enseignement est personnalisé, les contenus sont parfois accessibles de façon synchrone ou asynchrone. Un ensemble de tests permet des auto-évaluations et propose un avancement du cours en fonction de la progression de l’apprenant. Les outils d’aide proposés peuvent intégrer des intelligences artificielles capables de compléter l’enseignement par des contenus dynamiques. Le parcours de la formation peut également être optimisé par les données. Il s’agit alors d’Upskilling (l’amélioration des compétences), d’Adaptive Learning (l’apprentissage personnalisé) et d’hyper personnalisation en temps réel.
Les astronautes du savoir (R)
Redéfinir
Le cours est imaginé différemment. Les étudiants deviennent acteurs, ils sont tantôt astronautes en mission, tantôt experts au sol. Le professeur et les apprenants forment l’équipe spatiale. Aidés par les systèmes autogérés, ils vont pouvoir aller beaucoup plus loin dans leurs missions. Qu’il soit professeur ou étudiant, chacun explore, teste, répare et expérimente. Le centre de contrôle analyse, imagine, préconise les situations en fonctions des aides numériques.
Tout comme l’astronaute, l’enseignant ou l’apprenant peuvent prendre le rôle d’expert ou d’explorateur. Ce type d’enseignement est une nouvelle opportunité pour le futur. Cette nouvelle façon d’apprendre intègre : les moments sans connexion (proposition de tâches asynchrones), la solitude de l’apprenant (interaction sociale automatisée). Le système d’apprentissage gère également les ressources limitées de l’apprenant (proposition de ressources partagées). Il optimise le temps de connexion (streaming des contenus) et s’adapte en fonction des compétences.
Pour être efficace, il est proposé des étapes en simulateur, par exemple : un casque de réalité virtuelle pour s’entraîner à prendre la parole en public, sans public. Cela permet d’être confronté à des situations d’expérimentation dans un environnement maîtrisé et sécurisé.
Le champ des serious game (jeu sérieux) est aussi un nouveau mode d’apprentissage offrant un univers de possibilités exploitables à distance. La résolution de problèmes est ludique et l’imaginaire de l’étudiant est mis en valeur. L’expérience est motivante et inspirante, le savoir devient une distraction pour une génération née avec les jeux en ligne.
Les missions proposées dans le cours peuvent être imaginées en amont, mais elles intègrent la gestion des aléas : un peu comme la mission Appolo13, qui va devoir tout redéfinir pour rentrer avec le module LEM. Il s’agit d’apprendre à tous, ainsi qu’au système, à redéfinir les possibles en temps réel, sans pour autant perdre les objectifs initiaux.
Le parallèle avec les voyages dans l’espace peut sembler démesuré; les risques, les budgets et les contraintes n’étant pas les mêmes. Toutefois la métaphore nous paraissait intéressante. Il nous semble important dans ce contexte d’évolution des pratiques d’apprentissage de tendre vers les approches de niveau 3 et 4. Un état d’esprit qui risque de remodeler nos cours et expérimentations pédagogiques.
Bienvenue dans l’apprentissage cosmique.
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