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Anne-Marie Lagrange astrophysicienne : « En France, les sciences dures souffrent d’un manque de reconnaissance »

Astrophysicienne, Anne-Marie Lagrange travaille depuis 1990 à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble. Elle a également œuvré au sein de l’Institut national des sciences de l’univers et du CNRS. En parallèle, elle fait partie de plusieurs conseils d’institutions et de programmes scientifiques. Titulaire de nombreux prix, elle est membre de l’Académie des sciences depuis 2013. Ses travaux portent sur l’étude des systèmes planétaires extrasolaires. Elle compte parmi nos 40 Femmes Forbes 2020/2021.

 

En tant que femme menant une carrière scientifique, avez-vous dû faire face à des difficultés spécifiques ?

ANNE-MARIE LAGRANGE : Je n’ai pas eu l’impression d’avoir des barrages liés au fait que je suis une femme. D’une manière générale, les femmes sont très impliquées dans la vie de famille. De mon côté, j’ai eu mes enfants quand j’étais à Polytechnique, mais j’avais de la chance d’être payée pendant mes études et que l’on m’aide pour mes enfants. Ce qui n’était pas facile pour moi fut de partir beaucoup en mission, loin de ma famille, dans des endroits exotiques où la communication était difficile entre l’Europe et le reste du monde, ça coûtait très cher. Pendant toute une partie de ma carrière, jusqu’au début des années 2000, j’étais la seule femme dans les équipes. J’ai fait pas mal de travaux en instrumentation pour des télescopes et cet aspect reste très masculin. Dans la théorie, il y
a plus de femmes.

 

Vous vous intéressez à la place de la science dans la société, mais aussi à celle des femmes dans la science. Les femmes sont-elles toujours en minorité dans le domaine scientifique ?

A.M.L. : Oui, effectivement. La proportion de femmes à l’école Polytechnique par rapport à la période où j’y étais n’a pas énormément évolué. On est à moins de 30 % et il n’y a pas de raison. Si on parle des sciences de la vie, les femmes sont plus nombreuses. Mais elles sont peu représentées dans les sciences dures qui comprennent les mathématiques, la physique, la chimie. Je pense qu’il y a un choix inconscient, ou conscient d’ailleurs, d’aller plutôt dans les sciences de la
vie et la santé. Je l’attribue beaucoup à une idée inconsciente qu’ont les gens que les sciences dures sont faites pour les hommes. Je le ressens encore comme ça. Il y a toujours une peur des sciences dures chez les femmes.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier les sciences dures ?

A.M.L. : Quand j’étais au lycée, les mathématiques et la physique me plaisaient. Naïvement, je pensais, que j’allais faire médecine pour pouvoir continuer à faire des mathématiques et de la physique. J’ai eu la chance d’être repérée et conseillée. J’ai pris connaissance de la classe préparatoire en première. J’ai pu avoir une bourse et vivre à Lyon. Les mathématiques m’aident à comprendre le monde et j’ai besoin de comprendre au sens concret, comment les choses fonctionnent. Je prenais ces
matières comme un jeu, c’était ludique.

 


Il y en a une qui m’a énormément inspirée, c’est Marie Curie. Ma professeure de français m’avait offert sa biographie à Noël. C’était une figure inspirante de son époque parce que je voyais qu’elle avait une volonté extraordinaire


 

Que diriez-vous à une jeune femme qui débute une carrière scientifique ?

A.M.L. : Je remarque qu’il y a pas mal de filles en filière scientifique et elles réussissent brillamment. Elles sont capables autant que les hommes de faire des carrières d’ingénieur et de réussir des classes préparatoires. Il faut oser. Mais il faut aussi de l’éducation et une valorisation qui doit venir à la fois des professeurs et des parents. Il n’y a pas que la médecine par exemple. La réforme a été un objet d’inquiétude. C’est une bonne chose de revenir à un nombre raisonnable en mathématiques et de ne pas couper toute une génération. La projection compte énormément. Il y a encore beaucoup dans l’inconscient des filières pour hommes et des filières plus spécifiques pour femmes.

 

Vous avez récemment reçu le trophée des Femmes Forbes. Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être considérée comme l’une des femmes les plus inspirantes ?

A.M.L. : C’est un honneur personnel, une distinction individuelle. J’étais très fi ère que Forbes choisisse une femme qui n’est pas dans l’économie, la finance ou la santé. J’étais contente pour les sciences dures. C’est important que ce soit valorisé le plus possible. Il y a un déficit en France de  reconnaissance des sciences dures et c’est pourtant très important, pour que le pays continue à être innovant et à rester à un bon niveau international. Quand il y a eu cette remise des trophées Forbes, j’ai dit que j’engageais toutes les personnes présentes à encourager toutes leurs filles et petites-filles à faire des sciences dures, car ces carrières sont aussi pour elles.

 

Quelle figure féminine vous a inspirée ?

A.M.L. : Il y en a une qui m’a énormément inspirée, c’est Marie Curie. Ma professeure de français m’avait offert sa biographie à Noël. C’était une figure inspirante de son époque parce que je voyais qu’elle avait une volonté extraordinaire. Elle a réussi à faire son chemin même pendant des temps difficiles.

 

De quoi êtes-vous la plus fière aujourd’hui ?

A.M.L. : Je suis assez perfectionniste et exigeante avec moi-même. J’ai toujours quelque chose en moi qui me dit que j’aurais pu faire mieux. Je suis contente d’avoir fait partie de l’équipe qui a réalisé les premières images de planètes extrasolaires.

 

Quels sont vos projets?

A.M.L. : Bien que j’ai 60 ans, j’ai plein de projets en matière de recherche. J’ai plein d’idées qui tournent autour de la détection des exoplanètes, les planètes tournant autour des étoiles autres que le Soleil. J’aimerais pouvoir réussir à répondre à certaines questions. Est-ce que le système solaire est un cas rare ? Comment le système planétaire se forme et évolue ? J’aimerais avancer suffisamment pour que nos successeurs soient capables de détecter des analogues au système solaire un jour. J’ai envie de détecter plein d’autres planètes comme la Terre et Jupiter. J’ai la sensation de ne pas avoir assez de temps pour traiter toutes ces choses. Plus on découvre et plus on remarque que la nature au sens large est diverse. On voit des diversités, des choses que l’on n’aurait pas imaginées avant et c’est extraordinaire. Toutes ces découvertes soulèvent à chaque fois beaucoup de questions.  

 

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