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Véronique Louwagie : « Il faut soutenir nos entreprises pour rester compétitif face à la concurrence mondiale »

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La ministre des PME dans son bureau à Bercy

La ministre des PME et du Commerce estime que les charges des entreprises est un frein à la compétitivité européenne et internationale. Elle plaide pour des réductions d’impôts. 

Les entreprises ne rêvent que de cela. Après plusieurs années difficiles, entre flambée des prix de l’énergie, croissance atone et instabilité politique, les PME espèrent un rebond de l’activité en 2025. Mais les indicateurs sont encore loin d’être au vert, avec des secteurs en grande difficulté. Maigre éclaircie : la consommation des ménages, et donc la demande, devrait reprendre ces prochains mois.

Dans ce contexte, la ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, Véronique Louwagie, compte accompagner la reprise de l’activité en allégeant les charges des entreprises. L’ancienne députée LR de l’Orne s’est également engagée dans un processus de simplification de la vie administrative des entreprises. Un projet de loi sera examiné en avril  à l’Assemblée nationale. Pour Forbes France, la ministre des PME revient longuement sur la situation des entreprises et les dispositifs qu’elle compte mettre en place pour les accompagner. 

Forbes France : Le  nombre de défaillances d’entreprises a dépassé les 60 000 en 2024, une première depuis plus de quatre ans. 2025 s’annonce également compliquée pour les entreprises. Comment analysez-vous la situation ? 


Véronique Louwagie : Le nombre de défaillances d’entreprise est de toute façon toujours trop élevé. Ce qui doit nous alerter, c’est la progression de ce nombre. Cela résulte en partie d’un effet de rattrapage. Pour faire face à la crise sanitaire et économique, les entreprises avaient reçu un fort soutien de l’Etat avec également des reports ou étalement de paiement d’un certain nombre de charges, de contributions ou d’impôts.

2024 a également été une période de grande instabilité politique :  la dissolution de l’Assemblée nationale, l’incertitude sur le budget et la censure. Face à ce manque de visibilité, le consommateur a préféré épargner à défaut de consommer. Du côté des entreprises, de nombreux projets de développement, d’investissement, d’embauche ont pu être suspendus voire annulés. Les collectivités territoriales ont également pâti de cette période trouble.  Dans ce contexte, nous pouvons nous réjouir d’avoir un budget malgré un décalage de deux mois. Cette période de stabilité doit nous permettre de relancer l’économie, l’activité, la compétitivité des entreprises. 

 

Dans le même temps le le Budget 2025 a acté de la baisse de certaines  aides et subventions très utilisées par les PME, notamment l’aide à l’embauche pour l’apprentissage. Était-ce vraiment le moment opportun pour atténuer ces dispositifs ? 

V.L : Tout ce qui peut participer à favoriser l’emploi doit être fait. En termes d’apprentissage, il y a eu énormément de progrès en 10 ans. Rappelons que nous avons atteint en 2024 le seuil d’un million d’apprentis. L’apprentissage, c’est à la fois un ascenseur social dans un certain nombre de métiers, mais aussi un dispositif qui participe à la transmission d’un savoir-faire dans  les entreprises. Certes, il y a eu des modifications au niveau de l’apprentissage mais la prime pour les entreprises de moins de 250 personnes, celles qui ont le plus besoin d’être soutenu pour embaucher, reste relativement importante (5000 euros). Et ce, quel que soit le niveau de formation. 

Je me réjouis également qu’il n’y ait pas eu d’augmentation d’impôts de manière pérenne dans ce budget ; les hausses sont ciblées et temporaires. Dans un monde de concurrence européenne et internationale, les entreprises ont besoin d’être compétitives. Elles doivent disposer d’un niveau de rentabilité qui leur permet d’investir, de s’engager dans les sujets liés à l’environnement, à l’intelligence artifcielle… J’estime que l’accompagnement des entreprises passe par la réduction des impôts prenant en compte que la France a un des taux de prélèvement obligatoire les plus élevés des pays développés de l’OCDE. Mais pour cela il faut s’engager dans une diminution des dépenses compte tenu de la situation budgétaire du pays. 

 

On entend régulièrement des annonces d’aide au développement des  start-up,  beaucoup moins sur le PME alors qu’elle représentent le poumon économique du pays. Ne faudrait-il pas rééquilibrer les dispositifs d’aide pour soutenir davantage les entreprises traditionnelles  ?

V.L : Il ne faut pas opposer les différentes catégories d’entreprises. Nous avons besoin de toutes nos entreprises, qu’il s’agisse des micro-entreprises, des start-ups, des TPE, des PME ou encore des ETI et également des structures de l’Economie sociale et solidaire. C’est d’ailleurs une chance d’avoir, dans mon champ d’action, l’ensemble de ces entreprises, car il est essentiel de les accompagner chacune à leur niveau. Les PME bénéficient également de dispositifs de soutien, comme dans le cadre de France 2030, et d’aides spécifiques pour certains secteurs, notamment l’industrie agroalimentaire, qui va être renforcée par un fonds annoncé récemment. Par ailleurs, Nous devons accompagner la croissance des PME vers le statut d’ETI pour renforcer leur compétitivité en Europe et à l’international.

Quant aux start-up, elles jouent un rôle crucial dans notre économie. Elles sont porteuses d’innovation et de créativité et participent à dynamiser l’ensemble de l’écosystème entrepreneurial. De plus, dans des secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle, il est essentiel que nous soutenions nos entreprises françaises pour rester compétitif face à la concurrence mondiale. L’objectif est donc de garantir un accompagnement adapté à chaque type d’entreprise, en favorisant la montée en puissance de nos PME tout en soutenant l’innovation portée par nos start-ups. Nous devons bâtir un environnement économique où toutes ces entreprises, quelles que soient leur taille et leur nature, trouvent leur place et puissent se développer pleinement.

 

En parlant d’innovation, la transition numérique est une priorité, mais beaucoup d’entreprises manquent de moyens et d’expertise pour se digitaliser. Comment mieux les accompagner ? 

V.L : Il est essentiel d’accompagner les entreprises dans leurs investissements et en particulier en matière numérique. Pour cela, plusieurs organismes existent déjà et offrent des solutions adaptées. Tout d’abord, Bpifrance joue un rôle clé en apportant un soutien financier, notamment sous forme de crédits en complément des financements bancaires traditionnels. Ensuite, la transition numérique doit également s’accompagner d’une ouverture à l’exportation, qui constitue un levier important de croissance. Or, la France compte moins d’entreprises exportatrices que des pays comme l’Allemagne. Business France intervient justement pour aider les PME à s’engager dans un processus d’exportation,  qui peut s’avérer complexe.

Les collectivités territoriales, notamment les régions, ont aussi un rôle à jouer grâce à leurs agences de développement économique, qui offrent un accompagnement aux entreprises dans leur digitalisation et leur expansion. Il est important de noter que l’accompagnement des entreprises ne se résume pas aux seuls appuis budgétaires. L’exportation, par exemple, représente une opportunité de croissance considérable, mais nécessite un soutien ciblé. Cela passe par la participation à des salons internationaux et la mise en place de dispositifs d’accompagnement adaptés.

Par ailleurs, un programme spécifique, ETIncelle, a été mis en place pour soutenir les entreprises souhaitant grandir rapidement,un défi souvent entravé par d’importants besoins de financement. Lancé fin 2023, il vise à accompagner 500 entreprises d’ici 2027, avec déjà 200 bénéficiaires à ce jour. Ce programme met à leur disposition un accompagnement personnalisé, mobilisant divers acteurs autour de leur développement, notamment à travers des outils d’intelligence artificielle. L’enjeu est de taille, et si la transition numérique est une priorité, elle doit s’inscrire dans une démarche globale de soutien aux entreprises. 

 

Les difficultés rencontrées par les entreprises ne risquent-elles pas de retarder ce qui est considéré comme « le plus grand défi des entreprises », à savoir la transition énergétique ? 

V.L : De nombreuses entreprises se sont déjà engagées dans des démarches de décarbonation, bien que de manière variée et avec une intensité différente selon les cas. Plusieurs dispositifs de soutien ont été mis en place, notamment France 2030 et auparavant France Relance. Il y a quelques semaines, le ministre de l’Industrie, Marc Ferraci, a annoncé au Salon de l’Agriculture la création d’un fonds destiné à accompagner l’industrie agroalimentaire dans sa transition écologique et durable. Cet accompagnement s’appuie sur des dispositifs de soutien significatifs, notamment via BPI France, qui joue un rôle clé dans le financement des investissements nécessaires à cette transformation.

L’un des principaux défis pour les entreprises reste le financement de ces investissements, souvent conséquents. Elles sont généralement prêtes à s’engager dans la transition énergétique, à condition d’avoir une rentabilité suffisante. C’est pourquoi la compétitivité des entreprises est un enjeu majeur : sans rentabilité, elles ne peuvent pas s’engager pleinement dans cette transition. Effectivement, la mobilisation de financements adaptés est essentielle.

 

Les PME font face à un autre problème : les retards de paiement. Pourquoi ne pas instaurer des sanctions beaucoup plus sévères pour les grandes entreprises qui abusent de leur position ?

V.L : L’impact des retards de paiement est estimé à environ 15 milliards d’euros, selon la Banque de France. Ce problème touche en priorité les PME et les TPE, qui sont souvent les dernières dans la chaîne des paiements et donc les premières à en souffrir. Il est clair qu’une amélioration des délais de paiement représenterait un levier important pour renforcer la trésorerie des PME et assurer leur pérennité et leur capacité à investir.

Face à cette situation, j’ai engagé des travaux pour revoir les sanctions actuelles, qui ne sont pas suffisamment dissuasives à l’égard des grandes entreprises. Un dispositif législatif est probablement nécessaire pour apporter une réponse efficace et durable à cette problématique. J’y travaille avec les parlementaires  Il est impératif d’apporter une réponse concrète à ce problème et d’instaurer des mesures plus strictes pour lutter contre ces abus. Par ailleurs, l’État doit lui aussi être exemplaire en matière de délais de paiement, ce qui nécessite un effort de longue haleine pour améliorer les pratiques administratives.

 

Vous avez commencé un « tour de France de la simplification ». Reste que la simplification des normes pour les entreprises est une volonté de longue date du gouvernement mais qui n’a pour l’instant pas pu être mise en place. Comment va concrètement s’organiser votre plan ?

V.L : C’est un enjeu majeur pour la compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, le coût des normes est estimé à environ 3 % du PIB, ce qui représente une charge importante. La principale difficulté pour un chef d’entreprise, c’est la perte de temps liée aux démarches administratives. Il doit pouvoir se consacrer pleinement à son cœur de métier, au développement de son entreprise et à l’innovation. Il est donc essentiel de réduire la complexité des normes et d’alléger les obligations administratives. Cela fait longtemps que nous parlons de simplification, mais il est temps d’agir concrètement. 

Un projet de loi visant à simplifier la vie économique sera bientôt examiné à l’Assemblée nationale. Son objectif est de réduire les démarches administratives, accélérer les délais d’exécution des procédures et des autorisations, et d’instaurer une culture de la confiance. Un dispositif clé de ce texte est la mise en place d’un test PME, inspiré de ce qui existe en Allemagne et aux Pays-Bas. Il permettra d’évaluer l’impact des nouvelles réglementations sur les entreprises avant leur application. C’est une demande forte des acteurs économiques.

Deuxièmement, nous travaillons sur un plan de simplification. Sur 50 mesures élaborées par le gouvernement au printemps dernier, j’en ai sélectionné 15 prioritaires.  Nous faisons régulièrement le point pour assurer leur mise en œuvre effective.  Derièrement, je m’engage à réduire le nombre  de formulaires administratifs (CERFA).Il existe aujourd’hui 1 800 formulaires CERFA, dont 500 dépendent du ministère de l’Économie et des Finances. Nous avons fixé un objectif concret : supprimer 200 CERFA dès cette année et privilégier la dématérialisation des démarches. Il n’est pas normal que nos chefs d’entreprise passent un temps aussi précieux sur ces documents.

Les PME peinent toujours à accéder aux marchés publics face aux grandes entreprises qui raflent la mise. Allez-vous imposer un quota de PME dans les appels d’offres de l’État et des collectivités ?

V.L : C’est une question essentielle, car l’accès des PME à la commande publique est un enjeu majeur pour leur développement. C’est un sujet qui revient systématiquement lors de mes déplacements Plus nous faciliterons l’accès des PME aux marchés publics, plus elles pourront en bénéficier et se développer.

Des mesures concrètes ont déjà été prises pour simplifier et renforcer la place des PME dans la commande publique : Deux décrets ont été adoptés fin décembre pour assouplir les procédures : Suppression de l’obligation de publicité et de consultation pour les marchés de travaux inférieurs à 100 000 €, ce qui simplifie l’accès des PME. Obligation pour les entreprises titulaires d’un marché public d’attribuer au moins 20 % de la valeur du contrat à des PME, contre 10 % auparavant.

Nous travaillons sur la création d’une plateforme qui permettra aux entreprises de renseigner une seule fois leurs informations et documents administratifs (numéro d’identification, attestations fiscales, etc.), sans avoir à les fournir à chaque appel d’offres. Ces documents seront automatiquement collectés via les bases de données des administrations. Cela évitera aux PME de perdre du temps avec des démarches répétitives et leur facilitera l’accès aux marchés publics.

Un tiers des dirigeants de PME vont partir à la retraite d’ici 2030. Or, la transmission d’entreprise reste un casse-tête fiscal et administratif. Que comptez-vous faire pour éviter une vague de fermetures faute de repreneurs ?

V.L : 700 000 dirigeants partiront en effet à la retraite d’ici 2030, et aujourd’hui, une entreprise sur deux ne trouve pas de repreneur. Ce constat est alarmant, car il touche directement l’emploi, le savoir-faire et la vitalité de nos territoires. La transmission d’entreprise est un enjeu aussi crucial que la création. Il est essentiel de donner plus de visibilité et d’informations aux chefs d’entreprise pour leur permettre d’anticiper cette étape clé. C’est pourquoi je vais demander un état des lieux précis, par secteur d’activité et par typologie d’entreprise, afin d’identifier les besoins spécifiques et les freins rencontrés.

Il est également primordial de sensibiliser les dirigeants bien avant l’âge de la retraite et de relancer le réseau “Transmettre & Reprendre”, qui a perdu en dynamisme ces dernières années. Ce réseau doit redevenir un véritable levier d’accompagnement pour les cédants et les repreneurs. Je propose d’organiser les Assises de la Reprise et de la Transmission d’Entreprise, un événement qui rassemblera tous les acteurs concernés : chefs d’entreprise, chambres de commerce, experts-comptables, notaires, banques et investisseurs. L’objectif sera de structurer un plan d’action concret pour lever les freins et favoriser les transmissions réussies.

Le financement reste l’un des principaux obstacles à la transmission. Nous devons mobiliser des dispositifs existants et encourager la création de fonds dédiés à la reprise des PME. Il est essentiel que ces entreprises, souvent familiales et garantes d’un savoir-faire unique, puissent perdurer dans un environnement concurrentie. Enfin, nous devons valoriser la reprise comme une alternative à la création d’entreprise. Aujourd’hui, lorsqu’un entrepreneur veut se lancer, il pense avant tout à créer son activité, alors que reprendre une entreprise existante représente une formidable opportunité. Il faut donc sensibiliser et former les futurs entrepreneurs, notamment dans les écoles de commerce et les formations spécialisées, pour qu’ils intègrent cette possibilité dans leur réflexion.

La transmission d’entreprise sera donc l’un de mes chantiers prioritaires, car elle est au cœur des enjeux économiques de demain. Nous devons tout mettre en œuvre pour sécuriser l’avenir des entreprises et garantir leur pérennité, au bénéfice de l’emploi et du dynamisme de nos territoires. Comme vous le voyez, je m’inscris résolument vers l’avenir avec optimisme, en m’appuyant sur la vitalité de notre réseau d’entreprise ancré dans les territoires, que je continuerai à soutenir avec force et détermination.


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