A peine quelques heures après la proclamation d’indépendance du gouvernement autonome de Catalogne vendredi dernier, la réponse de Madrid ne s’est pas fait attendre : le gouvernement de Mariano Rajoy a enclenché la mise sous tutelle immédiate de la région, en vertu de l’article 155 de la Constitution espagnole. Depuis des mois, la situation en Espagne préoccupe – au plus haut niveau – les capitales européennes. La médiation est l’une des voies envisagées par plusieurs protagonistes et observateurs politiques. L’avis d’un médiateur professionnel apparaît opportun.
L’héritage révolutionnaire de la France se trouve appelé en soutien de la royauté espagnole, laquelle reste très discrète. Depuis l’exécution de Louis XVI et malgré la proclamation de la séparation de l’église et de l’Etat en 1905, les présidents français se font princes et membres du clergé catholique – coprinces d’Andorre avec un archevêque et chanoines d’une basilique de Rome. Dans cette démocratie chaotique, les contradictions ne sont pas exceptionnelles. Dans ce contexte, la médiation par un politicien français préconisée par des élus français n’apparaît pas répondre aux exigences de l’indépendance de l’intervenant, d’autant que le résultat envisagé est déclaré devoir rester dans le périmètre de l’unité de l’Espagne.
Pour le président de la république française, la cause est entendue : la médiation repose sur la reconnaissance de l’égalité des parties en présence, donc comme ce n’est pas le cas dans la représentativité des protagonistes, pas de médiation possible.
Quelle médiation pour quel différend ?
Toutes ces positions sont le fait de parties qui pourraient avoir des intérêts. Ainsi, l’appel à la médiation, au nom d’un « conflit social et politique », tel que le définit la maire de Barcelone, mérite que l’on procède à une analyse. Que ce soit dans la perspective française ou espagnole, avec l’éventualité d’une séparation selon les aspirations catalanes, il est intéressant d’identifier la pertinence et l’implication de l’usage de la médiation dans cette circonstance.
D’abord, à quelle médiation pourrait-il être procédé ? S’il s’agit d’une médiation dont la finalité est un arbitrage, cette médiation ne présente d’intérêts que dans le différemment de la décision déjà prise par une instance qui s’estime en position de pouvoir contraindre. Ce n’est pas cette médiation que les insurgés Catalans appellent de leurs vœux.
Pour les médiateurs professionnels, spécialistes de l’accompagnement de projet relationnel dans des contextes détériorés, la question se pose de savoir s’ils peuvent intervenir.
Des conditions d’une médiation professionnelle
Pour conduire un processus structuré en médiation, le médiateur professionnel doit rencontrer et réunir des personnes en situation d’exercer de manière pleine et entière leur pouvoir de décision concernant le différend qui les oppose. Dans les relations interpersonnelles, l’affaire est simple : l’identification des parties ne fait pas l’objet de discussion. S’il s’agit de relations conjugales, les protagonistes sont connus.
Quand il s’agit de la relation d’une personne physique qui a une doléance vis-à-vis d’une personne morale, l’identification des interlocuteurs capables pour représenter cette dernière est plus difficile. Nous pourrions dire que c’est la personne avec qui le différend est survenu. Le plus souvent, du côté de l’organisation, le différend a pris une ampleur et plusieurs acteurs ont été mobilisées, ce qui rend parfois difficile la moindre identification.
Ainsi, pour savoir quelle intervention un médiateur professionnel peut conduire dans un différend sur des questions de nationalités, étatiques ou inter-étatiques, il convient d’envisager plusieurs aspects. Et dans tous les cas, il ressort, concernant le médiateur professionnel, plusieurs questions de posture.
Qu’est-ce qu’un représentant d’une organisation ?
Imaginons un litige avec une administration. Pour savoir qui peut intervenir lorsqu’un différend survient entre un administré et une administration, il convient de s’interroger sur l’origine de la difficulté. Est-ce une problématique administrative ou une question de susceptibilité ? Parfois, le blocage est renforcé par un jeu de corporatisme. Le comportement de l’administré peut avoir été mal vécu, mais ça ne fait pas une réalité de la difficulté administrative. Dans tous les cas, la question reste entière : est-ce ou non un problème dû à une difficulté relationnelle ? Le cas échéant, afin de contourner l’effet de corps, il est possible de faire appel à un tiers indépendant et connaissant l’administration pour rétablir l’administré dans son droit. Dans tout autre cas, ce tiers que l’on peut appeler « médiateur administratif » peut examiner l’éventuelle nécessité de transformer le fonctionnement insatisfaisant. L’administration n’a pas besoin d’être représentée dans les difficultés qu’un administré peut rencontrer dans ses relations avec des fonctionnaires, quelle qu’en soit la cause. Pour résoudre des différends dans ce contexte, un tiers possédant ou réunissant les compétences concernées peut faire l’affaire.
La confusion identitaire et la fiction culturelle
Lors de différends qui semblent impliquer des personnes morales, le phénomène de confusion identitaire se retrouve au cœur de la problématique.
La confusion identitaire consiste à prendre pour soi ce qui n’est pas soi. L’idée paraît simple, mais en approfondissant, il est même possible de s’égarer et de se perdre dans l’idée au point de tout mélanger. C’est le principe même de la confusion identitaire : induire en erreur sur le sujet même, le masquer, faciliter une dissimulation. Lorsque le procédé est utilisé en toute connaissance, il s’agit de la même stratégie décrite par Platon avec le mythe de Gygès.
La confusion identitaire fait identifier une personne à un groupe, affecte l’identité d’une personne fictive, comme celle d’une personne morale, à une personne physique précise. Elle fait disparaître les responsabilités individuelles. A une époque où l’individualité de tous n’était pas reconnue, et où celles des féodaux et des nobles étaient considérées comme supérieures, la confusion était sur cette question une chose si commune qu’elle ne pouvait être comprise par quiconque. La confusion était générale. Ainsi, les repères historiques valorisent l’identité de ceux qui se sont imposés aux autres, tandis que l’ensemble de la population se retrouve avec une identité collective. Il a fallu un changement de paradigme pour qu’une réflexion nouvelle s’amorce.
Convaincu d’un enjeu identitaire, un ensemble de fictions culturelles sont présentées comme des données originales et de grandes importances, en entretenant le principe régalien du « diviser pour mieux régner ».
Quid du dirigeant d’un pays ?
La rupture s’est faite au XVII° siècle. René Descartes a bouleversé la représentation de l’individualité. Il a cerné cet aspect en affirmant le « Je » dans les rapports au monde. Chaque individualité est concernée par sa démonstration. Celle-ci a porté sur ce qui est soi par rapport à ce qui ne l’est pas. Chemin faisant, dissuadant tout autre d’emprunter son chemin si ce n’est le sien propre, Descartes a autant clarifié ce qui fait soi que ce qui fait l’autre. Il a initié la reconnaissance de l’individualité et donc de l’altérité. Depuis, l’individualité est identifiable. Cette réflexion a été une ouverture vers la reconnaissance de l’individualité en tant que telle, avec ses légitimités, ses aspirations et ses droits. L’affirmation de soi en tant qu’unique, premier pas de reconnaissance de l’autre en tant qu’il est différent, sans l’être volontairement, intentionnellement, délibérément. En effet, de ce point de vue nouveau émerge l’identification de l’autre ; c’est l’émergence de l’altérité. Pourtant, la cause n’est pas entendue pour tous et dans toutes les circonstances.
La confusion identitaire confère à ceux qui en abusent la possibilité d’exercer une autorité au nom de cette identité dépersonnalisante. Faisant cela, ils s’imaginent plus puissantes. Ils puisent un rôle par lequel ils exercent un pouvoir, c’est l’autorité de fonction. Cette approche de la situation de ceux qui exercent un pouvoir permet de comprendre comment ils en arrivent à décider pour les citoyens – et ceux-là à se rendre victime de leur propre servitude – qu’ils prétendent représenter, au lieu d’être les porteurs du projet sociétal défini en commun et de faire les choses sans précipitation, car en réalité dans la vie sociale, il n’y a aucune décision qui ne puisse être remise au lendemain. Un constat s’impose : la mystique pré-cartésienne arrange ceux qui s’octroient des droits en les justifiant par leurs fonctions.
Qu’est-ce qu’un pays ?
Voici donc le risque de confusion auquel est exposé une personne en situation de représenter un groupe ou une entité. Cependant, tout ce qui est représenté n’a pas la même nature. Une administration est un outil dont le but est de répondre à différents besoins de l’organisation collective. Une entreprise aussi. L’ajout de la notion de culture d’entreprise crée une chimère. Mais ramenée à l’essentiel, l’entreprise est un instrument organisationnel pour répondre à un besoin par un produit ou l’apport d’un service. Il n’en va pas de même pour un pays. Un pays, c’est tout autre chose.
On pourrait croire qu’un pays a la même vocation organisationnelle. Mais en s’interrogeant sur l’origine même d’un pays, on obtient une réponse très différente de celle d’une administration ou de toute entreprise. L’origine d’un pays correspond à un accaparement d’une surface du globe par une bande humaine. Puis, transmis, disputé, l’héritage est associé à une appellation qui conduit ses habitants à s’attribuer un gentilé. Dans tout cela, la nationalité n’est rien d’autre qu’une fiction identitaire soumise à la volonté de ceux qui décident de la manière dont est gérée la parcelle terrestre concernée. Les titulaires de la nationalité y sont liés par un rapport plus ou moins étroit et plus ou moins clair d’appartenance ou de propriété. Les limitations d’aller et venir pour des titulaires d’identité, et de passer les lignes fictives de délimitation frontalière en sont les démonstrations.
La feuille de route d’un médiateur professionnel
Pour envisager une intervention efficace, il convient que le tiers soit positionné de façon professionnelle. En l’occurrence, un médiateur professionnel ne peut qu’être indépendant de toute autorité, impartial relativement aux parties, leurs enjeux et leurs intérêts, et neutre quant à la solution. Son absence d’implication est une garantie pour qu’il puisse accompagner tout type de réflexion en faisant prédominer la raison plutôt que l’émotion.
L’intervention d’un médiateur professionnel dans un conflit ayant comme enjeu l’autonomie ou l’indépendance d’une région de la Terre reste une authentique question. Ce que nous venons de voir démontre que :
- Le dirigeant est potentiellement en confusion identitaire ;
- Un pays est une invention qui parfois ne concerne que ceux qui à un moment donné exercent des pouvoirs sur une zone géographique et sur une population qu’ils identifient comme liées à leur construction ;
- La notion de nationalité repose sur un ensemble de fictions juridiques émergeant de la représentation précédente.
Ces points sont essentiels dans l’ancrage de la posture du médiateur professionnel. Si celui-ci adopte une position de reconnaissance identitaire, de réalité culturelle ou de légitimité revendicative territoriale, il sacrifie son impartialité. Non seulement il devient de parti pris, il ne préserve pas sa neutralité, mais non plus son indépendance. Autrement dit, il ne respecte pas son engagement éthique et déontologique.
Pourtant, si rien n’est fait, dans certains cas de revendication d’indépendance, un conflit meurtrier peut survenir. Mais est-ce le cas dans l’affaire Catalane ?
L’intervention du médiateur professionnel ne peut donc pas avoir comme axe directeur la nationalité ou la revendication territoriale.
Son axe doit rester centré sur les questions relatives à la qualité relationnelle. En l’occurrence, les enjeux de la médiation professionnelle, discipline de la conduite de projet relationnel, sont liés à la manière de vivre ensemble. C’est ainsi que le « Vivre ensemble » est ce qui fait la réalité de la préoccupation, par-delà tout autre. Pour les habitants de la Terre, le « bien vivre ensemble » est la préoccupation première de la Civilisation.
Alors, certes, dans cette compréhension des choses, il est envisageable de mettre en place un dispositif de médiation jusqu’à la définition d’une entente sociale, c’est-à-dire d’un processus de décision impliquant la clarification d’un projet démocratique. La feuille de route du médiateur professionnel est ambitieuse, puisqu’elle contient l’implication de la population restée silencieuse pour établir avec les parties leur projet relationnel.
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