La désinformation peut parfois faire peu de bruit et avoir des conséquences désastreuses, mais l’inverse est également possible. C’est la méthode choisie par la Russie en 2019 avec la divulgation de documents confidentiels concernant des discussions commerciales entre les États-Unis et le Royaume-Uni. C’est ce que révèle un nouveau rapport des chercheurs de Graphika, une société d’analyse des réseaux sociaux.
Selon la société, l’ampleur du travail fourni fait de la campagne Secondary Infektion un événement sans précédent. La compagne en question est tentaculaire, et pour mieux la comprendre, Graphika a créé un site web visant à recueillir la myriade d’opérations de désinformation du groupe au profit de recherches futures.
Depuis six ans, les spécialistes russes de la désinformation diffusent de faux récits et de faux documents sur toutes sortes de plateformes, dans le but de semer la méfiance et de faire basculer les élections dans les pays européens et nord-américains.
Dans des articles des plus surprenants concernant la campagne Secondary Infektion, on pouvait lire que des extrémistes complotaient pour assassiner le Premier ministre britannique Boris Johnson, mais aussi que la chancelière allemande Angela Merkel était alcoolique. Par la suite, des tentatives de faire basculer les élections ont eu lieu, avec notamment des attaques incessantes contre la campagne électorale d’Hillary Clinton en 2016, certaines publications la qualifiant en effet de « meurtrière ». Des accusations similaires ont été formulées à l’encontre de la candidature d’Emmanuel Macron à la présidence française.
Mais bien que cette diffusion de messages ait été sans précédent, ceux-ci sont rarement devenus viraux, et les chercheurs affirment que des mystères entourent encore le groupe. Camille François, directeur de l’innovation chez Graphika, explique : « À en juger par le contenu qu’ils ont publié, il semble que leur but était de nuire aux relations entre des pays que la campagne considérait comme des adversaires, mais aussi de soutenir les opérations d’information russes contre des cibles telles que l’Agence mondiale antidopage et le gouvernement ukrainien, et de saper les critiques du Kremlin ».
Il poursuit : « Tant que l’identité des opérateurs reste inconnue, leurs intentions demeureront un mystère ».
Facebook a attribué la campagne Secondary Infektion à des acteurs russes pour la première fois en mai 2019. Par la suite, en décembre 2019, des utilisateurs de Reddit ont associé cette même campagne à la fuite d’échanges commerciaux entre les États-Unis et le Royaume-Uni, information qui s’est révélée être exacte. Il s’agissait en fait du seul véritable effort de grande envergure du groupe dans sa tentative de perturber les élections britanniques.
Dès lors, Graphika a pu remonter aux origines de la campagne en 2016. Des petits forums spécialisés aux vastes plateformes telles que Facebook, Twitter, YouTube, Medium et Reddit, Secondary Infektion a pris une ampleur extraordinaire. Son thème le plus récurrent était de dépeindre l’Ukraine comme un État peu fiable et en faillite, mais également de convaincre le monde que les États-Unis et l’OTAN étaient agressifs et interventionnistes, comme le précisent les chercheurs. L’Europe était également une cible régulière, souvent décrite comme fracturée et faible.
De nombreux messages contenaient par ailleurs des messages pernicieux sur l’immigration et visaient souvent les réfugiés musulmans, les associant au terrorisme et à la violence sexuelle. Les chercheurs de Graphika apportent des précisions à ce sujet : « L’intention semble avoir été d’attiser les conflits raciaux et religieux dans les pays cibles ».
De plus, divers comptes mis en place sur les réseaux sociaux par Secondary Infektion se sont fait passer des hommes politiques de premier plan, dont le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, l’ancien Secrétaire à la Sécurité intérieure John Kelly, et le sénateur épublicain Marco Rubio. Par exemple, un faux tweet de ce dernier a accusé le Royaume-Uni d’interférer dans les élections de mi-mandat américaines de novembre 2018.
Ces derniers mois, des efforts ont été mis en œuvre pour pointer du doigt les États-Unis dans la création du Covid-19, une théorie conspirationniste très contestée. Le nom Secondary Infektion a été donné à la campagne en mémoire de l’opération « Infektion » de l’ère soviétique, qui avait accusé les États-Unis d’avoir créé le SIDA.
Cependant, hormis les fuites commerciales, aucun de ces efforts déployés n’a été suffisant. En effet, peu d’efforts concernant la campagne sur six ans ont eu un impact majeur.
Graphika explique : « Très peu de publications de la campagne ont atteint un engagement considérable, en termes de partages, de likes et de réactions positives sur les différentes plateformes. Cela peut indiquer que les acteurs n’étaient pas intéressés par les mesures d’engagement (par exemple, s’ils sont motivés par des quotas de production plutôt que par des objectifs d’engagement), ou qu’ils utilisaient une autre forme de mesures non visibles pour les observateurs extérieurs ».
Secondary Infektion ne s’est pas encore fait entendre à l’approche des élections américaines de 2020, mais les unités russes de désinformation et de cyberespionnage devraient faire un retour sérieux pour tenter de semer davantage de chaos dans un pays déjà assiégé par Covid-19 et les tensions raciales.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Thomas Brewster
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