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Un Pas De Plus Vers La Reconnaissance Du Cyberharcèlement En France

Ce lundi 21 septembre 2020, le Tribunal correctionnel de Versailles a prononcé une sanction exemplaire à l’égard du célèbre youtubeur Habannous S, connu pour sa chaîne de conseils en fitness, « Marvel Fitness ». Ce dernier a été reconnu coupable de harcèlement moral en ligne et de violence sur avocat, ce qui lui vaut une condamnation à deux ans d’emprisonnement dont un ferme avec mandat de dépôt, assortis d’un sursis probatoire de trois ans et 10 000 euros d’amende.

Outre, la médiatisation accrue de cette affaire et le caractère exemplaire de la sanction requise, cette décision permet de lever le voile sur un sujet encore trop méconnu et jugé tabou en France, à savoir le cyberharcèlement.

 

L’affaire Marvel Fitness

Pour comprendre la condamnation requise à l’encontre de Marvel Fitness, il convient de revenir aux faits de l’affaire. Marvel Fitness est une chaîne Youtube, dirigée par Habannous S., dit John Coffee et comptabilisant près de 150 000 abonnés. Elle était connue pour la réalisation de vidéos sur le thème du fitness où le jeune youtubeur prodiguait des conseils de musculation et de sport. Cependant, le contenu mis en ligne a très rapidement dévié vers la critique d’autres influenceurs. L’accusé réalisait de brèves vidéos, qu’il nommait « drama », dont le but était de faire le buzz en relatant dans les détails les conflits qui l’opposait à ses victimes. Habannous S. se décrivait lui-même sur son profil Instagram comme « un expert en drama ». Il n’hésite pas à se comparer à « l’image de marvel racaille » dont la fonction serait d’afficher en public ses concurrents plus connus pour gagner en reconnaissance et, par la même occasion de toucher et détruire leurs images. Les faits de harcèlement ont d’ailleurs débuté par la mise en ligne d’une vidéo de ce type intitulée « Fitgrils, niveau zéro », où Marvel Fitness s’attaquait à diverses sportives, dont Mme Aline Marganne, dite Aline Dessine, une jeune youtubeuse belge, partie civile au procès. A partir de cette première attaque, les diverses victimes n’ont plus eu de répit et se sont vues noyées par un flot continu de messages de haine, d’intimidation et d’insultes de la part de la communauté Marvel.

Si cette affaire peut être qualifiée « d’historique », « de hors-norme », « de folle », c’est parce qu’elle dénote au regard de nombreux éléments et, en particulier, du délit de cyberharcèlement invoqué devant le tribunal.

Elle surprend, d’abord, par le nombre de parties de civiles : neuf plaintes ont été déposées à l’encontre de l’accusé par six femmes et trois hommes, dont l’avocate d’une des victimes, elle-même cyberharcelée depuis plus d’un an.

La particularité de cette affaire réside également dans le délit dont s’est rendu coupable Marvel Fitness. Il lui est reproché d’avoir lancé des « raids numériques » à l’encontre de ses diverses victimes. Comme toute forme de harcèlement, le raid numérique se caractérise par trois critères majeurs : un critère quantitatif, les victimes reçoivent une masse de messages, vidéos, appels… à caractère haineux et injurieux, un critère temporel, les faits de harcèlement s’étale sur un grand laps de temps et un critère répétitif.

Cependant, la notion de raid numérique implique une complexité supplémentaire, elle repose sur un effet de masse mis en place par un initiateur. Me. Sabine Marcellin, avocate spécialisée sur la question des droits numériques décrit ce nouveau délit comme « le fait d’avoir incité d’autres personnes à rentrer dans la mécanique de cyberharcèlement et de créer une sorte de mouvement ». Ce délit implique de s’interroger sur la responsabilité d’un influenceur du fait du comportement de ses abonnés. L’une des lignes de défense à laquelle ont eu recours plusieurs harceleurs virtuels se concentre sur la dissociation de leur personne par rapport à leur communauté. Autrement dit, il s’agit pour eux de prôner une totale autonomie et indépendance à l’égard de leurs abonnés de sorte qu’ils s’estiment à l’abri de toute responsabilité pour des faits commis par ces derniers. A titre d’exemple, Fréderic Molas, co-créateur d’une chaîne youtube portant sur les jeux vidéos, explique que sa communauté ne peut être assimilée à « un Pokémon qui obéit bêtement aux ordres qu’on lui donne ». Au contraire, il voit dans ses abonnés un « rassemblement de gens ayant chacun leur cerveau et leur libre arbitre et qui font ce qu’ils souhaitent ».

Cependant, le statut d’influenceur implique une relation particulière à l’égard de ses abonnés ; leur réputation pousse leurs fans à agir de la même manière que celui qu’ils considèrent comme un « idole ». On en arrive donc à une situation où toute moquerie lancée sur un réseau social par une personnalité publique est systématique reprise et démultipliée par sa communauté. Certains influenceurs n’hésitent même pas à jouer de ce statut en appelant leurs abonnés à aller directement « répondre » à leurs victimes. Tel est le procédé dont a usé la chaîne Marvel Fitness. En qualifiant Me Laure-Alice BOUVIER « d’ennemi de Marvel Fitness », le youtubeur avait la volonté de monter sa communauté à l’encontre de cette dernière et les effets concrets s’en sont faits ressentir. Dans une vidéo en date du 25 septembre 2020, Me. BOUVIER prend pour la première fois la parole et explique que les abonnés de la chaîne Marvel Fitness ont été appelés à plusieurs reprises à demander sa radiation auprès du barreau de Paris. Par le biais de messages du type « go troll sur Facebook » ou « go raid », il était clairement question d’aller harceler en masse ses victimes. Ce point a d’ailleurs été mis en lumière par le procureur de la République lors de son réquisitoire puisqu’il a accusé Habannous S. « d’inciter, investiguer, inviter » les messages de haine envoyés aux victimes avant de qualifier les influenceurs de « nouveaux prêtres qui créent leurs propres Eglises ». Il arrive même parfois que certains membres d’une communauté prennent les devants en espérant gagner l’admiration et le respect de celui qu’ils considèrent comme « leur idole ». Ce phénomène peut être observé à la suite de procès : en story de la page Instagram de Marvel Fitness, il est demandé aux abonnés de cesser toute forme de messages haineux alors qu’en parallèle, les victimes continuent de recevoir quantité de menaces et d’insultes.

Si les influenceurs ont longtemps pu se retrancher derrière l’argument de l’autonomie à l’égard de leur communauté, la loi du 3 août 2018 est venue renforcer leurs responsabilités. L’instigation de faits de harcèlement en meute est désormais considérée comme un délit pénal, punissable de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

 

Le délit de raid numérique se caractérise également au regard des conséquences qu’il entraîne. L’envoi de messages haineux, outrageants et insultants doit avoir pour conséquence « d’entrainer une dégradation des conditions de vie et une altération de la santé physique ou mentale des victimes ». Ce processus a bien été décrit par les différentes victimes. Aline Dessine, partie civile au procès, relate les attaques à l’encontre de son physique et de sa santé. Si les conséquences morales et physiques du harcèlement sont relativement bien connues, le cyberharcèlement se singularise par des attaques plus ciblées au niveau financier et professionnel. En effet, bien souvent les réseaux sociaux servent de vitrine professionnelle pour les influenceurs qui cherchent à gagner en notoriété publique. En s’attaquant à leurs images, c’est aussi leurs reconnaissances professionnelles qui sont visées. Tel est le cas de Me. Laure-Alice BOUVIER, qui a subi diverses attaques numériques visant à mettre un coup d’arrêt à son activité d’avocate. Marvel Fitness et ses abonnés n’ont pas hésité à tenter de la faire radier du barreau de Paris, à baisser les notes de son cabinet sur Google, à remettre en question ses qualifications et à essayer de lui faire perdre certains de ses clients. Dans le même ordre d’idées, Aline Dessine, dans une vidéo parue à la suite du procès, relate avoir subi une attaque sur le plan professionnel : Marvel Fitness a envoyé des raids numériques à un responsable d’une marque de nutrition sportive qui la sponsorisait dans le but de faire cesser cette collaboration. Comme le relate M. Tristan DEFEUILLET-VANG le cyberharcèlement mis en œuvre par Marvel Fitness « touchait à toutes les sphères, ça touchait à la sphère morale, ça touchait à la sphère physique pour certains, ça touchait à la sphère financière, et ça touche même à la sphère professionnelle ».

Enfin, l’affaire Marvel se distingue par la sanction prononcée. Alors que le Procureur général douze mois d’emprisonnement dont huit mois ferme, le Tribunal est allé au-delà de ces réquisitions pour prononcer une peine de deux ans d’emprisonnement dont un ferme avec mandat de dépôt, assorti d’un sursis probatoire de trois ans, 10 000 euros d’amende et une interdiction d’actions sur les réseaux sociaux.

 

Les précédents                                               

Si l’affaire Marvel Fitness se singularise par la peine prononcée, le cyberharcèlement est malheureusement plus répondu que l’on ne l’imagine et ses conséquences peuvent être extrêmement dévastatrices. On se souvient, ainsi, qu’en 2018, en Grande-Bretagne, une adolescente de 16 ans, Sian Waterhouse s’était donnée la mort après plusieurs mois de cyberharcèlement.

En France, la première grande affaire en matière de cyberharcèlement et d’utilisation de raids numériques remonte à 2018. Un groupe Facebook baptisé la « ligue du LOL », regroupant plusieurs journalistes autour deux personnages centrales, Alexandre HERVAUD et Vincent GLAD, collaborateurs du journal web de Libération, est accusée d’avoir cyberharcelé plusieurs victimes, essentiellement des femmes, elles-mêmes issues du milieu journalistique. Les faits de harcèlement passaient essentiellement par le réseau social Twitter et se doublaient de propos racistes, homophobes et sexistes. Si les principaux protagonistes se sont vus infligés des sanctions disciplinaires, notamment des mises à pied, des suspensions provisoires et des cessations de collaboration, les suites judiciaires sont restées au stade embryonnaire. Dès février 2019, plusieurs avocats annoncent leur volonté de lancer des poursuites judiciaires à l’encontre des membres de la ligue. Cependant, outre la difficulté de recueillir des preuves, les victimes se heurtent à une seconde difficulté : les faits reprochés sont pour la plupart prescrits. La ligue du LOL a principalement été active de 2009 à 2013, or le délai de prescription est passé en 2017 de trois à six ans. Enfin, cette affaire n’a pas eu le retentissement escompté du fait de l’ambiguïté sur l’activité des victimes. En effet, comme a pu le révélé le magasin Marianne, il s’est avéré que certaines victimes de la ligue du LOL avaient elles-mêmes eu des comportements répréhensibles en harcelant à leur tour d’autres personnes. Ce constat a amené certains analystes à comparer Twitter à une zone de Far West où chaque clan s’affronterait par tweets interposés. Les réseaux sociaux apparaissent alors comme une véritable arène, une zone d’attaques par deux clans opposés.

Ces derniers mois ont été marqués par une accentuation du phénomène de cyberharcèlement. L’épidémie de la Covid-19 et les mesures de confinement que se sont imposées ont d’ailleurs une influence non négligeable sur ce phénomène. L’UNESCO faisait récemment remarquer que « Avec la fermeture généralisée des écoles et les mesures de distanciation physique, la vie des enfants et des jeunes se déroule désormais en ligne, ce qui nécessite l’adoption d’urgence de mesures en matière de sécurité numérique (…). D’autres problèmes pourraient survenir, parmi lesquels le phénomène répandu de cyberharcèlement, l’accès à des contenus préjudiciables, la hausse des comportements à risque et la collecte, l’utilisation et le partage inappropriés de données ».

Face à cette multiplication des affaires de cyberharcèlement, la question de l’efficacité de notre système juridique se pose de manière évidente.

 

Les réseaux sociaux sont apparus comme étant une zone de non droit, ou plutôt, un endroit qui se substituerait aux juridictions. C’est l’idée essentielle qui ressort de la comparaison de Twitter à une zone de Far West où à une arène. Dans cette logique, les différents sont amenés à ce régler directement en ligne par le biais des communautés propres à chaque protagoniste. Or, cette vision des réseaux sociaux échappant à la justice est parfaitement inacceptable dans un état de droit tel que l’Etat français. Tout le mérite du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Versailles sur le cas Marvel Fitness est de rappeler que le virtuel s’insère toute de même dans la réalité. Par voie de conséquence, il est ici question de nous faire prendre conscience que les faits de harcèlement en meute sont désormais punissables et que l’utilisation de pseudonyme ne protège pas d’une sanction pénale. Ce procès a donc une portée symbolique indéniable pour autant atteint-il le but qui lui est assigné, à savoir sensibiliser au harcèlement en ligne ? C’est tout l’espoir porté par Me. Laure-Alice BOUVIER qui appelle à « éduquer ceux qui suivent leur gourou ». Or, c’est avec regret que l’on doit dresser un premier constat d’échec de la stratégie préventive et pédagogique mise en œuvre par la juridiction. Si quelques anciens membres de la communauté Marvel Fitness semblent s’être ravisés en apportant leurs excuses sous les vidéos explicatives de M. Tristan DEFEUILLET-VANG et Mme Aline MARGANNE, les victimes continuent d’être harcelées et les fans de Habannous S. crient au scandale judiciaire.

En effet, le hashtag FreeMarvel déferle sur les réseaux sociaux au point même d’avoir été le troisième sujet le plus discuté sur Twitter le mardi 22 septembre 2020. Par ailleurs, une page Instagram, également intitulé FreeMarvel a été crée dans le but de soutenir le youtubeur par le biais d’une cagnotte en ligne et d’une pétition à l’encontre du jugement du Tribunal correctionnel de Versailles. Si la stratégie pédagogique à l’égard du harcèlement en ligne peine à aboutir aux effets escomptés, c’est donc vers l’aspect répressif qu’il faut se tourner en se demander si le corpus législatif actuel et les sanctions qui y sont prévues à l’encontre de ce délit sont réellement adaptés ?

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