PORTE-AVIONS | L’alliance militaire formée par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) en septembre dernier a largement contribué à la détérioration des relations franco-américaines. Cependant, Joe Biden et Emmanuel Macron auront l’occasion de raviver ces relations lorsqu’ils se rencontreront à Rome à la fin du mois d’octobre. Les présidents français et américain pourront discuter d’un accord sur un sujet important pour les deux pays : les porte-avions.
Une coordination maritime plus étroite entre la France et les États-Unis semble logique. Alors que ces deux nations cherchent à sécuriser de vastes zones économiques exclusives (ZEE), il est dans leur intérêt commun de renforcer la sécurité maritime, l’application de la loi et les normes juridiques en mer.
Ainsi, une collaboration renforcée en matière de porte-avions est un excellent point de départ.
L’alliance AUKUS : relations franco-américaines tendues, mais les intérêts stratégiques de la France et des États-Unis demeurent alignés
Durant la majeure partie du mois d’octobre, les diplomates américains ont fait la navette entre Paris et Washington pour limiter les dégâts causés par l’annonce de l’alliance militaire AUKUS. En parallèle, l’échec de l’accord de 65 milliards de dollars conclu entre l’Australie et la France pour l’achat de 12 sous-marins Shortfin Barracuda a exacerbé la colère de Paris face à ce camouflet stratégique.
Les présidents Joe Biden et Emmanuel Macron devraient se rencontrer lors du sommet du G20 à Rome les 30 et 31 octobre prochains, où ils discuteront certainement d’une multitude de projets visant à renforcer les relations franco-américaines. L’élection présidentielle française approchant à grands pas, Emmanuel Macron tentera de remporter quelques victoires qui plaideront en sa faveur au moment des élections, tout en renforçant l’autonomie stratégique de la France. Idéalement, il faudrait qu’Emmanuel Macron revienne du G20 avec un ensemble d’accords capable de compenser le ressentiment des Français après la crise des sous-marins australiens.
Certes, l’amélioration des relations franco-américaines est une question complexe qui ne se limite pas qu’à un seul sujet. Néanmoins, l’alignement des intérêts français et américains en matière de sécurité maritime offre une voie facile pour une « réconciliation » très médiatisée des deux parties lors du G20.
Alors que les États-Unis souhaitent relever toute une série de défis en matière de sécurité maritime, la France n’en est qu’aux premiers stades de son programme de porte-avions nouvelle génération (PANG). En effet, l’actuel porte-avions français, le FS Charles-de-Gaulle (R91), doit prendre sa retraite dans les années 2040. Pour remplacer ce porte-avions vieillissant, la France a l’intention d’en construire un nouveau de taille moyenne à propulsion nucléaire et Paris a demandé un soutien technologique aux États-Unis.
La conclusion d’un accord entre la France et les États-Unis constituerait donc une victoire facile. Les deux pays travaillent déjà ensemble sur ces problématiques maritimes. Collaborer plus étroitement sur cette question stratégique offrirait donc une réelle victoire pour les deux parties.
En matière de prestige et de puissance dans le domaine maritime, le seul navire qui égale la valeur stratégique du sous-marin nucléaire est le porte-avions à propulsion nucléaire.
Les États-Unis et la France pourront ainsi mettre en commun leurs connaissances sur ce sujet. En effet, les États-Unis disposent de la technologie brute, de l’expertise en matière d’intégration et de la plus grande expérience en matière de conception de porte-avions. Quant à la France, en développant un porte-avions plus petit d’environ 75 000 tonnes, elle offre aux États-Unis une réduction des risques et une démonstration de l’utilité des petits porte-avions modernes.
Dans quelques années, les États-Unis pourraient vouloir un porte-avions plus petit. Bien que le USS Gerald R Ford (CVN-78), un porte-avions massif (100 000 tonnes) de nouvelle génération, sorte d’une longue période d’essai et que trois autres exemplaires soient prévus, les experts en stratégie et les responsables du budget du Pentagone évaluent continuellement l’utilité des grands porte-avions américains par rapport à leur coût énorme. Par ailleurs, les États-Unis ont une grande expérience des porte-avions de classe Forrestal. Pour autant, cela fait plus de 50 ans que le dernier porte-avions léger (60 000 tonnes) de la marine américaine est entré en service. Ainsi, les connaissances outre-Atlantique en matière de conception de porte-avions de taille moyenne ont besoin d’un rafraîchissement moderne, et la France est particulièrement bien placée pour s’en charger.
Le système EMALS : un avantage de taille
Système développé par la marine américaine permettant le catapultage des aéronefs à bord d’un porte-avions à l’aide d’un moteur linéaire à induction électromagnétique, EMALS (Electromagnetic Aircraft Launch System) constitue un avantage de taille dont pourra bénéficier la France. Les systèmes de catapultage sont au cœur de la conception des porte-avions, et la France a besoin de cette technologie pour exploiter des avions plus lourds.
Les États-Unis et la France collaborent déjà pour implanter le système EMALS dans le prochain porte-avions français. Les discussions officielles ont démarré fin 2018, lorsque les deux pays ont signé une « Lettre d’offre et d’acceptation pour un cas d’étude », une première étape en matière de transfert de matériel militaire de haute technologie. En 2019, les deux pays ont présenté une estimation de l’ordre de grandeur des coûts. Les discussions techniques se sont poursuivies et, en décembre 2020, le président français a annoncé que le projet de porte-avions allait de l’avant. En avril dernier, l’ingénieur général de l’armement Nicola Hué, directeur de l’unité de management Avions de missions et de support, et le contre-amiral Éric Malbrunot, sous-chef du bureau Plans et programmes de l’état-major de la Marine, se sont joints aux derniers essais du USS Gerald R Ford (CVN-78). Selon Naval News, le nouveau porte-avions français à propulsion nucléaire sera équipé de trois catapultes EMALS, dont une pourrait être dédiée au lancement de drones.
Installer le système EMALS sur une plateforme plus petite est extrêmement utile. En effet, il est nécessaire de comprendre comment le système de lancement électromagnétique s’intègre dans un navire plus petit. Ces connaissances permettront d’intégrer le système EMALS sur des porte-avions moins grands à la fois aux États-Unis et également à l’étranger.
Plus ce système sera utilisé, plus les paramètres opérationnels d’EMALS pourront être élaborés rapidement. Ainsi, tester une plateforme avec des charges, des conditions et des régimes de maintenance différents ne fera que renforcer la fiabilité du système, tout en accélérant le développement de profits d’utilisation pour des avions de différents poids et tolérances d’accélération. Mettre en place des pratiques opérationnelles et de maintenance différentes peut permettre d’identifier des gains d’efficacité. Pour atteindre l’interopérabilité, il est donc nécessaire de travailler ensemble sur ces facilitateurs fonctionnels de base. Les États-Unis et la France en ressortiront gagnants.
Même un système aussi spécialisé que EMALS offre des possibilités de collaboration mutuellement bénéfiques dans le domaine de la surveillance maritime. Alors que les garde-côtes américains travaillent activement pour développer des plateformes de surveillance sans pilote, la possibilité d’étendre cette surveillance (en explorant, par exemple, les systèmes EMALS permettant l’utilisation de drones à partir de petits navires de patrouille) changerait la donne. Il s’agit d’un défi particulièrement intéressant à relever pour la France et les États-Unis : lancer et récupérer un réseau interopérable d’avions de surveillance sans pilote de haute endurance à partir de navires d’assaut amphibies français de classe Mistral, peu coûteux, et de bases mobiles expéditionnaires de classe Lewis B. Puller.
Une coordination dans les ZEE contestées
Avec des ZEE très étendues, la France et les États-Unis ont un intérêt commun à maintenir un environnement maritime sous contrôle. La France possède plusieurs territoires d’outre-mer stratégiquement placés dans des ZEE de plus en plus contestées. Paris et Washington sont donc confrontés à un défi de taille : surveiller plus de 11 millions de kilomètres carrés de zones maritimes. La mise en place de ressources communes de surveillance, d’analyse et d’intervention en mer est donc logique.
Plusieurs collaborations sont déjà en cours. En mer, les deux pays font régulièrement preuve de l’interopérabilité de leurs porte-avions. La France et les garde-côtes américains participent à l’opération canadienne Nanook et mènent d’autres exercices militaires multinationaux, ainsi que des opérations de recherche et de sauvetage en mer. Le travail conjoint avec Interpol sur la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, ainsi que la coordination continue en Océanie offrent une base solide pour construire une relation de travail plus étroite entre ces deux défenseurs d’un espace maritime plus ordonné.
Les garde-côtes américains mettent également en place des partenariats et des réseaux de surveillance pour identifier et réduire les comportements illicites dans le domaine maritime. Tout en travaillant avec la France sur son nouveau porte-avions, les États-Unis continueront à réfléchir à la possibilité de mettre en service des porte-avions plus petits et moins coûteux. Par ailleurs, il est aisé de transformer rapidement ces collaborations en cours pour en faire un portefeuille de projets de premier plan, plus profonds et stratégiquement plus importants.
Malgré la crise des sous-marins australiens et l’alliance AUKUS, la mer offre une base solide d’intérêts communs entre la France et les États-Unis. Lorsque Joe Biden et Emmanuel Macron se rencontreront à la fin du mois au G20, ils devraient saisir l’occasion de raviver les relations franco-américaines en concluant un accord sur une thématique précieuse pour les deux pays : des porte-avions fonctionnels et adaptés à l’avenir.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Craig Hooper
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