Hausse de l’inflation, inquiétudes sur la croissance, crise du climat, tensions géopolitiques sévères… Les marchés financiers répercutent depuis quelques mois l’instabilité du contexte mondial. Cela se traduit par des variations des cours boursiers, parfois marquées, à la baisse comme à la hausse : ce qu’on appelle la volatilité.
Dans ce contexte, difficile de garder son sang-froid pour investir. Quand les marchés s’agitent, nous nous posons tous les mêmes questions : dois-je faire un retrait sur mon assurance-vie qui baisse ? Est-ce au contraire le moment d’acheter des actions sous-évaluées ? Aurais-je dû choisir un autre produit, un autre établissement ?
Ces questions naturelles n’ont rien de rationnel. Par exemple, clôturer un placement en négatif s’il est destiné à financer un projet de long terme (votre retraite dans 30 ans par exemple) n’a aucun sens d’un point de vue économique. Et pourtant, aucun investisseur ne peut s’empêcher d’y penser à la vue d’une moins-value latente.
En cause : les biais cognitifs, des erreurs systématiques relevant de la psychologie comportementale, qui interfèrent avec nos raisonnements et nos prises de décisions. Ces biais influencent toutes les décisions de notre vie quotidienne, mais certains d’entre eux sont particulièrement redoutables pour nos comportements financiers.
L’aversion à la perte : éviter les risques fait perdre à tous les coups
Pour beaucoup d’épargnants, il est naturel d’éviter la prise de risque car notre cerveau associe la notion de risque à celle de perte.
Or, personne ne souhaite perdre de l’argent. C’est la raison pour laquelle nous avons tendance à fuir l’investissement en Bourse, qui présente un risque de perte en capital, pour privilégier les placements à capital garanti : les fonds euros des contrats d’assurance-vie, les livrets réglementés, voire tout simplement notre compte courant. Autant d’investissements qui n’en sont pas, puisqu’ils ne rapportent rien (dans le cas du compte courant) ou au mieux 2,5 % (moyenne espérée du taux des fonds euros en 2023 selon l’Insee), soit moins que l’inflation (près de 5 % actuellement). Concrètement, garder notre argent à l’abri d’un risque de perte… C’est en réalité perdre du pouvoir d’achat !
Notre cerveau nous induit en erreur car il est beaucoup plus sensible aux pertes qu’aux gains. Perdre 100 euros nous affecte 2 fois plus que de gagner la somme équivalente. C’est la conséquence directe de nos mécanismes ancestraux de peur et de protection.
Pourtant, les statistiques historiques sont formelles : sur le long terme, la tendance haussière du marché est plus forte que les fluctuations de leur cours de Bourse. Depuis 1970, nous avons assisté aux pires crises financières de l’histoire : le choc pétrolier (1973), la crise de la dette des pays émergents (1982), le krach d’octobre 1987, la bulle internet des années 2000, la crise des Subprimes de 2008, l’épidémie de Covid-19… Et pourtant, sur cette même période, l’indice boursier mondial MSCI World a progressé en moyenne de 10 % par an. En tenant compte de l’inflation, on peut estimer que cela donne un rendement de 5,5 % par an, sur plus de 50 ans.
Attention donc à ne pas confondre volatilité et perte. Investir n’est pas seulement le meilleur moyen de gagner de l’argent, c’est aussi le seul moyen de ne pas en perdre sous l’effet de l’inflation année après année !
Le biais du temps présent : un “tiens” vaut moins que deux “tu l’auras”
Même si nous savons qu’il faut investir pour préparer l’avenir, nous avons globalement du mal à nous projeter sur le long terme. La satisfaction immédiate prime souvent sur la perspective d’un progrès vers un objectif lointain.
C’est le biais du temps présent, qu’on pourrait aussi appeler le biais de la procrastination. Celui qui nous guide irrésistiblement vers ce restaurant entre amis plutôt que cette séance de sport dominicale à laquelle nous n’arrivons décidément pas à nous tenir. Celui qui nous encourage au bureau à traiter en priorité une multitude de petites tâches rapides, plutôt qu’à démarrer un grand travail de fond.
Idem quand il s’agit de nos finances personnelles. Préférez-vous gagner 1 000 euros aujourd’hui, ou attendre 6 mois pour en toucher, peut-être, 1100 ? Nous privilégions généralement le gain immédiat à la perspective lointaine d’un gain potentiellement plus élevé. De la même manière, nous avons la mauvaise habitude de consulter très régulièrement l’état de nos investissements et de prendre des décisions de court terme sous le coup de l’émotion. Par exemple : retirer notre argent placé lorsque les marchés baissent, de peur d’en perdre davantage, alors qu’attendre tranquillement la reprise serait bien plus intéressant s’il s’agit de sommes dont on n’a pas besoin dans l’immédiat.
Les marchés financiers ont besoin de temps pour faire fructifier notre épargne : il faut le leur laisser. Reprenons notre indice MSCI World. Sur un horizon d’un an depuis octobre 2022, on observe un rendement moyen de 17 %. Cette perspective de gain explose à long terme, à mesure que le risque de perte diminue : 30,4 % à 5 ans, 69,3 % à 10 ans et 150 % pour un investissement sur 15 ans, depuis octobre 2018 ! Pourquoi ? Parce qu’investir sur une longue période permet de bénéficier des intérêts capitalisés : les plus-values et les dividendes acquis la première année sont réinvestis l’année suivante, génèrent à leur tour des intérêts, et ainsi de suite.
Il faut donc envisager l’investissement non pas comme une perspective de gains immédiats à un instant t, mais comme un moyen d’atteindre nos objectifs à terme.
Les biais de traitement de l’information : trop d’information tue la décision
Ne pas confondre prise de risque et peur de perdre, envisager nos finances à long terme… C’est plus facile à dire qu’à faire. En réalité, notre cerveau n’est tout simplement pas capable de gérer avec discernement le flux d’informations continu que nous recevons.
Qu’il s’agisse des informations transmises par nos prestataires de services financiers (relevés de comptes), par les médias (suivi des marchés en temps réel), par les réseaux sociaux ou simplement par nos proches… Aucune ne peut être traitée objectivement, sans l’interférence de plusieurs biais cognitifs totalement inconscients.
Pour n’en citer que quelques-uns, commençons par le biais de confirmation : nous sélectionnons automatiquement les informations qui nous confortent dans nos choix. Nous sommes donc plus sensibles aux publicités de la marque que nous consommons qu’à celles de la marque concurrente. Et nous sommes plus réceptifs aux arguments en faveur de nos décisions financières (“le livret A n’est pas fiscalisé, il ne fait donc pas perdre de l’argent”), qu’à ceux qui les contredisent (“un placement qui rapporte est plus intéressant dans la durée, même en tenant compte de la fiscalité”). Le biais d’ancrage quant à lui, nous incite à rester fixés sur notre première impression, ce qui nous empêche de remettre en question nos choix. Le biais de cadrage est particulièrement pernicieux : nous pouvons prendre des décisions radicalement différentes selon la manière dont est présentée une même information. Pour reprendre l’exemple du MSCI World : si je vous dis qu’investir sur cet indice pendant 10 ans présente un risque de perte de 10 %, vous allez certainement fuir ce placement. Et manquer une belle opportunité d’obtenir en moyenne 69 % de rendement, que vous auriez sûrement saisie si je vous avais présenté les choses de cette manière.
En résumé, le volume d’informations que nous recevons est trop important. Nous avons donc recours à des raccourcis, des systèmes de pensée simplifiés, qui nous conduisent à prendre des décisions qui ne sont pas optimales pour notre argent.
La liste des biais cognitifs est encore longue. Nul besoin de continuer l’inventaire pour comprendre que nos choix financiers sont inévitablement biaisés.
Quelle est la solution ? Connaître ses propres biais est déjà un bon début. Il faut ensuite se fixer des règles claires de décision et surtout, s’y tenir. Pour cela, on peut commencer par éteindre la télévision, fuir les chaînes d’information et leur flot d’informations continu. Pour aller plus loin, déléguer la gestion de ses investissements peut être d’une aide précieuse : un professionnel sera toujours plus à même de vous aider à garder la tête froide face aux évolutions du marché.
Cet article a été écrit par : Numa Jequier, CEO de Nalo
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