Comme Montesquieu l’a écrit en 1748 :
« Aujourd’hui, nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières, chose que les anciens ne connaissaient pas. »
Ce texte de 269 ans est toujours d’actualité. Montesquieu peut être fier, mais il se retourne aussi probablement dans sa tombe en constatant que notre système éducatif ne s’est pas amélioré.
Le 3 décembre 2013, l’enquête PISA, réalisée par l’OCDE sur 150 pays, a classé le système scolaire français comme étant le plus inégalitaire : plus de 20% des élèves en classe de 6e ne sachant pas comprendre un texte simple et près de 30% ne maîtrisant pas les compétences mathématiques les plus élémentaires. Comment est-ce possible ?
Pourquoi les élèves dans d’autres pays réussissent-ils mieux que les nôtres ?
L’enquête BVA de mai 2015 indique que 66% des Français pensent que le système éducatif national se dégrade. Un rapport du sénat de novembre 2016 indique que le nombre de titulaires démissionnaires a doublé en sept ans, passant de 638 pour l’année scolaire 2009-2010 à 1 180 pour 2015-2016. Pire encore, le nombre d’enseignants stagiaires du premier degré démissionnaires a triplé. On ne démissionne pas d’un statut de fonctionnaire si tout se passe normalement !
Notre devise « Liberté, Egalité, Fraternité » en prend un sacré coup.
Liberté : Il faut se rendre à l’évidence, notre modèle d’enseignement magistral qui date de la création de la Sorbonne n’a pas fondamentalement changé. Les élèves sont tous derrière leurs pupitres, doivent écouter le discours du professeur et ne parler que lorsqu’ils y sont invités.
Aucune pensée hors du chemin prédéfini n’est autorisée… et comme c’est exprimé dans le film/chanson « Another brick in the Wall » de Pink Floyd, nous fabriquons des duplicatas.
Nous n’avons besoin d’aucune instruction
Nous n’avons besoin d’aucun contrôle de la pensée
Pas de sombres sarcasmes dans la classe
Professeur laissez ces enfants tranquilles
Hey professeur, laissez ces enfants tranquilles
De l’autre côté de la barrière, de plus en plus d’enseignants sont déçus par un système totalement fermé et des programmes non-adaptés. Le nombre de départs est à nouveau à la hausse comme indiqué dans le rapport du Sénat du 24 novembre dernier.
Egalité : Même si Jules Ferry a réussi à faire voter en 1881-1882 une série de lois rendant l’école primaire gratuite, et par conséquent la base d’un système très égalitaire, l’étude PISA de 2013 a montré l’échec du système en déclarant que la France est le pays le plus inégalitaire. Comment pouvons-nous arriver à une telle distorsion dans une école faite pour tous ?
Fraternité : Là aussi, la France est mauvaise élève en ce qui concerne le travail collaboratif. Les professeurs dans les autres pays demandent beaucoup plus de travail en groupe. Ils obligent les élèves à apprendre en équipe, à travailler ensemble pour avancer, à chercher sur Internet la résolution de problème. Toutes ces pratiques utilisées à l’étranger sont là pour faire apprendre mais aussi pour préparer l’élève à sa future vie professionnelle. Notre système reste trop orienté vers le travail en solo, assis derrière sa table et sans faire le moindre bruit. Nous promouvons au sein des classes une compétition entre individus… il faut être le meilleur. Qui n’a pas entendu « Si tu n’es pas dans le TOP 10 de ta classe, tu ne réussiras jamais ! » ?
Même chose pour nos enseignants. On leur demande de faire comme les autres. Faire les choses d’une manière différente n’est pas bien tolérée.
Une vie numérique qui a dépassé la vie à l’école
Nos élèves passent 867 heures par an sur les bancs de l’école tandis qu’ils passent près de 1000 heures devant un écran.
87% des enfants ont maintenant un smartphone qu’ils utilisent pour surfer, pour dialoguer via Facebook mais aussi pour jouer. Quasiment personne ne l’utilise pour apprendre et c’est dommage. Nous avons une population née avec un dispositif numérique greffé aux mains et nous n’arrivons même pas à l’utiliser pour lui transmettre des savoirs.
Un budget énorme qui exige des résultats.
Avec des budgets 2016 pour l’Education nationale de 66 milliards d’euros et de 23 milliards d’euros pour l’Enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que les 2 milliards cachés pour les cours privés (qu’on appelle aussi le Shadow Learning), nous arrivons à plus de 90 milliards d’euros par an. Naturellement, sans compter les dépenses des mairies, départements et régions.
Une telle dépense et une position très médiocre dans le classement PISA nous obligent à obtenir de meilleurs résultats.
L’Etat et les régions ont fait plusieurs annonces, comme par exemple l’achat de 800.000 tablettes pour les élèves de 5ème à la rentrée 2016. Mais combien sont dans des classés équipées d’un Internet haut débit ? Combien de profs ont été formés à bien exploiter cet environnement ? Combien d’écoles ont accès à des ressources pédagogiques et des exercices adaptés à ces tablettes ? Est-ce vraiment un bon choix d’investir dans ce support dans la mesure où – en considérant la chute des ventes niveau mondial – les tablettes sont du « has been ». Faut-il investir dans du « has-been » ?
Des sondages indiquent que seulement 20% des 800.000 tablettes ont été installées. Les autres 80% de nos élèves n’ont pas reçu le matériel promis par le gouvernement. Une honte ! Pourquoi ne pas avoir lancé une initiative orientée vers les smartphones. Au moins 87% des élèves auront eu accès aux environnements numériques d’apprentissage !
L’Etat a également annoncé en mai 2015 un grand plan de 1 milliard d’euros sur 3 ans pour le numérique. Mais quel numérique, dans quel contexte et pour quels usages ? Ce n’est pas en mettant un livre papier en format PDF que nous rattraperons notre retard. Sans réponse claire à l’ensemble de ces questions, cet énième plan est voué à l’échec. Nous devons adapter notre manière d’éduquer cette jeunesse.
Nos enfants demandent à manger du savoir et nous leur fournissons seulement des fourchettes.
Des solutions existent pour apprendre autrement. Pour en lister quelques-uns :
- La classe inversée
- L’encrage mémoriel
- Les MOOC
- L’apprentissage adaptif (adaptive learning)
- Les jeux sérieux (serious gaming)
- Le learning par l’exemple
- Les neurosciences pour résoudre les problèmes Dys (comme la dyslexie).
Ces nouvelles solutions exigent une nouvelle relation entre profs et élèves. Les professeurs sont prêts à évoluer vers cette nouvelle situation mais ils demandent un accompagnement pour s’assurer de l’efficacité de la nouvelle pratique. Ils n’ont pas besoin d’apprendre à utiliser une tablette ou un smartphone – ils ont besoin de connaitre les bonnes pratiques en classe pour pouvoir l’utiliser. Et ils ont raison, on n’expérimente pas avec l’éducation des enfants.
Mais ceci prendra du temps.
Regardez plus en détail un des champions. Depuis l’accès à l’indépendance du pays en 1965, Singapour a investi lourdement dans son système éducatif afin de produire une main d’œuvre éduquée et adaptée au monde du travail du XXe siècle. En 1997, le Premier ministre de Singapour Goh Chok Tong, résumait bien les ambitions du pays :
« Des écoles qui réfléchissent, une nation qui apprend. »
Et il a instauré plusieurs plans directeurs pour développer les liens entre les entreprises innovantes et le monde scolaire via la création de logiciels, de services et de contenus adaptés.
- Le premier plan de 1997 était là pour renforcer les liens entre l’école et le monde qui l’entoure. J’ai personnellement travaillé à cette époque à Singapour et j’ai subi un vrai choc culturel à mon arrivée. Au moins toutes les 30 minutes, une publicité à la télévision promouvait l’apprentissage. Qu’il s’agisse de logiciels bureautiques ou de langues, tout le monde devait apprendre pour avancer.
- Le deuxième plan vit le jour en 2003 et avait pour but d’encourager une utilisation plus généralisée des technologies et outils pour améliorer les processus éducatifs. Quelques années plus tard, 80% des écoles produisait les résultats attendus et Singapour se trouvait en haut de l’enquête PISA de l’OCDE.
- Un troisième plan a vu le jour en 2009. Il était centré sur le développement de l’apprentissage autonome, l’apprentissage individualisé, la participation accrue des élèves et l’apprentissage nomade.
Cet exemple de Singapour est riche d’enseignements pour la France et 20 ans ont été nécessaires pour y parvenir.
Autrement dit, la France a 20 ans de retard à rattraper.
Il est temps d’agir. Il ne s’agit plus d’injecter à nouveau des milliards d’euros pour obtenir de mauvaises notes mais de réussir le défi de devenir une nation apprenante.
Chers candidats à la Présidentielle, vous devrez réussir à relever ce défi dans votre quinquennat… sinon ce ne sont plus nos écoles mais vous qui devrez porter le bonnet d’âne du plus mauvais élève !
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