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Traquer les normes inutiles : un combat pharaonique à la portée d’un président jupitérien?

Cette année, l’ouverture de la chasse en France a été fixée au 15 septembre. Mais c’est un gibier d’une nature inhabituelle que le gouvernement a décidé cette année de traquer sans attendre cette date. Une proie qui donne du fil à retordre aux collectivités locales, aux entreprises et aux particuliers : les normes. Dès le 1er septembre 2017, entrera en vigueur une circulaire du Premier ministre publiée pendant l’été. Elle est consacrée « à la maîtrise des textes réglementaires et de leur impact »[1]. L’occasion de faire un état des lieux du combat mené par les gouvernements successifs contre l’inflation législative et réglementaire depuis une dizaine d’années, et d’identifier les nouvelles orientations qu’Emmanuel Macron et ses équipes pourraient prendre pour simplifier en profondeur la vie de nos entreprises et de leurs dirigeants.

L’anecdote est connue, mais tellement éloquente : un soir de 1966, un certain Jacques Chirac alors chargé de mission au Cabinet du Premier ministre présente à ce dernier une pile de décrets à signer. Il est alors loin de se douter que ces parapheurs en pagaille sur le bureau du chef du gouvernement vont lui valoir un sérieux « recadrage » de son patron : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! » lui rétorque sèchement George Pompidou, avant de poursuivre avec emphase : « Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! ».

Une scène qui n’en finit pas de se reproduire au quotidien depuis quarante ans au 57 rue de Varenne entre chaque nouveau locataire de l’Hôtel Matignon et ses collaborateurs.

Au point que la « chasse aux normes » semble être devenue la cible favorite de tous les gouvernements depuis au moins cinq ans. Nicolas Sarkozy, alors président-candidat en avait fait lui-même son cheval de bataille lors sa Campagne perdue de 2012.

C’est son successeur à l’Elysée, François Hollande, qui devait en mars de l’année suivante annoncer 150 mesures d’allègement de charge administrative, soigneusement rangées dans ce que le nouveau Président de la République devait alors appeler un « choc de simplification ».

Depuis cet été, c’est au tour d’Emmanuel Macron de reprendre la tête d’un combat qu’aucun chef de l’Etat Français avant lui n’aura finalement su mener avec succès sous la cinquième République.

La complexité administrative, ennemi irréductible de l’entrepreneur

La besogne s’annonce phénoménale. Car l’agacement chez les patrons est palpable lorsqu’on les interroge sur la responsabilité des administrations dans leurs propres difficultés à prospérer.

Pendant longtemps, ils ont avant tout pointé du doigt les prélèvements obligatoires comme source de leurs tourments. On se souvient de «l’ insurrection fiscale» savamment orchestrée par les «Pigeons » à l’automne 2012. Cinq ans plus tard, les annonces rassurantes du nouveau Président en matière d’imposition aidant (baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés et des cotisations sociales, réduction de l’assiette de l’ISF…), la donne a changé. C’est désormais le ras-le-bol administratif qui prédomine.

Les entrepreneurs français sont tout simplement exaspérés par les complexités administratives et les normes de toute nature, qui sont pour eux autant de boulets aux pieds. Des chaînes qu’ils aimeraient briser, alors que la compétition internationale leur impose de courir toujours plus vite.

Or, entre les directives européennes systématiquement « surtransposées » par des administrations tatillonnes et pratiquant la surenchère, et des textes à rallonge leur imposant toujours plus d’adaptation, la coupe est pleine pour les petits patrons. Beaucoup d’entre eux, au lieu de pouvoir consacrer toute leur énergie au développement de leur société, voient une partie non négligeable de leur temps accaparé par des mises en conformité coûteuses.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est la caricature de cette déviance bureaucratique, caractérisée par des textes souvent mal rédigés et ne cessant de s’allonger : alors que le texte initial présenté en Conseil des ministres comportait « seulement » 64 articles, la loi promulguée le 17 août 2015 en comptera finalement plus de trois fois plus (215 en tout).

D’année en année, on demande toujours plus aux patrons de TPE et PME sur tous les fronts : le Code du travail dont l’hypertrophie (plus de 3 800 pages) a été maintes fois dénoncée, l’obligation aberrante imposée par la Loi sur l’économie sociale et solidaire (dite « loi Hamon ») d’août 2014 d’informer les salariés des conditions dans lesquelles ils pourraient éventuellement racheter l’entreprise le jour où elle serait à vendre, ou encore la loi Sapin 2 promulguée le 27 mars dernier, et imposant de nouvelles obligations draconiennes de « vigilance » aux grands groupes, sans que le législateur ait pris la mesure des conséquences en cascade qui en résulteront pour leurs sous-traitants de taille moindre.

Résultat : des exigences supplémentaires qui pénalisent la compétitivité de nos entreprises, mais aussi l’attractivité du territoire français, régulièrement classé parmi les cancres de la classe internationale pour le poids des charges administratives subi par les sociétés étrangères décidant de s’y installer.

C’est toujours près d’un dirigeant étranger sur deux interrogé (46% exactement) dans la dernière édition du baromètre EY de l’attractivité[2] qui cite la charge administrative comme un frein majeur à l’installation en France, aux côtés de la fiscalité et du droit du travail, actuellement objets de réforme.

Tandis que la France continue de crier haut et fort qu’elle veut devenir une « start-up nation » et reconquérir les marchés mondiaux grâce à ses entreprises, elle semble toujours se singulariser par rapport à la trajectoire vertueuse des pays ayant décidé depuis plusieurs années de faire de la simplification et de la qualité du droit une priorité politique.

Préoccupation qu’on retrouve jusqu’au sommet de l’Union européenne, comme en témoignent les initiatives prises par la Commission présidée par Jean-Claude Juncker depuis 2015, ainsi que l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » intervenu le 13 avril 2016 entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne.

Indépendamment même de cet accord, la plupart des grands Etats européens ont pris des mesures pour simplifier et améliorer la qualité de leur droit interne, tant en ce qui concerne la production des normes nouvelles que le « stock » existant.

Difficile d’imaginer dans cet environnement international très incitatif que la France fasse plus longtemps cavalier seul.

Une simple circulaire face à une montagne de réglementations

La publication le 26 juillet dernier d’une circulaire du Premier ministre montre que la nouvelle équipe renonce à cet isolement européen.

Face à la complexité, l’empilement et l’inflation des normes, elle prévoit qu’à l’avenir « toute nouvelle norme réglementaire » sera « compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes »[3].

Une idée certes peu novatrice, puisque le « one in, one out » est déjà pratiqué avec succès par plusieurs de nos voisins européens, à commencer par le Royaume-Uni déjà engagé un coup plus loin dans le « one in, two out » depuis 2013. Mais mieux vaut tard que jamais pour la France…

Bien conscient de l’effet potentiellement déceptif d’une telle annonce, surtout si les Français devaient ne pas constater de rapides changements en découlant, Edouard Philippe concède volontiers que son texte, qui entrera en vigueur le 1er septembre prochain, n’est qu’une « première étape » de l’exercice de simplification entrepris par son gouvernement.

Une précaution imposée par l’ambition visée par un texte, dont le périmètre d’application s’avère limité : ainsi, ni les décrets pris pour la première application de la loi ou d’une ordonnance ni a fortiori les textes de loi eux-mêmes ne sont concernés par la réforme.

Au total, ce n’est donc qu’une toute petite partie seulement de l’arsenal normatif français actuellement opposable aux acteurs de la société civile (entreprises, associations, particuliers), et qu’Alain Lambert évalue à un stock total de 400 000 textes environ[4], qui sera touchée par la démarche.

Sur le plan politique, et après les excès de communication auxquels nous avaient habitué les gouvernements Ayrault et Valls lors du lancement des mesures, on observe un virage à la fois de communication et de méthode : avec cette annonce estivale, le nouveau chef du gouvernement choisit la politique des petits pas, et poursuit une stratégie marketing qui ne lui a pas si mal réussi jusqu’à présent : faire profil bas et privilégier l’exécution et la discrétion aux fanfaronnades.

Si la nouvelle partition de simplification jouée par le chef d’orchestre gouvernemental devait séduire son public, alors on devine qu’un second train de mesures plus ambitieux sera dévoilé par la suite. Posture flexible, autorisant à changer de cap le moment venu, si la tactique ainsi adoptée devait s’avérer médiocrement payante.

Cette prudence inhabituelle de début de quinquennat est habile. Mais il ne faudrait pas qu’elle dissimule un défaut de volontarisme politique. Car le chantier à mener est considérable.

Dix années d’impuissance à enrayer l’emballement normatif hexagonal

Preuve des attentes très fortes de la société civile sur ce sujet sensible, le Conseil d’Etat y a consacré pas moins de trois études au cours des vingt-cinq dernières années !

Son premier rapport en 1991 est resté célèbre pour une formule il est vrai bien sentie : « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite ». Tout était dit. Mais rien n’a bougé ensuite…

Un second pensum rendu public quinze ans plus tard a eu plus de succès, puisqu’il a inspiré l’instauration moins de trois ans plus tard des premières « études d’impact ».

Si le juge administratif suprême a cru devoir publier l’année dernière un nouvel opuscule (100 pages) intitulé : « simplification et qualité du droit »[5], c’est parce qu’il avait bien du mal à cacher son impatience face à des progrès désespérément lents accomplis par l’exécutif dans l’élaboration normative.

Dans ce dernier acte contributif en date, il dresse un constat très sévère de la situation, non sans rendre toutefois hommage au passage à l’initiative gouvernementale des dernières années, dont on sait qu’elle doit beaucoup à l’engagement et la sincérité des travaux accomplis par Thierry Mandon, alors Secrétaire d’Etat chargé de la Simplification (2014-2015).

Pour le reste, dixit le juge administratif suprême, le bilan des dix dernières années est marqué par une accumulation de défaillances. Et il ne mâche pas ses mots, évoquant tour à tour « désordre » et fluctuation permanente de l’organisation des pouvoirs publics chargée de l’œuvre de simplification, « contournement » des dispositions d’évaluation préalable des textes, enfin, et c’est le plus grave, « absence de résultats tangibles » du processus de simplification.

En clair, l’inflation normative n’a pas été stoppée : au moins 10 500 lois et 127 000 décrets sont toujours en vigueur aujourd’hui.

Autres maux encore, la sédimentation et l’instabilité de la norme n’ont en rien reculé non plus.

Conseiller du gouvernement dans ses projets de loi, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à lui tailler un costume XXL s’agissant du bilan des dix dernières années (2007-2016). Sans craindre de dénoncer le regard passéiste des administrations, accusées de continuer inlassablement à regarder le processus de simplification comme une « charge supplémentaire », plutôt que d’en soutenir la dynamique.

Mais les magistrats vont plus loin encore. Ils démontent méticuleusement le mécanisme « d’auto-alimentation » qui préside au phénomène de production des normes.

Pourquoi celles-ci prolifèrent-elles toujours ? Pour deux raisons essentiellement : premièrement, parce que toute nouvelle norme en amène d’autres (pour modifier les précédentes, pour garantir l’application effective du texte). Logique implacable. Deuxièmement, parce que la norme elle-même continue au plan politique d’être regardée par les gouvernements successifs comme « un vecteur privilégié de l’action publique ». Comprendre : un outil assumé de communication politique…

Un jugement que chaque entrepreneur pourra confronter à la réalité s’il le souhaite en se livrant à un petit test empirique, en apparence anodin : essayer d’intéresser un membre de Cabinet ministériel à autre chose qu’à un projet de loi ou de décret. Pas simple, car nombre de conseillers restent convaincus qu’on ne peut transformer l’économie (et la société) qu’à coups de normes, même si on leur explique que la « soft law » suffirait dans certains domaines à faire évoluer les esprits et les pratiques…

L’attachement au droit et à la loi au pays de Montesquieu est devenu sans borne. Au point que le Conseil d’Etat lui-même évoque, tel un Facteur qui se plaindrait de l’excès de courrier, le règne sans partage du « légicentrisme » au sein de l’appareil administratif de l’Etat.

De la circulaire Philippe à l’installation d’une politique organisée de sobriété normative

Dans ces conditions, une circulaire, bien que signée de la main du Premier ministre, peut-elle changer la donne, et mettre au pas des administrations trop fréquemment assoiffées de réglementation ?

On peut en douter, même si la résistance anti-normative de ces dernières années n’a pas été sans résultat. Beaucoup de normes inutilement contraignantes et à fort impact de dépenses pour les collectivités locales ou les entreprises ont ainsi été supprimées.

Un exemple parmi d’autres : la modification intervenue l’année dernière de l’arrêté du 7 avril 1981 qui imposait deux vidanges par an aux piscines municipales entre dans ce schéma de simplification, avec à la clé d’importantes économies depuis qu’une seule vidange est désormais requise pour les bassins supérieurs à 240 mètres carrés. Les petites victoires sont toujours bonnes à prendre…

D’autres initiatives heureuses ont aussi vu le jour, notamment à la faveur de la révision constitutionnelle de 2008, à l’origine de la création des « études d’impact », devenues obligatoires depuis la loi organique de l’année suivante.

La France s’est même dotée d’un Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), qui a examiné l’année dernière pas moins de 544 textes, générant des charges nettes de 5,5 milliards d’euros[6].

Ce ne sont pourtant pas de nouvelles structures que les entrepreneurs réclament, mais des résultats tangibles : ils attendent du gouvernement que celui-ci inflige à l’obsession normative hexagonale un coup fatal pour les libérer du carcan normatif.

Quel chemin suivre pour se débarrasser de cette complexité normative devenue si embarrassante ?

La suggestion d’Alain Lambert d’aller beaucoup plus loin dans les démarches d’évaluation des normes jusqu’à présent réalisées est une première voie à explorer en priorité.

Avec Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau, le président du CNEN recommande ainsi de ne point limiter l’évaluation au « flux », c’est-à-dire aux nouveaux textes, mais de l’étendre plus nettement au « stock ». C’est évidemment là que se loge tout le « gras normatif » à faire disparaître.

Pour y parvenir, les trois parlementaires suggèrent dans leur rapport du 9 février 2017[7] « d’engager dans la durée un vaste programme d’évaluation a posteriori de l’efficacité des dispositifs en vigueur dans les secteurs jugés prioritaires pour les collectivités territoriales », mais aussi d’insérer « dans les textes législatifs et réglementaires des clauses de réexamen, voire d’abrogation automatique, qui joueraient en cas d’absence d’évaluation ou d’évaluation négative a posteriori ».

De bonnes pistes assurément, mais qui ne seront pas suffisantes. Pour rassurer tout particulièrement les entrepreneurs sur ses bonnes intentions, le gouvernement gagnerait aussi à « professionnaliser » ses études d’impact ex ante.

Depuis 2009, celles-ci doivent en principe préciser les conséquences économiques, financières, mais aussi sociales et environnementales des nouveaux textes. Mais on sait bien que ce travail n’est pas toujours fait aussi sérieusement que nécessaire. Ce que pointe d’ailleurs le Conseil d’Etat dans son rapport de 2016, en appelant pudiquement à mieux « garantir la qualité des études d’impact », appelant à les rationaliser et les faire certifier par un collège de personnalités indépendantes.

Pour ce faire, la France peut dorénavant s’inspirer des modèles européens les plus avancés en la matière. Dès les années 2000, plusieurs pays européens ainsi que la Commission européenne ont adopté le Standard cost model (SCM) pour mesurer la charge administrative liée à une disposition règlementaire et la quantifier en termes financiers. En simplifiant, on peut dire que ce dispositif repose sur le calcul du produit de la population cible de la règlementation par le volume de démarches administratives résultant de cette réglementation et par le coût unitaire de chacune de ces démarches.

Par la suite, ce modèle appliqué tout particulièrement par notre voisin allemand, a été avantageusement complété aux Pays-Bas par le recours à une approche, dite Cost driven approach to regulatory burden (CAR), permettant d’évaluer, à partir de la structure de coûts de l’entreprise, ce que lui coûte la loi. Cette évaluation, qui complète l’évaluation résultant du SCM par une approche de terrain, présente le grand bénéfice d’évaluer l’impact global d’un nouveau texte sur la vie de l’entreprise, et non seulement la charge administrative qu’il induit[8].

Des solutions à méditer au plus vite par l’Etat et les élus locaux. Car, rassurer les patrons de PME, qui croulent déjà sous le poids des mises en conformité réglementaires et craignent par-dessus-tout les surcoûts générés par les nouveaux textes, conditionne aussi la confiance dans la reprise et leur dynamique d’investissement.

Surtout qu’il est de moins en moins admis par le plus grand nombre que le prescripteur (l’Etat), qui n’est pas le payeur, s’obstine souvent plus que de raison à imposer de nouvelles dépenses (aux collectivités publiques, aux entreprises…) à travers des obligations supplémentaires !

Quelle que soit la qualité des méthodes d’évaluation publique mobilisées par nos voisins européens, la France peut difficilement s’exonérer d’une autre interrogation à fort enjeu : l’administration est-elle vraiment, en toute hypothèse, la mieux placée pour réaliser de telles études ?

Non seulement ses cadres n’ont pas été formés à un tel travail jusqu’à présent, mais l’évaluation préalable qu’ils réalisent est souvent contournée par un recours croissant aux amendements, tandis que son déclenchement tardif réduit encore l’efficacité de sa mise en œuvre.

Une alternative consisterait donc à confier à un organisme indépendant le soin de réaliser les études d’impact, à charge pour ce dernier de couvrir un spectre d’analyse large, allant de la dimension juridique stricto sensu à l’évaluation des effets économiques et sociaux des nouvelles normes.

Le succès d’un tel dispositif reposera sur sa professionnalisation et la capacité de ses opérateurs à se doter de véritables instruments de mesure de la norme dans tous ses effets (calcul de charge administrative, coûts induits…). Prévoir également la possibilité dès que possible d’étendre le champ de l’évaluation à l’ensemble de la production législative, que celle-ci soit d’origine gouvernementale (projets de loi) ou bien d’origine parlementaire (propositions de loi, qui ne représentent actuellement que 28% des nouvelles lois chaque année), serait un plus.

Mais restons lucides. L’optimisation des études d’impact ne pourra jouer qu’un rôle d’auxiliaire dans la guerre désormais déclarée à la prolifération normative.

L’essentiel de la bataille se jouera encore plus en amont. « Franchir une nouvelle étape dans la lutte contre la maladie de la norme », prévient Alain Lambert, va nécessiter d’insuffler dans notre pays un vent nouveau de « sobriété normative ».

C’est au nom de ce principe qu’on peut d’abord réclamer des administrations qu’elles appuient sur la pédale du frein lorsqu’il s’agit de transposer les directives européennes, tout spécialement dans les domaines agricoles et industriels. Edouard Philippe le leur demande instamment dans la circulaire.

C’est au nom de cette exigence qu’on est en droit d’appeler aussi à la responsabilité administrative s’agissant de la formulation même des textes législatifs et réglementaires : une norme simplifiée, c’est d’abord une norme plus aisément compréhensible par le public auquel elle s’adresse.

Le seul moyen véritablement efficace dans la durée pour parvenir à gagner en clarté dans les textes produits n’est-il d’ailleurs pas d’associer ses destinataires, de manière à ce que l’administration réduise les risques d’incompréhension et, in fine, de mauvaise application de la norme faute d’un dialogue construit suffisamment tôt ? Les entrepreneurs sont à l’évidence disposés à une telle consultation.

Comme y invite, enfin, le Conseil d’Etat, on ne peut qu’encourager le gouvernement et les administrations placées sous sa tutelle à se poser, à chaque fois qu’ils envisagent l’hypothèse de recourir à un texte normatif, la question de savoir si d’autres options seraient possibles sans compromettre l’intention initiale à l’origine du projet d’élaboration législative ou réglementaire.

La « soft law » (règles de droit non contraignantes) constitue dans bien des cas un instrument pédagogique bien aussi performant pour atteindre des objectifs correspondant à l’intérêt général que la contrainte. Elle tient aussi mieux compte, au plan économique, de la grande hétérogénéité des situations (de géographie, de taille de l’entreprise, de secteur d’activité…) si difficile à prendre en compte dans toute sa diversité par le législateur et le pouvoir réglementaire dans un seul texte à prétention « universaliste ».

Se fixer un objectif politique annuel de réduction de la production législative (43 lois promulguées lors de la seule année parlementaire 2014-2015) et réglementaire annuelle permettrait peut-être aussi à Montaigne de reposer plus en paix, lui qui écrivait avec beaucoup de lucidité il y a déjà plus de quatre siècles qu’« il y a autant de lois en France que dans le monde entier ».

La simplification n’est pas une sinécure. On l’aura compris. La norme est un gibier fuyant, et qui a su déjouer jusqu’à présent tous les pièges de ses chasseurs pour la débusquer. Cela ne doit pas décourager le gouvernement de s’atteler de nouveau à la tâche, ni d’écrire une nouvelle page de ce combat contre un ennemi qui pour être invisible n’est pas pour autant indolore. Pour vaincre dans la durée, il est recommandé de mettre le processus de simplification normative à l’abri de toute surexposition médiatique, toujours susceptible de pousser à la faute. Volontarisme politique, rigueur méthodologique et consensus national seront les principaux autres atouts à réunir pour porter un coup fatal à la prolifération des normes dans notre pays, encore si « légicentriste » en ce premier quart de vingt-et-unième siècle.

[1] Circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise des textes réglementaires et de leur impact (publiée au JORF du 28 juillet 2017)

[2] 16ème édition du Baromètre de l’Attractivité de la France, EY, mai 2017

[3] Titre 2 de la circulaire précitée du 26 juillet 2017

[4] Evaluation issue du Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, par Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, 27 mars 2013

[5] Conseil d’Etat, Etude annuelle 2016 intitulée « Simplification et qualité du droit »

[6] Cf. en particulier « La simplification des normes relancée par les collectivités publiques et l’Etat », in Les Echos, lundi 7 août 2017, page 3

[7] « Franchir une nouvelle étape de la lutte contre la maladie de la norme », Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et Conseil national d’évaluation des normes, 9 février 2017

[8] Le SCM et le CAR sont expliqués de manière détaillée dans l’excellent article intitulé « Simplification pour les entreprises : comment nos voisins européens font », Rédaction entreprises, 26 février 2017

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