Si le marketing n’a clairement pas été sollicité pour attribuer un nom à cette deuxième version de Stop Covid, il semblerait que le gouvernement n’ait pas non plus entendu les critiques en maintenant un concept centralisé, incompatible avec les systèmes de nos voisins européens et bien entendu toujours aussi obscure dans sa collecte des données de masse et son usage final.
Il ne peut pas y avoir de confiance numérique si ceux qui portent le message ont le bénéfice du doute compte tenu des erreurs passées. Si l’application avait été achetée aux Chinois, le résultat aurait été le même et tout le monde s’accorde à dire que dans l’espace numérique, in fine, on ne fait confiance à personne. Cette perception de la confiance numérique en France est particulière et atypique en Europe, et s’explique en partie par son histoire.
La loi Informatique et Libertés mise à l’écart.
La France détient la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés ». C’est le seul pays au monde qui détient cette loi, interdisant le profilage religieux, ethnique et politique pour quelque motif que ce soit. Il est interdit en France de pouvoir distinguer dans un fichier informatique qui est blanc et qui est noir par exemple ou qui vote à droite et qui vote à gauche.
Depuis 1978, cette loi accompagne notre quotidien, nous la connaissons tous, même si beaucoup d’entre nous ont oublié pourquoi cette loi a été promulguée. C’était le député, M. Poniatowski (père fondateur de la CNIL lorsqu’il était ministre de l’Intérieur sous Valéry Giscard d’Estaing) qui l’avait proposé au début des années 1970 et elle fut rejetée à deux reprises. C’est quand l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) est passé de la carte perforée aux systèmes magnétiques pour centraliser le répertoire d’identification des Français, autrement dit les informations liées à notre carte d’identité de l’époque, que la question se posait vraiment de protéger les informations personnelles et pour rester dans la dynamique des Allemands et des Suédois qui avaient déjà légiféré dans ce sens. Mais le fond politique de cette loi invoquait l’idée que si demain la France venait à être occupée par l’ennemi ou son régime politique renversé par une dictature, il faudrait que le nouveau pouvoir ne puisse pas trier et identifier la population selon des critères ethniques, religieux et politiques. Ainsi, la loi permettait de freiner toute ambition de génocide sur une classe ciblée de la population et ne pas reproduire l’erreur de la Seconde Guerre mondiale durant le gouvernement de Vichy.
Une confiance à rude épreuve
TousAntiCovid va à contre sens de cette loi en permettant à l’État et ses sous-traitants, de bénéficier d’informations nominatives complémentaires et qui ne sont pas perçues comme essentielles et nécessaires par les citoyens. En effet, savoir avec qui vous êtes, quand et où, sont beaucoup d’informations pour savoir si une personne est cas contact ou non. Il suffit de savoir avec qui elle était selon les critères distance – temps pour connaitre l’information la liant à une contagion probable. Il faut se rappeler qu’en fin de compte le système collectait dans sa première version tous les contacts, quelle que soit la durée de proximité avec un probable malade. On ne sait pas aujourd’hui si l’application a été corrigée selon les préconisations de la CNIL. On ne sait pas non plus dans quelles conditions sont conservées les informations, qui peut y accéder et selon quels critères.
Il n’est pas raisonnable d’inciter les Français à ne pas utiliser un système qui permettrait de le protéger contre la pandémie. Même si son usage devient paradoxal au cours d’un confinement, puisque personne n’est censé croiser personne. Mais il est important de savoir que l’efficacité du système repose sur son acceptation par tous, ce qui veut dire 80 % de la population selon Éric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris qui l’affirmait sur France Info ce lundi 26 octobre 2020. Le Président de la République affirmait dans un post mardi 27 octobre que 14 millions de téléchargements seraient suffisants pour la rendre efficace, soit 20 % de la population. Il y a un désaccord entre le professionnel de santé et le politique sur un taux d’usage requis pour considérer la fonction TousAntiCovid efficace. Ainsi, la démonstration du déni de confiance est faite. Qui doit-on croire quand il n’y a pas une information calibrée reprise à l’identique par un tiers ?
Des nouveaux services pour un nouveau contrôle ?
Il est donc probable, que compte tenu du nom, de la façon dont le gouvernement promeut le service de l’application et la mauvaise image que nous avons de la version précédente, que ce travail d’amélioration soit un effort inutile. On pourrait alors craindre que l’application devienne obligatoire, mais cela est impossible puisqu’il n’est pas obligatoire d’avoir un smartphone, pour l’instant. Cependant, on pourrait s’attendre à ce que TousAntiCovid devienne indispensable par un usage indirect. En effet, le gouvernement prévoit d’offrir un éventail de services numériques en proposant des statistiques, des adresses de centres de dépistage, des rappels de consignes sanitaires et même une gestion dynamique des couvre-feux et autres stratégies sanitaires pour combattre la pandémie. Si par exemple, l’autorisation de circulation venait à être disponible qu’au travers de l’application, son usage deviendrait implicitement obligatoire si l’on souhaite circuler. Et le gouvernement n’est pas à un rejet près du Conseil constitutionnel, car une telle mesure serait discriminatoire à l’encontre de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas avoir un smartphone.
L’application pourrait même désactiver automatiquement votre autorisation de sortie si durant le confinement vous quittez la zone géographique autorisée ou vous circulez à un horaire non autorisé. Ainsi, votre flash code s’afficherait en rouge et non plus en vert pour permettre aux autorités de police de constater sans plus de vérification l’infraction.
Et sans rentrer dans la fiction, l’application pourrait vous adresser automatiquement une contravention si vous contrevenez aux directives. Dès lors, le mobile, tétine numérique du monde moderne, deviendrait notre « multipasse » façon Cinquième Element de Luc Besson. Ce vrai superviseur réglerait en un téléchargement le problème du maintien de l’ordre et de l’autorité de l’État. Que ce soit pour la pandémie, ou demain une interdiction de manifester. Ce bracelet électronique élégant et fort pratique serait notre juge social. Sans lui, on deviendrait automatiquement hors la loi. Qui le tenterait ? La Chine !
Une confiance toujours en péril
Le site du gouvernement affirme ce qui était reproché à la version initiale Stop Covid : désormais, il est impossible de savoir qui est où, quand et avec qui. Cette affirmation avait été dévoilée lors du lancement de la première version et les associations de défense des libertés individuelles avaient su démontrer au travers de la CNIL et de son rapport technique que le gouvernement devait revoir un certain nombre de détails relevant de la collecte de données nominatives. Désormais, il est indiqué qu’il est même possible d’effacer soi-même son historique. Cette fonction est tout de même ténue, car si vous réactivez votre compte TousAntiCovid, vous retrouvez votre historique. C’est par ailleurs l’un des avantages des systèmes centralisés, mais il révèle que dans le fond, l’historique est bien dupliqué sur un système central, ce qui est essentiel pour permettre de regrouper les contacts dans le cas d’une contamination.
Traquer un virus est un défi délirant que la solution digitale ne contribuera pas à maitriser, simplement parce que le facteur humain reste quoi qu’il en soit, la solution aux usages et ce dernier exige de pouvoir faire confiance à l’État. Ce que l’on peut constater, c’est que l’État aurait dû se tourner vers le marketing numérique et les professionnels du secteur pour construire une application attractive qui inspire la confiance. On dénonce unanimement l’absence de confiance envers les applications du GAFAM, mais on les utilise tous. Pourquoi ne pas en faire autant avec une application étatique ? Sans doute parce que l’État se veut pragmatique au bénéfice du sérieux qu’il se doit d’incarner. La disruption est une rupture interdite au sein de l’establishment politique et TousAntiCovid démontre peut-être que c’est le moment de commencer à faire autrement.
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