Les différentes velléités du Président Trump d’accroître le protectionnisme et renforçant les barrières tarifaires sur de nombreux produits chinois et européens et la dénonciation des pratiques commerciales chinoises ont remis au centre des débats la question du protectionnisme et son impact sur le commerce international.
Les premiers effets sont d’ores et déjà tangibles comme l’illustre le dernier rapport de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) révisant à la baisse ses prévisions de croissance des échanges internationaux. Cette dernière devrait augmenter de 1,2 % en 2019 et de 2,7 % en 2020 alors que les prévisions du mois d’avril tablaient respectivement sur une progression de 2,6 % et 3 %. De même, le Fonds monétaire international (FMI) relève déjà l’impact négatif des tensions commerciales sur la croissance mondiale. De fait, dans ce contexte, il est intéressant de comprendre si la France est exposée au risque protectionniste à travers l’étude de son insertion dans les chaînes de valeur mondiales.
La France demeure plus insérée dans les chaînes de valeur mondiale que la Chine et les États-Unis
Une chaîne de valeur mondiale représente l’ensemble des activités marchandes permettant d’amener un produit sur le marché, depuis sa conception jusqu’à son utilisation finale. Afin de comprendre comment la France est exposée au risque protectionniste, nous examinons l’insertion des entreprises industrielles françaises au sein de ces chaînes de valeur à travers l’utilisation de la base de données TiVA qui comptabilisent les échanges en valeur ajoutée.
Ainsi, l’insertion d’un pays dans les chaînes de valeur mondiales peut notamment s’évaluer en mesurant la part de la valeur ajoutée étrangère contenue dans ses exportations. En 2015, la valeur ajoutée importée s’élevait à 21 % pour la France et l’Allemagne, alors qu’elle était de 9 % pour les États-Unis ; 17 % pour la Chine et 12 % pour l’Union européenne (UE) en ramenant les flux intracommunautaires à des échanges domestiques. Bien sûr, cet indicateur est partiellement lié à la taille du pays considéré. En effet, plus un pays est grand et moins il est dépendant de l’extérieur pour ses approvisionnements et donc plus la part d’intrants étrangers dans ses exportations est faible. Cet indicateur dépend également du niveau de maturité du marché intérieur et de celui de l’appareil productif : c’est pourquoi les exportations de la Chine dépendent sensiblement plus d’importateurs étrangers que celles de l’UE ou des États-Unis. Ainsi, ces résultats montrent l’intérêt pour la France du marché européen pour faire face à la concurrence internationale.
Les industriels français consomment bien plus de valeur ajoutée chinoise que leurs homologues chinois n’importent de valeur ajoutée française et européenne
Le niveau de risque auquel les économies sont exposées en cas de regain protectionniste dépend de leurs rapports de force sur le marché international. Ainsi, en 2015, en France, 9,2 % de la valeur ajoutée étrangère consommée par l’industrie manufacturière vient d’Allemagne, 6,9 % de Chine et 5,4 % des États-Unis. Les autres partenaires européens de la France sont notamment l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Concernant la Chine, la part de la valeur ajoutée chinoise dans la demande finale manufacturière française a augmenté continûment et substantiellement passant de 2,5 % en 2005 à 6,9 % en 2015. En comparaison, la part de la valeur ajoutée américaine importée en France a également augmenté, mais pas dans les mêmes proportions (de 4,2 % à 5,4 % sur la même période). Tant et si bien que la Chine est passée devant les États-Unis comme pays fournisseur de l’industrie française depuis 2009. Cette hausse des importations chinoises n’est pas imputable à un secteur en particulier, elle s’observe dans l’ensemble des secteurs d’importation français et dans l’ensemble des secteurs d’exportation chinois. Les secteurs manufacturiers chinois ayant le plus augmenté leur contribution sont même très diversifiés: textile (+0,57 point entre 2005 et 2015), produits électroniques et informatiques (+0,52 point), industrie chimique et des produits minéraux non métalliques (+0,45 point sur la même période).
De même, les services marchands chinois ont eux aussi vu leur poids s’accroître dans la demande manufacturière française (+1,48 point entre 2005 et 2015). Les secteurs d’activité ayant le plus contribué à cette hausse sont le commerce, les transports, l’hébergement, la restauration et le secteur des activités financières et d’assurance.
Ces données illustrent la montée en puissance de la Chine. Le pays a su exporter davantage tout en ayant de moins en moins besoin d’importer. En effet, la part de la valeur ajoutée française dans la demande finale de l’industrie chinoise a baissé, passant de 0,8 % en 2005 à 0,6 % en 2015. Ce chiffre illustre la faiblesse de la présence française en Chine qui n’aurait peut-être pas pleinement bénéficié de l’essor économique du continent asiatique.
Les produits des industriels français sont plus dépendants de l’étranger que la Chine et les États-Unis
Afin d’évaluer l’exposition au risque protectionniste de l’industrie française, il est intéressant d’analyser le nombre d’étapes de production restant à parcourir par les produits issus de leurs usines avant d’atteindre leur consommateur final. L’hypothèse formulée est la suivante : dans le cadre d’une chaîne de valeur, plus un produit aura à franchir un nombre important d’étapes de production situées à l’étranger avant d’atteindre son ultime marché, plus l’entreprise qui le met en vente aura à pâtir de mesures protectionnistes à l’échelle mondiale. Pour ce faire, il existe l’indicateur de la distance à la demande finale. L’intérêt de cet indicateur est qu’il se décompose en deux sous-indicateurs : la distance domestique à la demande finale, d’une part, qui représente le nombre d’étapes de production domestiques par lesquelles a transité le bien, et la distance étrangère à la demande finale, d’autre part, qui compte les étapes situées à l’étranger. Ce deuxième sous-indicateur nous intéresse plus particulièrement.
On constate alors que les produits manufacturés français franchissent davantage d’étapes de production à l’étranger que les produits américains et chinois. Plus généralement, l’indicateur de la distance à la demande finale parcourue à l’étranger est plus important pour les producteurs européens que pour ceux du reste du monde : 0,41 étape de production à l’étranger en moyenne, contre 0,63 en Allemagne, 0,6 en France, 0,54 en Italie et 0,52 en Espagne. Les industries manufacturières européennes dans leur totalité affichent un indicateur supérieur à la moyenne mondiale (hormis Chypre). À l’inverse, les produits manufacturés chinois et américains passent par très peu d’étapes de production étrangères : 0,3 et 0,2 respectivement. Ainsi, selon ces données, la France demeure plus exposée au risque protectionniste que les États-Unis et la Chine mais se situe à un niveau d’exposition analogue à ses partenaires européens.
La forte intégration de la France dans les chaînes de valeur européennes la protège du risque protectionniste
Les indicateurs précédents montrent que la France apparaît exposée au risque protectionniste, davantage que la Chine ou encore des États-Unis. C’est, en effet, une économie ouverte, exportatrice, fortement intégrée dans les chaînes de valeur mondiale. Néanmoins, ce résultat est à nuancer car l’atout majeur de la France est d’être très fortement intégrée dans les chaînes de valeur européennes. Cette intégration protège fortement le pays des tensions protectionnistes provenant de l’extérieur de l’UE.
Face à l’Europe, la Chine se caractérise par un statut particulier. Ce pays s’insère dans les chaînes de valeur mondiales en tant que fournisseur des marchés extérieurs, tout en augmentant rapidement sa capacité d’autosuffisance. En d’autres termes, la Chine s’affirme comme une puissance industrielle de tout premier plan à laquelle doivent faire face les États-Unis, l’UE et bien sûr la France (cf. Alsif AS., Charlet V., Lesniak C., 2019 « La France est-elle exposée au risque protectionniste ? », La Fabrique de l’industrie – Presses des Mines, octobre).
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Article rédigé par Anne-Sophie Alsif, BSI Economic
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