Depuis la mort de George Floyd dans des circonstances terribles, qui a suscité une onde de choc aux États-Unis et dans le monde, de nombreux internautes se mobilisent pour mettre au jour des propos racistes et insultants grâce aux réseaux sociaux.
Karina Carbajal est une jeune Américaine de 22 ans. Après avoir vécu des années difficiles marquées par le harcèlement scolaire et le racisme au lycée Minooka Community High School, en banlieue de Chicago, elle a commencé à réfléchir sur la discrimination à l’école après la mort de George Floyd.
Elle a ainsi décidé de répertorier tous les incidents vécus par ses amis et elle sur un Google Doc, qui relate des histoires datant de 2011 à 2020. Le lien du document, qui fait plusieurs dizaines de pages, a été partagé sur Twitter, et plus de 60 étudiants et anciens étudiants du lycée Minooka se sont manifestés pour partager leurs propres expériences teintées de racisme. Au moins six élèves ont été dénoncés publiquement et accusés d’avoir proféré des insultes racistes, d’avoir pratiqué le blackface ou encore d’avoir associé les étudiants noirs à des dealers. De nombreuses autres accusations anonymes ont été publiées et le document comporte même une colonne qui propose d’insérer des preuves photographiques des incidents.
Lors d’une interview sur FaceTime, Karina Carbajal raconte : « Certains me disent que je gâche la vie de ces personnes. Moi je pense que c’est la seule manière de prouver que chaque action a des conséquences ».
Alors que les dirigeants et les figures historiques des États-Unis sont remis en question par de nombreux citoyens, une réflexion similaire mais invisible se déroule hors de la vue des autorités, sur les réseaux sociaux. Les adolescents et jeunes adultes font appel à leur communauté pour partager des fichiers similaires à celui créé par Karina Carbajal, mais aussi pour alimenter des comptes Twitter regorgeant d’histoires visant à dénoncer les commentaires racistes de leurs camarades.
Il est difficile d’estimer combien de listes de ce genre circulent sur internet, mais une simple recherche de mots-clefs sur Twitter (racist, google doc et high school) renvoie vers le document de la jeune femme et deux autres similaires, qui contiennent une cinquantaine de noms d’élèves provenant de tout le pays.
Les listes d’accusation et les comptes Twitter créés dans ce même but partagent un objectif commun avec la « Shitty Media Men list », un document rendu public en 2017 qui a contribué au mouvement #MeToo grâce à des détails anonymes sur certaines stars du monde du divertissement, accusés de harcèlement et d’agressions sexuelles.
Toutefois, cette nouvelle vague d’accusations portée par des adolescents va sans doute connaître les mêmes problèmes que la « Shitty Media Men list » et suscitera certainement le même débat : la parole est donnée aux victimes, et non aux accusés. L’histoire se complique encore plus car une grande partie des harceleurs ne sont pas des adultes en âge de travailler mais des adolescents, et bien souvent des mineurs (ou l’étaient au moment des faits en tout cas). Par ailleurs, de nombreuses accusations de racisme concernent des incidents qui se sont produits il y a plusieurs années, un autre facteur de complication.
Par exemple, la liste créée par Karina Carbajal et ses amis ne laisse aucunement la parole aux accusés. La jeune affirme être « certaine » que tout ce qui figure dans son Google Doc est vrai, car elle a examiné les réseaux sociaux des étudiants accusés et a pu constater un profil type. Elle a même retiré l’accusation d’une personne dont les preuves se sont avérées être fausses.
Les exemples partagés sur ces documents et ces comptes Twitter sont poignants. Dans l’un d’entre eux, un internaute raconte anonymement qu’un camarade de classe du lycée lui a juré qu’il « me mettrait en cage et m’enverrait à Trump pour que je puisse être expulsé ».
Cela dit, les accusés s’inquiètent de leur réputation : être catalogué publiquement comme raciste compromet leurs chances à l’université, dans le monde du travail et dans secteurs. Las accusés de racisme se défendent en insistant sur le fait que les transgressions, aussi terribles soient-elles, ont été commises alors qu’ils étaient encore adolescents, quand leur cerveau n’était pas encore entièrement développé. Ils rappellent par ailleurs que les enfants ont souvent tendance à adopter le comportement de leurs parents ou de leurs pairs ont pu modeler.
Laurence Steinberg, professeur de psychologie à l’université Temple, explique : « Les adolescents ne pensent pas de la même manière que les adultes. Ils sont moins enclins à anticiper les conséquences futures. Ils sont par nature plus impulsifs et moins capables de réfléchir avant d’agir ». Le professeur est expert en la matière, il a passé des années à étudier les adolescents et les jeunes criminels, en réfléchissant à la meilleure façon dont la société devrait les punir. Sa conclusion : « Pas aussi sévèrement que les adultes. Les enfants sont plus susceptibles d’attaquer autrui, c’est tout. Je ne pense pas qu’ils se demandent quelles seront les répercussions à long terme de leurs actions ».
L’une des listes les plus populaires a été créée par Khadia Barbosa, une étudiante de 20 ans de l’université d’État de Bridgewater, dans le Massachusetts. Comme pour celle de Karina Carbajal, celle-ci est facile à trouver sur Twitter grâce à des mots-clefs. Le document contient 47 noms d’hommes et de femmes de tout le pays, les établissements scolaires (lycée ou université) qu’ils ont fréquenté et d’autres informations diverses rassemblées grâce aux réseaux sociaux. Dans certains cas, on retrouve même l’adresse e-mail des accusés.
En revanche, la liste ne précise pas de quoi les individus sont accusés. À l’origine, chaque nom était lié à un autre Google Doc contenant des preuves de leurs actions, mais la jeune femme explique que Google a supprimé ce document. Cependant, encouragée par sa communauté, elle ne baisse pas les bras : « J’essaie de trouver comment créer un site web ou autre chose qui ne puisse pas être supprimé aussi facilement ».
En discutant avec nous sur FaceTime, Khadia Barbosa nous affirme avoir confiance en la véracité de sa liste : « J’ai l’impression que la grande majorité des faits est exacte ». La jeune femme est convaincue que tous les accusés de racisme méritent de subir les conséquences des actes qui leur ont valu d’être présents sur la liste. « Si vous avez 16 ans à cette époque, avec un accès à Internet pour vous informer et vous éduquer, il n’y a vraiment aucune excuse pour tenir ce genre de propos ».
Sydnee Lipscomb, récemment diplômée du Bethany College en Virginie occidentale, a elle aussi créé un document de 27 pages dénonçant les propos racistes tenus par d’anciens camarades. Les noms des accusés ne sont jamais mentionnés, en revanche certaines victimes choisissent de se révéler au grand jour.
Ce florilège de témoignages tire sa force de Twitter, où les jeunes adultes sont très actifs et partagent les informations en masse. C’est d’ailleurs l’ampleur de ce phénomène qui a poussé Skai Jackson, ancienne actrice sur Disney Channel et aujourd’hui youtubeuse avec plus de 1,3 million d’abonnés, à rejoindre le mouvement. Profondément touchée par le meurtre de George Floyd, elle utilise aujourd’hui son influence pour attirer l’attention sur les jeunes racistes. Depuis peu, son compte Twitter regorge d’accusations envers de jeunes adultes racistes, et certaines universités qui accueillent ces élèves (dont Yale) ont annoncé mener l’enquête sur les potentiels oppresseurs.
Depuis la semaine dernière, elle a identifié sur son compte Twitter plus de quarante accusés, lycéens ou étudiants pour la plupart. Elle partage aussi sur ses réseaux sociaux des captures d’écran ou des enregistrements vidéo qui prouvent les accusations de racisme. De nombreux clichés lui ont été fournis par d’autres internautes qui souhaitaient se joindre au mouvement. Une étudiante de Yale, dénoncée par la jeune influenceuse, a publié une lettre d’excuse où elle déclare : « Il y a 3 ans, j’avais 15 ans. J’ai fait une erreur terrible. J’ai utilisé un mot sans en connaître la signification profonde, par ignorance et par stupidité ».
Si les réseaux sociaux permettent à certains de faire leur propre justice, elle permet aussi à d’autres de tenter de se justifier, et le danger est de parvenir à démêler le vrai du faux.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Abram Brown
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