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Qui est Robert Lawrence Kuhn, banquier d’affaires américain et expert de la politique chinoise qui a permis à la Chine de se moderniser ?

Chine
Source : GettyImages

Pendant 30 ans, vous avez travaillé avec l’élite politique nationale chinoise et conseillé le gouvernement chinois. A L’occasion du 40e anniversaire de la Réforme et de l’Ouverture de la Chine (18 décembre 2018), le président Xi Jinping vous a décerné la China Reform Friendship Medal, la plus haute distinction qu’un étranger puisse recevoir en Chine. La médaille a honoré les dix étrangers qui ont le plus contribué à la réforme et à l’ouverture de la Chine au cours des quatre dernières décennies. Seuls cinq des étrangers sont encore vivants ; vous êtes l’un des deux Américains. Si vous deviez choisir un mot clé pour décrire votre contribution à l’ouverture de la Chine, quel serait-il et pourquoi ?

Robert Lawrence Kuhn : Décrire en un mot 32 ans de travail avec la Chine est difficile, mais je choisirais celui de « fascination ». Je suis fasciné par le développement remarquable de la Chine et par la complexité des problèmes auxquels le pays est confronté aux niveaux national et international. J’ai deux engagements principaux en Chine: mes analyses politiques, économiques et sociales sur les médias internationaux et chinois, et mes conseils stratégiques auprès de grandes multinationales opérant en Chine.

J’ai découvert la Chine à travers des perspectives diverses. Comme je suis Docteur en neurosciences de formation et banquier d’affaires / stratège d’entreprise de profession, j’ai d’abord été invité en Chine pour donner des conseils sur les premières réformes des secteurs scientifiques chinois. Une deuxième ouverture à travers laquelle j’ai exploré la Chine a été la politique de l’élite du Parti et ses fondements philosophiques. Comme le Parti communiste chinois (PCC) dirige le gouvernement, de manière perpétuelle, et comme l’idéologie est à la base du PCC, ses principaux slogans révèlent un sens plus profond : «chercher la vérité à partir des faits» de Deng Xiaoping réfute l’absolutisme de Mao, les «trois représentations» de Jiang Zemin visent à moderniser l’idéologie du PCC et les «concepts scientifiques de développement» de Hu Jintao fixent des objectifs au-delà de la simple croissance du PIB.

Ceci est encore plus significatif aujourd’hui avec la «Pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux  caractéristiques chinoises pour une ère nouvelle». Celle-ci définit le chemin vers la Chine  de 2035 et la Chine de 2050 pour tous les domaines de la société, de l’économie et des affaires à l’éducation et aux soins de santé en passant par la diplomatie et la défense. Ces dernières années, je me suis également concentré sur le sujet de la réduction de la pauvreté rurale en Chine. La Chine avait pour ambition d’éliminer toute pauvreté absolue ou extrême d’ici 2020, une mission accomplie désormais. Réduire la pauvreté relative est désormais l’objectif, avec un nouvel engagement en faveur de la «revitalisation rurale». L’Occident doit comprendre que c’est le même système politique  dirigé par le PCC qui a éliminé la pauvreté absolue et qui a aussi réussi à contenir le coronavirus.

Ma contribution à la Chine a été d’expliquer au public occidental l’Histoire riche et complexe de la Chine, et de transmettre au public chinois l’Histoire nuancée et complexe de la pensée occidentale. Au fil des ans, j’ai commenté dans de nombreux médias grand public tels que la

BBC, CNN, CNBC, Bloomberg, les politiques et le système politique chinois, expliquant comment les dirigeants chinois raisonnent et ce qu’ils veulent réaliser. De même, je fais souvent des interventions dans les médias chinois.

J’ai écrit mon premier ouvrage sur le métier de banquier d’affaires publié en langue chinoise en 1996 et je me suis ainsi fait connaître dans les cercles gouvernementaux chinois ainsi que dans les milieux des banquiers d’affaires et des financiers. (Dans les années 1990, j’étais président de la plus importante société de fusions et acquisitions aux États-Unis en termes de nombre de transactions.). Mon premier film documentaire sur la réforme de la Chine a été diffusé en 2000, montrant à la fois le côté positif, les nouveaux entrepreneurs et les côtés négatifs, comme les premières faillites en Chine avec des employés mis au chômage, des femmes venant de la campagne exploitées par des familles citadines, etc. C’était un film que les Chinois n’auraient jamais pu faire. Quand il a été salué par la critique (le Washington Post l’a mis en exergue), j’ai pu capitaliser sur ce succès. J’ai ensuite écrit The Man Who Changed China: The Life and Legacy of Jiang Zemin. C’était la première biographie d’un dirigeant chinois vivant. Il est devenu le livre de non-fiction le plus vendu en Chine en 2005. J’ai acquis la réputation d’être un observateur impartial de la Chine. Dans mon livre suivant, How do Chinese Leaders Think, publié en 2009 et 2011, j’ai longuement interviewé Xi Jinping lorsqu’il était secrétaire du PCC de la province du Zhejiang. Xi Jinping m’a donné des clefs pour mieux comprendre la Chine, dans son Histoire et sa géographie.

Mon documentaire le plus récent, China’s War on Poverty, produit par Adam Zhu et réalisé par Peter Getzels, raconte de l’intérieur avec un accès privilégié, l’histoire de la campagne historique de la Chine pour la «réduction ciblée de la pauvreté», qui a permis à 100 millions de pauvres de sortir de l’extrême pauvreté, montrant ainsi comment le système du Parti-État fonctionne réellement en Chine, intégrant la politique nationale avec cinq niveaux de gouvernements locaux (provincial, municipal, comté, canton, village).
En tant qu’observateur qui ne veut ni blanchir ni condamner la Chine, je me considère privilégié d’avoir beaucoup appris au cours de mon long engagement avec l’Empire du Milieu.

 

Robert Lawrence Kuhn : Mes compétences de banquier d’affaires me permettront d’évaluer rapidement si une entreprise étrangère a de bonnes chances de succès en Chine et définir un positionnement et une stratégie optimum.

 

Dès 2006, vous avez créé une joint-venture avec le journal du Parti, People’s Daily, pour produire Global People, un magazine. Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs français souhaitant créer des joint-ventures dans les médias chinois et dans d’autres industries ? Comment avez-vous géré à la fois la distance culturelle et le paysage politique chinois ?

R.L.K. : Le secteur des médias chinois est unique parce que le gouvernement est le propriétaire de jure de tous les médias du pays. Cependant, il existe des opportunités pour les entreprises étrangères en partenariat avec des entités nationales. Les facteurs clés sont la crédibilité de la société étrangère et ses contributions à la Chine, le réseau de relations et la capacité de montrer que son projet sera globalement bénéfique. Il faut concevoir un positionnement

stratégique gagnant-gagnant. Parfois, la Chine demandera à l’entreprise étrangère de représenter des produits chinois ou diffuser du contenu audiovisuel chinois sur son marché intérieur par souci de réciprocité.

En tant que banquier d’affaires, j’ai conseillé de nombreuses multinationales, telles que SAP, EMC, EY et Disney. J’ai également travaillé avec des entreprises plus modestes où en contrepartie de mon intervention, je devenais actionnaire minoritaire de la filiale chinoise. Pour IMG, la plus grande société de management sportif au monde, j’ai créé avec Adam Zhu une joint-venture en Chine qui a fait passer la  valeur d’IMG China de 0 à neuf chiffres.

Mes compétences de banquier d’affaires me permettront d’évaluer rapidement si une entreprise étrangère a de bonnes chances de succès en Chine et définir un positionnement et une stratégie optimum. Les grandes multinationales ont généralement des problèmes spécifiques, parfois d’expansion, parfois existentiels ce qui me demande un travail de conseil plus ciblé, y compris dans les relations publiques.

Une petite entreprise française que je conseille est le Château de Vacquié qui se développe en Chine sous la marque Armagnac Compagnon. Celui-ci utilise des méthodes de production biologiques et de l’énergie renouvelable pour produire l’Armagnac, la plus ancienne eau-de-vie toujours distillée aujourd’hui. Ils ont besoin d’une stratégie marketing solide et d’un accès aux distributeurs et détaillants, ainsi que d’une protection contre la fraude, le tout dans un marché où le Cognac est largement dominant. Nous pensons qu’un vignoble français historique familial haut de gamme pourrait se créer une niche à succès en Chine sur un marché de l’alcool bientôt surpassant celui des États-Unis.

 

Vous avez écrit L’homme qui a changé la Chine : la vie et l’héritage de Jiang Zemin. C’était un best-seller en Chine en 2005. Vous n’aviez aucune expérience de reportage, et personne n’avait jamais publié la biographie d’un dirigeant chinois vivant. Finalement, vous avez obtenu la coopération de Jiang lui-même. Vous avez dit que Jiang vous avait invité à un dîner à Pékin avec son entourage et insisté pour que tout le monde parle anglais. Comment avez-vous gagné la confiance de l’ancien chef suprême et de ses collaborateurs ?

R.L.K. : En Chine, la confiance est encore plus importante que dans d’autres sociétés et se construit lentement. Ayant déjà connu une certaine réussite professionnelle en tant que banquier d’affaires aux États-Unis, je n’étais pas motivé par des incitations financières. Au cours des années, j’ai appris à connaître quelques amis de longue date de l’ex-président Jiang; par exemple, un scientifique de haut rang. Les conseillers du président Jiang ont rapidement compris que je ne serais ni son porte-parole, ni son détracteur. L’un des amis de Jiang Zemin a déclaré aux médias que le président Jiang lui avait dit: «Kuhn a écrit objectivement; il n’a pas essayé de me glorifier mais il s’est trompé sur ma date de mariage. » J’avais obtenu cette date du témoin de mariage de Jiang Zemin lui-même, il aurait pu se tromper, bien sûr, mais je pense que le président Jiang voulait plutôt indiquer qu’il n’approuvait pas tout dans le livre, d’autant plus que certains de mes écrits ne correspondaient pas à la «ligne du parti». Dans la politique chinoise, des mots apparemment insignifiants peuvent avoir un impact considérable.

La première fois que j’ai rencontré Xi Jinping était en 2005 à Hangzhou lorsque je lui ai présenté une copie de ma biographie de Jiang Zemin, seulement quelques semaines après sa publication (Xi Jinping était alors secrétaire du Parti de la province du Zhejiang). Xi Jinping a ouvert le livre sur une page où le président Jiang était photographié en train de chanter avec trois femmes militaires. Xi     Jinping en a pointé une du doigt et m’a demandé: «Savez-vous qui elle est?» Quand j’ai répondu d’un ton penaud, « non », il a souri et a dit: « C’est ma femme! ». À cette époque, l’épouse de Xi Jinping , Peng Liyuan, une chanteuse folk réputée et très admirée, était plus célèbre que lui. J’avais supposé que  Xi Jinping n’avait pas lu mon livre, mais il est clair que le président Jiang lui-même lui avait envoyé un exemplaire.  C’est pourquoi quand on m’interroge sur les rumeurs selon lesquelles les deux dirigeants ne s’entendent pas, puis sur d’autres rumeurs selon lesquelles ils s’entendent, je réponds facétieusement : « toutes les rumeurs en Chine sont vraies, mais elles sont vraies à des moments différents! »

 

Le président Xi a aussi une grande vision pour la Chine – qu’il appelle « le rêve chinois » -, celle de voir la Chine s’installer au « centre de la scène mondiale ».

 

Vous êtes l’auteur du livre How China’s Leaders Think : The Inside Story of China’s Past, Current and Future Leaders, qui présente des discussions exclusives avec plus de 100 dirigeants chinois, dont le président Xi Jinping. Pouvez-vous nous parler de vos rencontres avec le président chinois? Comment décririez-vous sa personnalité ? Comment le compareriez-vous avec la personnalité de Jiang Zemin ?

R.L.K. : Il n’est vraiment pas approprié de comparer les personnalités des dirigeants chinois. Cependant, nous pouvons les décrire. Je commencerais par leurs similitudes. Xi Jinping et Jiang Zemin sont  tous deux profondément patriotes; ils sont d’ardents champions de la civilisation chinoise et sont de fervents fidèles du Parti/PCC. Ils sont tous deux très attachés au « grand réveil » de la nation chinoise, formalisé par le président Xi. Tous deux encore font une évaluation réaliste des réalisations passées, des problèmes actuels et des défis futurs de la Chine.

Le président Jiang est extraverti et spontané. Il dit et fait des choses qui peuvent être jugées inappropriés pour un président comme par exemple chanter en public. Il est un grand érudit dans les quatre arts traditionnels chinois : instrument de musique à cordes, jeu de stratégie de Go, calligraphie et peinture. Il a également de très solides connaissances en sciences et en ingénierie.

Le président Xi, quant à lui, a une formation scientifique, mais son principal intérêt est la gouvernance et la politique. Il s’est particulièrement distingué en administrant trois grandes régions en tant que gouverneur de la province du Fujian, secrétaire du Parti de la province du Zhejiang et secrétaire du Parti de Shanghai. Dans le système chinois, le secrétaire est toujours le numéro un, le chef de file.

Le président Xi est décrit à juste titre comme le leader le plus lettré depuis Mao Zedong ; il cite la littérature classique chinoise dans ses discours nationaux et les auteurs des pays hôtes dans ses discours à l’étrangers. Il exhorte les médias chinois à «raconter de belles histoires sur la Chine».

Le président Xi a aussi une grande vision pour la Chine – qu’il appelle «le rêve chinois» -, celle de voir la Chine s’installer au «centre de la scène mondiale». Il a récemment déclaré que la Chine devait être fière de ses réalisations, mais doit aussi évaluer tout ce qui reste à accomplir pour parvenir à son « grand réveil ». Je peux témoigner de ce que le président Xi m’a lui-même fait cette déclaration en 2006. Indubitablement, le président Xi fait montre dans sa gouvernance d’une cohérence exemplaire : tous ses efforts sont tournés vers l’amélioration des conditions de vie du peuple chinois.  

 

Vous avez créé le « Sommet IT 2020 », tenu en 2013 et 2014, qui a rassemblé des informaticiens, des experts en big data et des cadres supérieurs américains et chinois de renommée mondiale tels que Wang Jian, CTO d’Alibaba et Pat Gelsinger, PDG de VMware (maintenant PDG de Intel). Comment les acteurs clés développent-ils des partenariats stratégiques malgré les tensions américano-chinoises tout en conservant leur autonomie si précieuse ?

R.L.K. : Comprendre « IT 2020 », c’est comprendre la manière dont de grandes entreprises telles qu’EMC (qui appartient désormais à Dell), la société mère de VMware, mettent en œuvre leurs stratégies en Chine. Comme banquier d’affaires, lorsque je travaille avec les PDG de grandes multinationales opérant en Chine, j’emploie ce que j’appelle un «cadre d’analyse politico-stratégique». Dans aucun grand pays du monde, la relation entre le monde des affaires et la structure politique n’est aussi fondamentale qu’en Chine. Je travaille pour créer un alignement entre les intérêts commerciaux de l’entreprise étrangère et les priorités du gouvernement chinois, sans compromettre ni la rentabilité ni les valeurs de l’entreprise étrangère – c’est à la fois un art et une science.

Les plus grandes entreprises d’État (SOE) de Chine sont contrôlées au niveau national. Leurs cadres supérieurs sont sélectionnés par le Département de l’Organisation du CPC, qui est très  influent, bien que peu connu en dehors de la Chine. Pour conseiller les entreprises qui font des affaires en Chine, il faut savoir comment le Département de l’Organisation du CPC fixe les critères de promotion des cadres supérieurs et les priorités politiques qui les sous-tendent. Je les connais en raison de mes relations de longue date avec les dirigeants chinois. Donner le bon positionnement à une entreprise étrangère sera apprécié des fonctionnaires ou des cadres avec lesquels vous traitez.

Par exemple, EMC, le leader mondial de systèmes de stockage de données, était désavantagée par son statut étranger alors que le gouvernement chinois exigeait qu’une société nationale fournisse les équipements de télécommunications nécessaires au pays. Pourtant EMC bénéficiait d’un statut privilégié vis-à-vis des entreprises publiques car, bien que plus chère que les marques locales, EMC s’avérait beaucoup plus fiable que ces dernières. J’ai bâti une stratégie pour montrer qu’EMC était un partenaire de qualité pour la Chine : j’ai organisé le «Sommet IT 2020» avec l’Académie chinoise d’ingénierie, un organisme prestigieux en Chine. EMC n’a perçu aucun revenu et s’est vu interdire de faire des affaires pendant l’événement, mais EMC a montré qu’elle était respectée au plus haut niveau des communautés scientifiques et d’ingénierie chinoises. Bien que l’environnement d’aujourd’hui soit plus sensible, ces principes sont toujours valables.

 

Xi Jinping restera presque certainement le leader suprême pour un troisième mandat de cinq ans. Cette situation est sans précédent et l’engagement du président Xi est de permettre à la Chine de continuer à se réformer.

 

Depuis 2012, la politique chinoise a radicalement changé. Le Parti, avec Xi Jinping comme « noyau », a pris un virage autoritaire. Cependant, ce nouvel autoritarisme ne comporte aucun mouvement de masse comme pendant la Révolution culturelle, et l’administration du Parti est au sommet de sa puissance depuis au moins la fin des années 50. Seriez-vous d’accord pour dire que l’approche descendante de Xi Jinping est plus stalinienne (bureaucratique) que maoïste (basée sur un mouvement de masse) et quelles conséquences cela a-t-il sur le fonctionnement interne du Parti-État chinois ?

R.L.K. : Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle la Chine accroît sa bureaucratie. Le président Xi explique clairement ce qu’il n’aime pas : la corruption est en tête de liste, mais « le bureaucratisme et le formalisme », selon les termes de Xi Jinping lui-même, viennent en deuxième position avec la lutte contre la pauvreté et la pollution. Le président Xi a augmenté le pouvoir du Parti tout en rationalisant la bureaucratie. Il est évident que le président Xi a accru la pression en faveur d’un consensus majoritaire au détriment de la liberté d’expression. Cependant, il a rendu le Parti lui-même plus dynamique, réactif et l’a « épuré » (mais bien sûr pas parfaitement). Il a renforcé les pouvoirs de la redoutée Commission centrale d’inspection de la discipline sur le Parti et créé une Commission nationale de surveillance de l’État, toutes deux dotées de larges mandats d’enquête non seulement pour mettre fin à la corruption, mais aussi pour lutter contre « le bureaucratisme et le formalisme ». Les responsables locaux savent désormais qu’ils ne peuvent pas se contenter de faire du zèle envers leur supérieur hiérarchique sans fournir un travail effectif.

En ce qui concerne le virage autoritaire de la Chine, tout le processus de Xi Jinping d’émergence du leadership collectif au leadership individuel, a été à la fois méthodique et complexe. Lorsque les limites du mandat présidentiel ont été supprimées en mars 2018, le monde a réagi négativement – ce qui a montré à quel point les acteurs internationaux comprenaient peu le système chinois. La suppression des limites du mandat présidentiel était en grande partie symbolique et n’avait aucun effet sur le pouvoir réel. La véritable transformation du pouvoir s’était produite plus tôt, en octobre 2016, lors d’un plénum du Parti lorsque le président Xi a été reconnu comme « noyau » (核心) du Parti. Cela signifiait que Xi Jinping pouvait passer outre la direction collective du Comité permanent du  Politburo, la plus haute instance faisant autorité de la Chine.

Le deuxième événement crucial a été celui de l’inscription de la «Pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une ère nouvelle» dans la Constitution du Parti en 2017. Le fait que le nom de Xi Jinping soit adossé aux fondements idéologiques du Parti lui confère son pouvoir le plus significatif: le gouvernement dirige le pays ; le Parti dirige le gouvernement; la base idéologique du Parti est le marxisme ; et Xi Jinping est désormais le seul interprète officiel du marxisme pour l’ère nouvelle. Xi Jinping est le premier dirigeant chinois à faire inscrire son idéologie dans la constitution du Parti avant la fin de son mandat.
En Chine aujourd’hui, on assiste simultanément à la réduction de l’immobilisme bureaucratique et de la multiplication des libertés économiques, en particulier la promotion de l’innovation, en parallèle d’un autoritarisme politique plus rigide. Par exemple, ni la promotion ni l’octroi de subventions n’est aujourd’hui attribué à l’ancienneté mais au mérite. 

 

Avec la pandémie du coronavirus et les questions litigieuses dans les affaires nationales et internationales, que pensez-vous du résultat du prochain Congrès du Parti communiste chinois en 2022 ? La faction libérale, héritière des idées d’ouverture maintenant dépassées de Deng Xiaoping, est-elle susceptible de subir une défaite majeure? Quelles seraient les conséquences pour l’avenir de la réforme et de l’ouverture, pour lesquelles vous avez reçu la plus haute distinction de la Chine ?

R.L.K. : Lors du prochain Congrès national du PCC à la fin de 2022, Xi Jinping restera presque certainement le leader suprême pour un troisième mandat de cinq ans. Cette situation est sans précédent et l’engagement du président Xi est de permettre à la Chine de continuer à se réformer, à rester ouverte aux affaires et à donner la priorité à l’innovation nationale. Il n’y aura pas de débat entre les dirigeants chinois, sauf peut-être à huis clos dans leurs résidences privées. La seule vraie question est de savoir quels fonctionnaires vont occuper quels postes dans la nouvelle Administration. Mais  ils seront tous fidèles au président Xi, certains sont ses protégés de longue date qui dirigent les principales municipalités.
En Chine aujourd’hui, le Parti contrôle plus étroitement tous les aspects de la gouvernance et de la société ; comme, par exemple, les entrepreneurs milliardaires. La contradiction à laquelle le Parti est confronté se situe entre un contrôle autoritaire strict, en particulier sur l’information, tout en ouvrant en même temps une économie fondée sur la connaissance et en donnant la priorité à la science et à la technologie.
La Chine prétend qu’elle se dirige vers le «centre de la scène mondiale» – et je prends cette affirmation au sérieux. D’ici 2035, la Chine prévoit de figurer «parmi les principaux pays» dans  le domaine de la science et de la technologie, et d’ici 2050, la Chine entend devenir «un leader mondial de la science et de la technologie».
L’élite intellectuelle chinoise sait que la Chine ne peut pas atteindre cet objectif si la société chinoise demeure fermée. Ainsi, les résultats pour certaines entreprises étrangères qui travaillent en Chine, ou qui envisagent de le faire, sont potentiellement et contre intuitivement tout à fait positifs. Cela dépend du type d’industries  et d’entreprises – et pour les biens de consommation, il y a un risque de réflexe nationaliste – mais la Chine est décidée à continuer à s’ouvrir.
Cependant, cet élan n’est pas dû à la pression de l’étranger ; la Chine s’ouvre de plus en plus car c’est ce dont elle a besoin pour maintenir sa croissance économique et son développement. Certaines entreprises étrangères trouveront comment s’aligner sur les divers besoins et priorités de la Chine, et pour ces entreprises, il y a de grandes opportunités. Bien sûr, plus de tact et de discrétion seront désormais nécessaires.

 

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