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Quand l’électoralisme lié au pouvoir d’achat défie la justice fiscale et entrepreneuriale

Le débat économique de l’entre-deux tours des présidentielles se focalise sur le pouvoir d’achat. Plutôt que de réserver les aides aux ménages dans le besoin, plusieurs mesures proposées par Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’adressent à un électorat qui ne connait pas les fins de mois difficile, au double risque de creuser les inégalités en faisant un cadeau fiscal aux ménages aisés et de distordre la concurrence entre entreprises. Par Jérôme Mathis, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL et membre du cercle de réflexion BSI Economics.

 

Certaines propositions visant à soutenir le pouvoir d’achat prennent la forme d’un allègement fiscal à destination des classes aisées. C’est le cas de la proposition de Marine Le Pen d’exonérer d’impôt sur le revenu les moins de 30 ans. Un cadeau à l’unique destination des contribuables imposables. Seraient ainsi écartés le célibataire qui gagne 1,2 SMIC, et le couple avec deux enfants qui perçoit 3 SMIC. Cette exonération ne profiterait qu’aux jeunes ménages situés au-delà de ces revenus. Et, du fait du barème progressif de l’impôt, l’avantage serait mécaniquement croissant avec le niveau de revenu. Là où l’employé rémunéré 2 000 euros par mois économiserait un impôt annuel équivalent à un demi-salaire (1 000 euros), le cadre supérieur célibataire rétribué 4 800 euros économiserait l’équivalent de deux salaires (9 600 euros), soit presque 10 fois plus.

Le président Macron se propose lui aussi d’offrir un allègement fiscal qui pourrait bien creuser les inégalités avec une réforme de l’impôt sur les successions de sorte que chaque héritier en ligne directe bénéficierait d’une défiscalisation jusqu’à 150 000 euros, contre 100 000 euros actuellement.

 


La facture pour le contribuable est énorme


 

L’énergie est au cœur des préoccupations relatives au pouvoir d’achat. Le Pen offre de baisser la TVA de 20 à 5,5% sur l’essence, le fioul et le gaz, tandis que Macron étendrait son bouclier tarifaire (gel des tarifs du gaz, plafonnement des tarifs réglementés de l’électricité, ristourne sur le carburant) aussi longtemps que nécessaire. Si aider certaines professions (agriculteurs, aides à domiciles, chauffeurs routiers, taxis…) s’avère nécessaire dans un contexte d’inflation du prix de l’énergie, étendre cette mesure indistinctement à tous les usagers, y compris les conducteurs de voitures sportives ou de berlines et les familles occupant de vastes demeures qu’il faut chauffer l’hiver, n’est pas justifié. D’autant qu’étendre cette aide à tous les Français augmente considérablement son coût. Or la facture pour le contribuable est énorme. Le ministère de l’Économie estime par exemple que le bouclier tarifaire sur l’énergie devrait coûter plus de 20 milliards d’euros en 2022.

L’injustice de certaines mesures ne se limite pas à la sphère individuelle. Certaines pourraient bien opérer à une distorsion de concurrence entre entreprises. Afin de poursuivre son stratagème électoraliste pour séduire les jeunes, la candidate du RN s’engage à supprimer l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans. Une exonération fiscale qui offrirait l’opportunité à un jeune entrepreneur de « casser » les prix par rapport à son concurrent trentenaire, qui devra à l’instar des autres entrepreneurs plus âgés s’acquitter de 25% d’impôt.

Dans le domaine entrepreneurial, le président sortant compte imposer un dispositif de partage des profits (prime Macron, participation ou intéressement) dans toute entreprise versant des dividendes. Une idée séduisante de prime abord pour quiconque y voit une manière de forcer les entreprises à mieux partager leurs profits avec leurs salariés. Attention toutefois à la distorsion de concurrence avec les grandes entreprises cotées en bourse. Ces dernières pourront aisément, si elles le souhaitent, renoncer à verser un dividende et rémunérer leurs actionnaires en faisant grimper le cours de l’action. Les GAFAM sont les championnes du monde de cette pratique. Elles ne versent aucun dividende et préfèrent bruler leur cash en rachat d’actions. Au point que leurs capitalisations boursières battent des records historiques. Comme celle d’Apple qui, à elle seule, vaut aujourd’hui plus que les 40 entreprises du CAC 40 réunies. On ne peut donc pas dire que la pratique est mal accueillie par les actionnaires. Au contraire, bien qu’étant privés de dividendes, ils y trouvent leur compte en revendant leurs actions plus chères qu’ils ne les ont achetées.

Cette posture électorale pose une question de justice fiscale : pourquoi inclure les ménages aisés dans les mesures de soutien au pouvoir d’achat ? Chacune de ces mesures, si elle était appliquée, pénaliserait nos finances publiques et mettrait donc à mal notre appareil de redistribution des richesses. Limiter les aides envers ceux qui en ont réellement besoin serait, au contraire, économiquement plus efficace et socialement plus juste.

Il existe des solutions pragmatiques, et moins électoralistes, pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes. Par exemple, les dépenses contraintes représentent une part importante de leur pouvoir d’achat. Or, on sait que beaucoup de foyers renoncent à des démarches administratives parce qu’ils se démotivent face à des procédures qui leur semblent complexes. Concrètement, certains se découragent à l’idée de résilier un contrat chez un fournisseur (assurance automobile ou habitation, internet et télévision, téléphonie mobile…) pour en souscrire un autre, moins cher, auprès de la concurrence. D’autant que la dématérialisation de certains dispositifs rebute les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les outils numériques.

D’autres ne font pas valoir leurs droits sociaux comme les aides au logement (APL), le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité, l’allocation de rentrée scolaire ou encore l’allocation éducation enfant handicapé. En cause, le découragement, mais aussi le manque d’information puisque des millions de citoyens ne savent pas précisément s’ils sont éligibles. Ce phénomène est massif. On estime par exemple que, chaque trimestre, un ayant droit sur trois ne recourt pas au RSA, soit environ 600 000 foyers qui renonceraient en moyenne à 1 250 euros de prestation par trimestre. Le remède consisterait à mettre en place un versement « à la source » des minima sociaux pour rendre les prestations automatiques. Un vaste chantier de transformation du service public dans lequel dit vouloir s’engager le président Macron s’il est réélu.

Le soutien au pouvoir d’achat est interprété par beaucoup de Français comme une lutte contre les inégalités économiques. Dans les faits, certaines promesses électorales qui s’en réclament produiraient l’effet inverse. Notamment celles qui prennent la forme d’aides fiscales accordées aux ménages qui ne figurent pas parmi les plus modestes.

Par Jérôme Mathis, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL et membre du cercle de réflexion BSI Economics.

 


Sources : Le chiffrage sur le non-recouvrement du RSA a été publié en février 2022 par la DREES. Voir Cyrine H., R. Le Gall, L. Omalek et C. Marc (2022) : « Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats », Les dossiers de la DREES, 92.

 

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