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Quand le Parlement européen sacrifie le #MeToo

En adoptant le 19 janvier 2023 une résolution sur la liberté d’expression au Maroc, le Parlement européen consacre en moins de 500 mots une ère nouvelle : celle du soupçon sur les femmes qui se disent victimes de viol.

Les eurodéputés – essentiellement élus de partis de gauche, – à l’origine du texte adopté par 356 voix pour, 32 contre et 42 abstentions, manifestent leur soutien à des journalistes marocains emprisonnés, connus pour leurs positions critiques à l’égard du royaume chérifien mais poursuivis par la justice marocaine pour des affaires de viols et d’agressions sexuelles. Un dossier en particulier défraye la chronique : celui qui oppose le journaliste Omar Radi, emprisonné, mis en cause par une consoeur, Hafsa Boutahar, qui affirme avoir été sexuellement agressée par cet homme en juillet 2020. Avec la puissance du mouvement #MeToo, une révolution mondiale qui a érigé en principe universel le respect de la parole de la femme, une telle accusation confère à cette journaliste une prérogative : être entendue, être écoutée, et intégrer ses griefs dans l’appréhension globale des faits reprochés à l’homme qu’elle désigne comme son agresseur. Ce changement de paradigme est patent dans de nombreux pays européens. En France, notamment, être célèbre ou puissant ne procure plus d’immunité face à de telles accusations.

Un pays semble étrangement frappé d’extraterritorialité de la planète « Metoo » par le Parlement européen : le Maroc. Les eurodéputés dans leur résolution « condamnent fermement l’utilisation abusive d’allégations d’agressions sexuelles pour dissuader les journalistes d’exercer leur fonction. » En clair, le Parlement européen accuse Rabat d’avoir recours à des affaires de mœurs afin de discréditer les journalistes critiques. Pour les eurodéputés, un nouvel ordre de priorité s’applique concernant le Maroc : la défense de la liberté d’expression prime sur le droit des femmes victimes à s’exprimer. Il y a là matière à s’étonner. Malgré ses demandes répétées, la journaliste Hafsa Boutahar n’a jamais été entendue par les eurodéputés et ses appels aux associations de défense des droits de l’homme ont été ignorés. Celui qu’elle accuse de « viol » rejette sa version avec l’argument que la relation sexuelle était « consensuelle »…

Ce qui interpelle dans cette affaire, c’est l’ invisibilisation de la parole de la victime, femme et journaliste. #MeToo, mouvement planétaire, s’arrêterait-il aux portes de la rive sud de la Méditerranée ? Ou bien faut-il constater que, pour les eurodéputés qui ont signé cette résolution, la parole d’une Marocaine vaut moins que celle d’une Européenne?

Tant qu’il y aura des dogmes… L’idéologie contre l’éthique, le préjugé contre la raison.

A bien considérer, la gauche européenne a choisi son camp en 2023. L’égalité homme-femme, le respect de la parole des victimes ont peu de poids face à une sourde bataille déclenchée contre le Maroc. Ce tournant est inédit, le changement de ton est drastique. « Et cette résolution n’est qu’un début », promet une députée slovène citée par Le Monde. Pourtant, l’accusation d’instrumentalisation pourrait se retourner contre des accusateurs du Maroc bien pusillanimes face aux agissements qui portent atteinte aux Droits de l’homme dans d’autres pays. L’indulgence des eurodéputés semble à géométrie et à géographie variables. Il est vrai que le Maroc n’a pas de pétrole ou de gaz à vendre. Quant à l’engagement du roi Mohamed VI lors de son discours du Trône en juillet 2022, annonçant avec solennité que les « progrès du Maroc dépendent du statut des femmes dans la société », des propos alors remarqués par la presse internationale, il est opportunément occulté.

L’explication dans l’attitude du Parlement européen se situe sur un autre registre. Le texte adopté par le Parlement européen constitue un tournant trop lourd pour l’imputer à la seule situation des journalistes aux prises avec le pouvoir marocain.

Le timing interroge aussi. La concomitance avec l’enquête de la justice belge au Parlement Européen sur des faits présumés de corruption imputés ne trompe personne.

Ce qui étonne, c’est le deux poids deux mesures auquel on assiste : la célérité avec laquelle le Maroc est mis en cause est en décalage là où d’autres pays- notamment des puissances gazières ou pétrolières – sont plus ménagées. Etonnamment, les emprisonnements des dizaines de journalistes pour des délits d’opinion, et non des crimes de droit commun, comme en Algérie par exemple, ne font pas l’objet de résolutions comminatoires de la part des députés européens.

En réalité, le nouveau statut du Maroc et son affirmation en tant que puissance régionale dérangent. Le Maroc est un partenaire d’Israël et s’inscrit dans le périmètre des Accords d’Abraham qui remodèlent le Moyen et Proche-Orient. Voilà qui peut déplaire au sein d’une UE largement passée à côté de cette mutation géopolitique majeure.

L’affaire est sérieuse au point que, dans une démarche exceptionnelle, les deux chambres du Parlement marocain ont choisi de répliquer dans une déclaration commune à l’issue d’une réunion plénière des deux Assemblées. Le Parlement du Royaume du Maroc dénonce avec force une « campagne tendancieuse » contre le Maroc et regrette que « le Parlement européen se soit laisser entrainer par des forces hostiles en son sein ».

En conséquence, le Parlement marocain décide de reconsidérer ses relations avec le Parlement européen et de les soumettre à une réévaluation globale. Après la France, toujours en froid avec le Maroc malgré les propos officiels, c’est au tour de l’Europe de se heurter à la fermeté marocaine. Cette décision est importante : elle confirme une attitude déjà observée dans les tensions avec Paris : c’est le Maroc qui prend l’initiative et formalise la prise de distance. Une confirmation supplémentaire de l’autonomie et de la maturité politiques du royaume chérifien, signifiant par là qu’il n’a pas besoin de l’UE pour assurer son essor.

Par Michael Darmon, écrivain et éditorialiste

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