La gestion de la crise du COVID 19 aura eu raison de nos dirigeants. Plus d’une soixantaine de plaintes contre Edouard Philippe et plusieurs membres de l’exécutif ont été comptabilisées par la CJR (Cours de Justice de la République) la seule habilitée à juger les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Tout autant contre X, rien qu’au parquet de Paris et environ deux cents devant divers tribunaux de province.
Les plaignants sont des particuliers contaminés ou pas, résidents d’Ehpad et autres collectifs de médecins et même de détenus. L’ex-auteur des Guignols de l’info Bruno Gaccio, voulant faciliter et multiplier les actions émanant des citoyens a même mis un site en ligne sur lequel 180 000 téléchargements de dossiers sont effectués à la veille du déconfinement. Les raisons : « Homicide involontaire », « Mise en danger de la vie d’autrui », « Abstention de combattre un sinistre ». Certains avocats pensent que peu aboutiront. Mais classées sans suite ou pas, elles impacteront les mises en cause.
Une mission d’information parlementaire a été mise en place dès le début du confinement permettant de contrôler hebdomadairement les mesures mises en place par le gouvernement.
« Nous tirerons des enseignements et formulerons des propositions pour qu’à l’avenir, notre pays soit mieux armé pour faire face à une crise sanitaire de cette ampleur « , a détaillé de son côté Richard Ferrand le président de l’assemblée nationale dans le figaro du 31 mars 2020. Il est le rapporteur avec huit autres présidents de commission (6 LREM, 1 Modem, et 1 LR). Un manque d’objectivité est vite ressenti par le groupe LR qui a rapidement annoncé la création d’une commission d’enquête.
Il y a la crise, et la manière dont on l’exploite politiquement, Il y a la crise, et la manière dont on communique
Force est de constater qu’en matière de communication de crise, les premières semaines n’ont pas été à la hauteur des attentes. L’échantillonnage est saisissant tant il alimente quotidiennement l’ensemble des confinés que nous sommes tous. Manque de franchise et de transparence, mensonges à l’emporte pièce et surtout malaises à peine masqués par l’ensemble des communicants et autres spécialistes proches, voire membres du gouvernement.
On a parlé de messages ou d’injonctions paradoxales chères à l’anthropologue et psychologue américain Bateson dans le France Soir du 15 avril et dans Atlantico entre autres, où Arnaud Benedetti parle de « sentiments d’ordre et de contre ordre, concernant l’ensemble de ce qui est demandé». C’est-à-dire d’aller travailler sans risque en restant confiné, de demander aux employés du télétravail tout en se plaignant rapidement du grippage du système productif, sans parler des nouvelles procédures obligatoires de déconfinement sans toutefois posséder une semaine avant son entrée en vigueur, le matériel pour le mettre en place comme il est préconisé : protections individuelles, dépistage nécessaire au triage, personnels en nombre suffisant au regard des pratiques demandées dans les établissements scolaires, etc.).
FIGER, FAVORISER, EXPLOITER
La négociation de crise comme elle peut l’être au sein d’une unité de contre terrorisme, je cite en exemple celle que je connais le mieux : le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale), est tout sauf politique.
Elle prend racine dans la gestion de crises majeures où les enjeux sont tels, qu’aucune faute n’est permise. Exigeante par essence, elle n’a d’autre choix que de réussir.
A défaut d’obtenir ce qu’elle souhaite, elle aura le mérite de :
- Figer une situation pour ne pas qu’elle dégénère,
- Favoriser un certain nombre de situations permettant d’obtenir des renseignements favorisant sa performance,
- Exploiter le temps permet de pérenniser son action avec l’objectif d’atteindre son but.
Telle doit être une communication de crise en cette période d’incertitude et de doute. Elle est non pas à destination des auteurs d’un acte délictuel grave, mais des citoyens qu’elle doit rassurer, apaiser et conseiller. Il n’y a donc pas ou peu de différence d’objectif ; aussi les mêmes techniques, tactiques voire stratégies globales doivent intervenir.
Jouer d’une transparence maximale : dire que l’on n’a pas de masque puis expliquer que cela ne sert à rien au regard de la manière dont nous allons l’utiliser, en est le contre exemple. Théoriquement, si l’on peut convaincre sans appuyer sa démonstration scientifiquement, ce qui était le cas, elle doit être argumentée de manière à renforcer une opinion. Pour cet exemple et pour d’autres, cela n’a pas été le cas.
Employer l’argumentaire d’autorité adéquat : le problème conjoncturel lié à la mondialisation nous renvoyant une absence de masque, de gel, de protections diverses pour les personnels soignants, de tests, etc. à privé l’exécutif voire le chef de l’état d’utiliser les divers arguments d’autorité à sa disposition.
Celui de la compétence au regard de ce qui est évoqué ci-avant,
Celui de l’expérience, ne pouvant lui incomber puisqu’il est lié à l’habitude de ce type de situation. Ce qui n’est pas non plus le cas.
Et l’argument du témoignage, apparemment peu ou pas assez appuyé par un communicant ou négociateur de crise, pouvant l’aider à en trouver.
Le premier qui a été utilisé est celui de la métaphore avec le : « Nous sommes en guerre », qui s’est retourné immédiatement contre son auteur par une réponse de ses opposants politiques : « Nous sommes en guerre mais nous n’avons pas d’arme ! ».
La pyramide des besoins du psychologue A. Maslow est redevenue un baromètre intéressant pour adapter sa communication. Réduits aux besoins primaires (besoins physiologiques) liés à un temps de guerre, les messages envoyés par le gouvernement et permettant de faire remonter les citoyens doucement dans la pyramide, c’est-à-dire à la strate supérieur qui sont les besoins de sécurité (environnement stable et prévisibles, sans anxiété ni crise). Mail ils ne peuvent être compris par l’ensemble de la population ayant la conviction, certainement à juste titre au regard des informations quotidiennes, que le manque de protection les poussera à garder leurs enfants à la maison plutôt que de les renvoyer à l’école.
Si les liens de causalité externes concernant cette pandémie ne sont plus à vérifier, les liens de causalité internes concernant la communication de crise, font l’effet d’une crise à l’intérieur de cette même communication. La mauvaise communication accouche d’une autre crise provoquant l’émergence de tous types de raisonnement complotistes et autre conspirationnisme prenant la main sur les réseaux sociaux et semant le doute dans l’esprit de trop de gens. Cognitivement, les individus ont besoin de contrôler les événements qui leur arrivent, mais trop d’incertitudes subsistent, leur empêchant de le faire. Ils vont donc beaucoup plus facilement intégrer ces types d’explications fantasques répondant à des questions qu’ils se posent dans l’ici et maintenant. La croyance en la justice du monde (Lerner, 1980) nous enseigne les stratégies que l’homme déploie pour infléchir un destin probablement fâcheux dans une direction plus heureuse et plus positive le concernant, nous laissant penser au retour de bâton logiquement prévu avec manifestations et autres mouvements sociaux, plongeant les services de renseignements dans l’inquiétude sur l’après confinement.
Le fond et la forme de la crise et de sa gestion sont tour à tour malmenés dans leur communication. Ne pouvant expliquer qui de la poule ou de l’œuf étant à l’origine de la disparition des stocks de matériel, du non reconditionnement ou remplacement, de la fermeture récente d’usines de fabrication ou encore de son externalisation, le citoyen a perdu en partie confiance en sa Mère patrie, en se délectant de l’humour blessant et sans limites à l’endroit des membres du gouvernement.
Le philosophe Henri BERGSON préconisait d’ « Agir en homme de pensée, et penser en homme d’action ».
Entre la pensée et l’action lorsqu’il y a une communication … faut-il qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu.
Quelques points somme toute sans grande importance … mais qui en période de crise prennent un intérêt stratégique.
Tribune par Bernard Meunier, ancien chef de la cellule négociation du GIGN, consultant en sûreté et conférencier.
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