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Projet De Loi De Finances : Pour Un Vrai Choc De Compétitivité, Il Faudra Attendre 2019

« La transformation de l’économie française ne se fera pas en un an ! »[1].  Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a bien raison. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille reporter au lendemain des réformes indispensables. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 part d’une analyse pertinente des faiblesses de notre économie (les fragilités de notre tissu productif, l’insuffisante orientation de l’épargne vers l’économie réelle, etc.). Il en déduit deux orientations prioritaires utiles : mettre fin à l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail et poursuivre l’indispensable mouvement de fiscalisation du financement de la protection sociale. Mais le report à 2019 de la bascule du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) vers une baisse directe des charges sociales employeurs n’est pas une bonne nouvelle pour la compétitivité-coût de nos entreprises l’an prochain. Retour sur les grandes orientations du PLF pour les entreprises françaises.

Un épais rideau de fumée est en train d’aveugler ceux qui renoncent trop vite à rechercher au-dessus du ciel bleu les dangereux nuages qui rôdent sur l’économie française.

Comme un enfant aimant que les histoires que lui racontent sa maman le soir avant de s’endormir se terminent toujours bien, on continue encore trop souvent d’ignorer bien imprudemment les alertes pour mieux privilégier les « bonnes nouvelles ».

Cette tentation est d’autant plus forte qu’après tout, l’embellie conjoncturelle, vue de la France, procède d’abord d’une analyse objective des évolutions du commerce mondial : d’après l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les échanges internationaux se redressent et pourraient atteindre un niveau de croissance presque trois fois supérieur à celui enregistré en 2016 (+3,6% cette année contre +1,3% l’an dernier)[2], ce qui ne peut que profiter aussi à l’appareil productif hexagonal.

Le moral des industriels français est d’ailleurs au plus haut depuis dix ans, et même l’arrêt au printemps dernier de la mesure de suramortissement n’a pas déprimé les prévisions d’investissement, qui restent sur une pente très haussière, à + 7% cette année.

En apparence, l’industrie française, qu’on présente alors comme convalescente, parait elle-même beaucoup mieux orientée, puisqu’après le frémissement déjà constaté l’année dernière, le solde des ouvertures et des fermetures d’usines est devenu positif, avec 87 créations contre 61 fermetures, recensées sur les huit premiers mois de l’année.

De Hollande à Macron : vers une politique de l’offre enfin assumée et durable

Même François Hollande, pourtant incapable de se présenter à l’élection présidentielle il y a seulement cinq mois faute de résultats, semble reprendre des couleurs et n’hésite plus à insinuer, sans rire, que ces signaux faibles seraient l’éclatante preuve d’un redressement économique enclenché sous son quinquennat. Une nouvelle démonstration de son humour politique sans borne.

En attendant, ni le début de croissance retrouvée -l’Insee annonçant désormais un très rassurant +1,8% en 2017[3]– ni les créations d’emplois devenues très abondantes depuis plus de dix trimestres ne viennent à bout du chômage et de la dépression de notre Commerce Extérieur.

Mon analyse parue dans ces colonnes le 8 juillet dernier sous l’intitulé « la croissance est un plat qui se mange froid » (https://www.forbes.fr/finance/la-croissance-est-un-plat-qui-se-mange-froid/) n’a donc pas pris une ride. Pourquoi ?

Parce que le redressement de la croissance, de la compétitivité et de l’emploi est déterminé par des mouvements de moyen terme.

Pour intervenir, le rebond doit procéder d’une politique de soutien à l’offre assumée, durable et complète, et non d’initiatives, éparses, honteuses et contrariées comme à l’ère des ambiguïtés hollandaises.

Le programme économique sur cinq ans d’Emmanuel Macron donne l’impression de pouvoir faire bouger les lignes à terme. Car ce n’est plus l’idéologie qui prévaut, mais le pragmatisme.

Fini l’alignement stupide autant que confiscatoire de la fiscalité du capital sur celle du travail, qui avait fini par décourager les investisseurs potentiels d’orienter leur épargne vers la production nationale !

Fini l’aveuglement sur le financement de la protection sociale, qui avait abouti à laisser l’écart de cotisations patronales se creuser entre la France et l’Allemagne pour atteindre jusqu’à 55 milliards d’euros, au détriment de la compétitivité-coût de nos entreprises !

Finies aussi les « mesurettes » sur l’imposition sur les bénéfices, laissant persister une situation marquée par un écart de près de huit points avec la moyenne européenne du taux d’imposition sur les sociétés de la France !

Finie, enfin, la procrastination sur le marché du travail, puisque le gouvernement s’attaque résolument à toutes les rigidités freinant l’embauche et affaiblissant le dialogue social de proximité !

Les Ordonnances Travail, le projet de lois finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) traduisent une vraie volonté de changement pour installer une authentique politique de soutien à l’offre dans notre pays. C’est bien !

Ce nouveau souffle sera-t-il pourtant à la hauteur du retard accumulé par notre économie sur les marchés étrangers, alors que le coût horaire du secteur marchand en France se situe toujours très au-dessus (37,1€ au 2ème trimestre 2017 contre 30,8€) de la moyenne de la zone euro[4] ?

Plusieurs raisons permettent d’en douter.

Premièrement, le PLF 2018 doit concilier des objectifs parfaitement inconciliables : revenir en dessous du seuil annuel de 3% de déficit public que la crédibilité de la politique française en Europe nous impose, et s’engager résolument d’un autre côté dans une nouvelle stratégie fiscale de combat, alors que le ras-le-bol fiscal prédomine encore largement chez nos compatriotes.

Cet équilibrisme conduit à un premier résultat décevant : alors qu’une baisse de plus de 10 milliards d’euros de prélèvements obligatoires avait d’abord été annoncée, il faudra se contenter de réductions qui devraient plutôt se situer autour de 6,6 milliards l’an prochain.

Encore, cette réduction moins élevée que prévue à cause de la montée en charge progressive des baisses de cotisations salariales là où l’augmentation de la CSG interviendra dès le 1er janvier prochain, inclut-elle la somme des baisses en faveur des entreprises et des ménages.

En première année de quinquennat, il a été difficile pour les équipes de Bruno Le Maire et Gérald Darmanin de ne pas envoyer des gages aux ménages, d’autant que le Président de la République alors en Campagne s’était engagé à une suppression pour une majorité de Français de la taxe d’habitation.

Une première dérogation critique à une politique de l’offre à peine installée, alors que celle-ci reste la seule voie à moyen terme pour restaurer la vitalité de notre appareil productif.

Seconde déception et pas la moindre : le « choc de compétitivité », si indispensable pour faire sortir la France de sa piteuse 22ème place dans le classement 2017 du Forum économique mondial, n’est pas pour demain ![5]

Baisse du coût du travail : pas tout de suite et pas pour tout le monde

En dehors, de l’instauration bienvenue dès l’année prochaine du prélèvement forfaitaire unique de 30% mieux connu sous le nom de « flat tax » et de la suppression de l’ISF, les mesures proposées du côté de la fiscalité du travail n’auront en revanche un impact favorable sur les coûts de nos entreprises qu’en 2019 !

Car la bascule entre le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et la baisse de charges directes sous forme de réduction des cotisations patronales n’interviendra que dans deux ans…

Nos entreprises vont payer le prix de ce report, car en l’absence même de mesures destinées à réduire les charges pesant sur les entreprises en 2018, celles-ci vont dans le même temps subir une baisse du taux de CICE d’1 point.

En clair, le coût du travail de l’économie française va augmenter l’an prochain, condamnant les entreprises souhaitant échapper à cette fatalité à une plus grande modération salariale que dans le reste de l’Europe si elles ne veulent pas dégrader leurs parts de marché.

C’est une situation paradoxalement inédite depuis cinq ans, puisque sur la période 2012-2017, les charges annexes au salaire dans notre pays avaient été réduites de -0,6% alors qu’elles continuaient de progresser dans la zone euro de +6,2% en moyenne et même de +13,4% en Allemagne.

L’année 2018 s’annonce donc moins favorable que ce qu’on imagine pour les entreprises sur le plan fiscal tandis que les années qui suivront, à partir de la bascule du CICE vers les baisses de charges directes, se traduiront par une augmentation pour les sociétés de leurs bénéfices imposés (du fait de la disparition du CICE), et donc par une augmentation in fine de leur IS, évidemment non compensé.

Autre inquiétude, qui commence déjà à être rappelée par les organisations patronales et pour laquelle j’ai attiré l’attention en début d’année dans mon ouvrage intitulé « Pour en finir avec la stagnation économique française »[6], la baisse du coût du travail continue de se focaliser sur les bas salaires.

Les baisses de charges atteindront 10 points au niveau du SMIC et 6 points entre 1,6 et 2,5 SMIC. Elles vont donc, a contrario, défavoriser les secteurs à main d’œuvre plutôt qualifiée.

Bruno Le Maire s’est déjà déclaré favorable à l’ouverture d’une réflexion en vue de corriger cette situation. Il ne faudra pas trop tarder, car avec le jeu des cotisations sociales, il est aujourd’hui possible à l’Allemagne pour la même charge salariale de recruter 3 ingénieurs là où notre pays ne peut s’en offrir que deux. Lourd handicap à l’heure de la bataille mondiale pour attirer les talents !

 

Il est manifeste que le gouvernement d’Edouard Philippe a pris la mesure de la dégradation de notre solde commercial et du coup de pouce fiscal qu’il faut enclencher pour ramener les entreprises françaises sur une trajectoire de compétitivité plus favorable à partir de 2019. Dont acte.

Pour autant, nous ne voudrions pas que ces intentions, qui ne seront donc matérialisées en actes législatifs que dans deux ans pour la plupart d’entre elles, soient entre-temps remises en cause par l’évolution du contexte macro-économique et surtout la nouvelle donne de la politique monétaire.

Comme j’en ai mentionné le risque vendredi 6 octobre dernier lors d’une conférence organisée par PME Finance sur le PLF 2018[7] en présence d’Olivia Grégoire, membre de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, l’hypothèse d’une remontée des taux d’intérêt, dans un contexte de retournement de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne dans les prochains mois dont tous les signaux sont déjà visibles,  est forte. Sa survenue pourrait alors faire brutalement remonter la charge de la dette publique française et priver ainsi le Gouvernement des marges de manœuvre qui sont pour l’instant les siennes en matière de fiscalité des entreprises…

 

[1] Bruno Le Maire, interview croisée de Gérald Darmanin et Bruno Le Maire au journal Le Monde, mardi 19 septembre 2017

[2] Communiqué de presse de l’Organisation Mondiale du Commerce, 21 septembre 2017

[3] Insee, prévisions de croissance pour l’économie française en 2017, 5 octobre 2017

[4] Source : Coe-Rexecode, Le coût du travail risque d’augmenter plus rapidement en France en 2018, 25 septembre 2017

[5] Rapport 2017-2018 de la compétitivité du Forum économique mondial, 27 septembre 2017

[6] François Perret, Pour en finir avec la stagnation économique française, L’Harmattan, février 2017

[7] PME Finance, matinée-débat sur les lois de finances 2018 sur le thème « Fiscalité, financement, charges sociales : quelles marges de manœuvre pour les entreprises ? », vendredi 6 octobre 2017

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