En ces temps agités, le bonheur et l’optimisme semblent animer la campagne présidentielle depuis le premier tour. Tandis qu’Emmanuel Macron assurait son « épopée d’optimisme » avant de lancer sa candidature, Yannick Jadot soutenait l’idée d’une écologie positive, sans oublier « La France des jours heureux », de Fabien Roussel. Ce regain d’espoir, utopique ou réel, cache néanmoins des stratégies et des visions antagonistes.
Or, à l’occasion du second tour, Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’affrontent sur plusieurs thématiques : le pouvoir d’achat (baisse de la TVA sur les carburants et l’électricité pour Le Pen ; prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et réformes pour atteindre le « plein-emploi » pour Macron), la santé (Plan de 20 milliards d’euros sur 5 ans, pour Le Pen ; renforcement de la politique de prévention, révision de la gouvernance de l’hôpital public et l’amélioration de l’accès aux soins en urgence pour Macron), la lutte contre le changement climatique (taxe carbone aux frontières de l’Europe, offre abordable de voitures électriques grâce à une filière 100 % française pour Macron) mais également la souveraineté industrielle ou encore la question sécuritaire, etc.
Les thématiques évoquées semblent s’inscrire dans une nouvelle ère d’élaboration des politiques publiques. De la gauche à la droite, l’interventionnisme (et le creusement du déficit public) s’instaure au détriment de l’austérité budgétaire, tandis que le bien-être sociétal et le développement durable tentent leur chance dans le rôle de protagonistes.
Le bonheur et l’économie du bien-être : utopie ou réalité ?
C’est dans les années 80-90 que l’économiste Amartya Sen, prix Nobel en Économie (1998), donne de la légitimité à « l’économie du bien-être et du bonheur ». Sa théorie a fondé les bases des indicateurs de mesure non-monétaires de bien-être tels que l’Indice de développement humain (IDH), les indicateurs de pauvreté non-monétaire ou même l’indicateur du Bonheur National Brut, adopté par l’Administration du Bhutan et par les Nations Unies (ONU).
Les 17 objectifs de développement durable (ODD) développés par l’ONU s’inscrivent également dans cette optique de promotion du bien-être. Ils répondent à des défis mondiaux, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice. Ces objectifs constituent pour les États une feuille de route commune de la transition vers un développement durable. Dans ce cadre, l’INSEE a lancé début 2022 un tableau de bord de 98 indicateurs qui constituent le cadre national pour le suivi des progrès de la France dans l’atteinte des 17 ODD.
La crise sanitaire a eu un impact assez dévastateur sur l’Indice de développement humain mondial. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, l’IDH devrait décliner pour la première fois depuis que le concept a été introduit en 1990, avec une baisse du revenu par habitant de 4 % et une hausse du taux de pauvreté mondial de presque 10 % entre 2019 et 2021. Dans l’un des pays les plus dépressifs au monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, il semble de plus en plus évident que l’apparent utopisme d’autrefois se formalise pour devenir une réalité et s’est dès lors retrouvé dans les propositions de différents candidats.
Une campagne présidentielle avec toutefois des paradoxes
On observe toutefois des incohérences de certaines solutions, comme celles destinées à « sauver » le pouvoir d’achat susceptibles d’aggraver d’autres enjeux citoyens par ailleurs.
D’une part le processus de transition écologique vers une économie plus verte reste encore coûteux, se répercutant notamment dans les prix énergétiques et donc dans le pouvoir d’achat de la population.
D’autre part, la stratégie de relocalisation de certaines entreprises, dans le cadre du renforcement de la souveraineté industrielle, suppose « le sacrifice » de ne pas profiter des baisses de coût de production qui découlent de la logique des chaînes de valeur mondiales (produire ailleurs pour produire moins cher), offrant ainsi des produits plus onéreux aux consommateurs.
Par ailleurs, il peut paraître tentant de proposer la revalorisation du SMIC afin d’améliorer le quotidien de ceux qui occupent actuellement un emploi. Néanmoins, renchérir le coût du travail pénalise ceux qui sont au chômage, ce qui a le potentiel d’augmenter la pauvreté et les inégalités. Sans oublier que ces mesures mèneraient à un creusement du déficit public et que cet endettement public croissant aurait des répercussions sur les générations futures. Le développement durable est ainsi mis en péril.
Pédagogie, transformation des politiques publiques et bien-être
Il est vrai que les enjeux sociétaux qui alimentent les programmes électoraux de cette présidentielle sont nombreux. Raison de plus pour que les candidats se livrent à un vrai travail de pédagogie exposant l’importance de la cohérence dans l’ensemble de leurs propositions. Il convient de prendre en considération les enjeux non-monétaires relatifs au bonheur et au bien-être durable des français.
Cependant, pour atteindre un niveau de développement souhaitable et soutenable, l’identification du type de financement (enjeux financiers et monétaires) le plus approprié pour la mise en place de chaque mesure à court, moyen et long terme ne doit pas être négligée. Ainsi, le déficit et l’endettement public pourraient être dédiés aux mesures d’urgence destinées notamment au soutien des populations les plus vulnérables de manière palliative. Les recettes provenant des gains de productivité – issus de politiques d’investissement en recherche et développement – et des gains de compétitivité de l’industrie française financeraient les solutions à moyen et long terme.
In fine, il reste encore du chemin à parcourir afin d’aboutir à un modèle sociétal plus propice au bien-être et au développement durable. Des initiatives dites « de transition », comme le Projet IBEST dans la ville de Grenoble (financé par la région Auvergne-Rhône-Alpes) ou le Projet ISOPOLIS à la Réunion (financé par des fonds européens et régionaux), représentent des pistes de réflexion sur de nouvelles stratégies d’élaboration des politiques publiques. Ces initiatives prônent l’importance de la construction de nouveaux outils d’évaluation, avec des indicateurs d’un bien-être soutenable et territorialisé, associés à des indicateurs monétaires classiques (comme le PIB, les gains de productivité, etc.). Elles mettent également en avant la pratique d’une démarche expérimentale, en développant des actions évaluées (mesures de renforcement du niveau de vie, de la santé physique et psychologique, de l’éducation, de l’écologie, etc.) dans le but de prototyper des politiques publiques soutenant le bonheur et le bien-être durable.
Or, si nous vivons dans une société toujours conditionnée à traiter les thématiques financières et non-financières séparément, il est important de souligner la nécessité de la démocratisation de l’utilisation de nouveaux outils d’évaluation des politiques publiques, associant des indicateurs monétaires à des indicateurs non-monétaires, maillant la croissance et la productivité au bonheur et au bien-être durable.
Louisiana Teixeira est membre du cercle de réflexion BSI Economics et coordinatrice de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement.
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