À quelques mois de la transition vers le prélèvement à la source, les doutes de l’exécutif sur cette réforme engagée depuis trois ans se confirment. Ceux des contribuables, en revanche, sont là depuis le début. Difficile de se défaire de près de soixante ans d’un système qui, jusque-là, avait fait ses preuves. De plus, il semblerait que les inquiétudes soient fondées : défaillances techniques, bugs, chute de croissance, choc psychologique… Les failles sont légion, les risques élevés. Alors qu’Édouard Philippe a assuré mardi 4 septembre 2018 sur TF1 que la réforme serait maintenue, les doutes persistent. Pourtant, la collecte de l’impôt à la source est un système qui a fait ses preuves dans de nombreux pays européens. Alors pourquoi les choses sont-elles si compliquées en France ?
Prélèvement à la source : ce que ça devrait (vraiment) changer
Une fois n’est pas coutume, rappelons les bases de cette réforme et les conséquences pour la vie du contribuable. Le prélèvement à la source ne va pas changer le montant de l’impôt mais ses modalités de collecte. Concrètement, cela signifie que votre impôt ne va pas augmenter mais vos revenus, eux, vont baisser légèrement du fait de la mensualisation. Le prélèvement à la source ne change pas l’assiette du calcul de l’impôt, ni les taux ou les barèmes, mais la mensualisation des prélèvements dégrèvera vos ressources. En contrepartie, exit le paiement en une fois ou chaque trimestre.
Pour les salarié(e)s, c’est l’employeur qui sera chargé de prélever l’impôt. Pour les retraité(e)s, c’est la caisse de retraite qui tiendra ce rôle, pour les chômeurs, la caisse d’assurance chômage, etc.
Un mode de collecte sans décalage
L’objectif premier du prélèvement à la source avancé par le gouvernement est son adaptabilité aux éventuels changements familiaux et financiers qui modifient la situation fiscale du contribuable : divorce, mariage, licenciement, naissance, etc. Plutôt que d’attendre un peu pour voir sa situation (et son imposition) mise à jour, le changement est effectif dès la survenance. Cela devrait, en théorie, simplifier grandement la vie des particuliers. Finis les efforts de trésorerie en cas de baisse brutale des revenus. Cet « instrument de notre époque », comme le définit l’économiste français Daniel Cohen, serait en fait la réponse adéquate à une « période d’extrême volatilité des revenus« , marquée par une peur constante non seulement de voir ses revenus baisser mais également d’avoir à payer un impôt qui ne correspond plus à sa situation.
Du point de vue déclaratif, rien ne va vraiment changer. Les contribuables continueront de remplir une déclaration de revenus (courant avril – mai), sur laquelle apparaîtront les revenus mais également les éventuelles charges déductibles. L’administration fiscale partira de ce bilan pour calculer le taux de prélèvement qui sera ensuite appliqué à l’automne. Une légère différence cependant : à partir de 2019, finie la version papier. Tous les contribuables devront passer par la déclaration en ligne pour leurs revenus.
Les Français et le prélèvement à la source : un rapport cordial ?
D’après un sondage de l’Ifop révélé le dimanche 2 septembre, 60% des Français souhaitent que l’impôt sur le revenu soit prélevé à la source dès le 1er janvier 2019. Sans grande surprise, les plus favorables à cette forme sont les proches de La République en marche (75%), et les socialistes (62%). Plus hostiles, les Républicains ne sont que 50% à approuver une collecte à la source de l’impôt. D’ailleurs, on note que la réforme remporte un certain succès auprès des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu : 66% d’entre eux disent « oui » à ce changement.
Bugs, défaillance, choc psychologique, baisse de croissance : les raisons qui font reculer le gouvernement
D’ailleurs, l’idée d’une collecte d’impôt « directement à la source » en soi n’est pas novatrice : nombre de grands pays européens ont déjà adopté ce système parmi lesquels l’Allemagne en 1920, l’Espagne en 1979, mais aussi les Pays-Bas depuis 1941 ou encore la Belgique depuis 1962. L’idée a même séduit les États-Unis, qui ont fini par adopter ce mode de collecte en 1943. Quelles sont les raisons qui expliquent le report de la réforme dans l’Hexagone ?
L’exécutif invoque des raisons à la fois techniques, politiques et psychologiques.
Techniques, parce que, selon un document confidentiel de la DGFIP, le dispositif était loin d’être au point lors des phases de test lancées au cours des derniers mois. En février 2018, par exemple, plus de 350 000 erreurs ont été recensées. D’un mois à l’autre, le nombre d’anomalies varie du pire au meilleur. Le dispositif semblait au point au mois de juin, puis des défaillances techniques ont ressurgi en juillet et en août. On recense deux principaux types de bugs : les doublons nominatifs (des erreurs de prélèvement avec des homonymes) et financiers (des prélèvements multiples).
Politiques car, si l’opération était un fiasco, ce serait quelques 38 millions de foyers fiscaux qui seraient impactés. Il est facile d’imaginer les conséquences politiques pour le gouvernement Macron.
Enfin, l’exécutif craint un choc psychologique causé par la baisse effective du montant indiqué sur les fiches de paie des contribuables. C’est la raison non officielle du report d’un an de la réforme en janvier 2019. Il s’agissait d’éviter que le nouveau salaire net d’impôt ne fasse passer inaperçues les réformes du gouvernement pour rendre du pouvoir d’achat aux salariés. Pour certains analystes, le changement aura du mal à passer chez les Français, qui entretiennent un rapport déjà frileux avec leurs finances personnelles.
« Psychologiquement, il peut y avoir le sentiment d’une perte de pouvoir d’achat, abonde Cendra Motin, députée LREM de l’Isère. Il ne faudrait pas que cela fasse comme lors du passage à l’Euro, lorsque la consommation des ménages a chuté. »
Là où les économistes s’inquiètent, c’est que ce sentiment de baisse du pouvoir d’achat serait à même d’entraîner une baisse de la croissance.
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