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Pourquoi La Diabolisation De Marine Le Pen Est Contre-Productive

Depuis une semaine, nous assistons sur les réseaux sociaux à une mobilisation générale visant à faire barrage à l’élection de Marine Le Pen. Les formes que prend ce phénomène sont diverses. On essaie de convaincre les indécis, abstentionnistes ou adeptes du vote blanc à grand renfort de considérations culpabilisantes, de peurs ou même d’insultes. On frappe d’anathème les électeurs du Front National ; ceux-ci sont parfois traités comme des simples d’esprit, des inconséquents. On cherche à démontrer que le programme de ce parti est néfaste et mènera inexorablement la France vers la ruine. On rappelle que le FN est d’essence raciste, homophobe, sexiste, fasciste, voire nazie. Dans la presse, les appels solennels à voter Macron fleurissent, émanant de politiques, intellectuels, économistes, sportifs, artistes, avocats, scientifiques, présidents d’université… Sur les réseaux sociaux, ce sont les anonymes qui s’agitent jusqu’à l’hystérie.

Mais tout cela est-il réellement efficace ? Ces actions atteignent-elles leurs objectifs, à savoir encourager les déçus à voter pour Macron et retourner le vote des partisans du Front National ? Rien n’est moins sûr.

Une enquête abondamment relayée sur les réseaux sociaux, enquête menée aux États-Unis par une société qui se consacre au marketing sur les sites communautaires, constate l’inefficacité des messages à caractère politique, notamment sur Facebook. Ces messages peuvent servir de défouloir, peuvent créer certaines interactions, mais globalement, chacun reste sur ses positions. Mais au-delà de la simple inefficacité, peut-il y avoir un effet contre-productif ? Chercher à influencer le vote de son prochain dans un certain sens, est-ce que cela ne contribuerait pas paradoxalement à braquer les intéressés et à provoquer chez eux les comportements incriminés ? Possible, si nous prenons en compte le principe dit de « réactance psychologique ».

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Jack Brehm, le psychologue qui a mis en évidence ce travers, le définit comme suit : « soit un individu libre de réaliser un certain nombre de comportements, il éprouvera de la réactance chaque fois que l’un de ces comportements est éliminé ou menacé d’élimination » (J. W. Brehm, A theory of psychological reactance. Academic Press, 1966, p. 4). Dès qu’une de nos libertés se trouve mise en cause, nous avons naturellement tendance à lui accorder plus de prix. Plus je cherche à proscrire d’une manière ou d’une autre un comportement et plus je le renforce. Et cette résistance peut même s’avérer contagieuse…

Le chercheur en psychologie sociale Robert Cialdini prend un exemple en évoquant un événement qui se déroula à l’Université de Caroline du Nord : l’interdiction d’un discours contre la mixité des cités universitaires. Quand les étudiants de cette université apprennent cette interdiction, ceux-ci deviennent étrangement de plus en plus opposés à l’idée de mixité. Et Cialdini de conclure : « cela ouvre des perspectives inquiétantes : les tenants de positions insoutenables ou peu populaires peuvent habilement nous rallier à leurs positions en s’arrangeant pour que leur message soit censuré. Paradoxalement, pour de telles gens, par exemple, les membres de groupes politiques marginaux, la stratégie la plus efficace peut être, non pas de faire connaître leurs opinions controversées, mais de faire en sorte de subir une censure officielle, puis de faire connaître la censure » (R. Cialdini, Influence et Manipulation, First Editions, 2004, p. 262 – 263). De l’intérêt à être diabolisé…

Nous sommes tellement attachés à notre liberté que le simple fait de sentir que l’on nous force la main suffit à entraîner chez nous des réactions d’opposition et d’attachement irrationnelles. Réactions que les appels à la morale et le recours à la peur auront du mal à endiguer. « En démocratie, il s’agit de convaincre les citoyens de voter pour vous, pas de leur faire peur en agitant des épouvantails », nous rappelle justement Jean Jaurès.

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