Si on relit un peu l’histoire, doit-on considérer que le rapprochement de ces deux peuples au XVIIe siècle sous l’influence des cosaques ukrainiens afin de faire face aux avancées des armées polono-lithuaniennes n’était qu’un rapprochement de circonstance ?
Ou alors, doit-on considérer que ces deux peuples étaient grâce aux fortes migrations sous l’ère communiste devenus des peuples frères ?
Et, pourquoi, au lieu de parler d’impérialisme russe, n’évoque-t-on jamais le fait qu’on se retrouvait face à un peuple caucasien colonisé par un autre peuple caucasien ?
On sait tous que Lénine a soutenu les écoles en langue ukrainienne, comme on sait tous aussi que Staline, lui, fit arrêter les indépendantistes et revenir ce pays frère qu’il a affamé avec l’Holodomor, à la langue russe. Mais on évoque assez peu le tournant déterminant pris en 1863 par les Russes qui interdirent alors la langue ukrainienne. Les Russes devinrent alors majoritaires parmi l’élite. Les Ukrainiens étant eux souvent ruraux et analphabètes, ils furent alors considérés comme des colonisés par cette élite russe. Une élite restée fidèle à cette Catherine II qui parachèvera l’héritage de Pierre le Grand en annexant la Crimée et l’ouest de l’Ukraine et en donnant nombre de terres ukrainiennes à l’aristocratie russe, dont les descendants sont toujours présents en Ukraine.
Étonnamment les experts n’évoquent jamais la possibilité que nous soyons face à un peuple caucasien colonisé par un autre peuple caucasien, car les experts ne parlent jamais de colonisation lorsque colonisés et colonisateurs sont de la même ethnie. Oublié aussi que Les Russes n’ont jamais reconnu leurs petits frères ukrainiens comme des égaux, et qu’ils ont toujours montré un sentiment de supériorité vis-à-vis d’eux.
Schizophrénie de ce conflit
Une réflexion rapide nous amènerait à faire un parallèle avec le livre de Dostoïevski, « Le double ». Un peu comme si aujourd’hui l’un des deux protagonistes voyait une réplique de lui-même dans le miroir, et, c’est à qui sera, des deux, le plus roublard, le plus prétentieux ou le plus barbare.
Un double qui lors de la déclaration d’indépendance en août 1991 eut de la peine à se faire à l’idée que son voisin-reflet, le Russe pour les Ukrainiens et l’Ukrainien pour les Russes, soit devenu un étranger. Ce parallèle démontre l’aspect totalement schizophrénique de ce conflit.
L’écroulement de l’URSS a-t-il été suivi par une volonté de « colonisation » par l’Occident des pays ex-vassaux de la Russie ?
Il est aussi vrai que nous, Occidentaux, avons vite oublié le fait que, lors de l’effondrement de l’URSS, la maison mère Russie perdait l’équivalent de la surface actuelle de l’Union européenne et que 25 millions de Russes se retrouvaient à l’extérieur de la Fédération de Russie dans ce qui était alors des « colonies » russes.
Lire comprendre l’évolution de la Russie depuis les évènements des années 90 https://bernard-jomard.com/2020/01/11/clefs-pour-reussir-en-russie/
Oublié aussi que nombre de pays qui s’étaient sentis occupés, voire colonisés, par le système communiste stalinien qui leur était étranger sont entrés assez naturellement dans une phase d’imitation des démocraties occidentales. Cela afin de tenter de redevenir eux-mêmes, et de retrouver l’héritage idolâtré de l’Europe des lumières qui leur paraissait légitime. Oublié enfin que l’Occident rêvé, sa culture, ses valeurs avaient beaucoup changé depuis 1945. Si de loin l’Ouest leur paraissait plus que parfait, cet Occident était devenu très éloigné de leurs traditions culturelles, de la religion et du caractère sacré de la famille. Et nombre de ces pays ex-vassaux de l’URSS se sont sentis de plus en plus éloignés de nous. Et certaines de ces ex-républiques soviétiques se demandent aujourd’hui pourquoi nous ne les copierions pas, nous, afin de revenir à cette Europe éternelle que nous aurions trahie.
Autre point important ; les Russes et les Ukrainiens sont-ils des frères dans leurs situations économiques ?
Le niveau de vie est un autre sujet étonnamment peu évoqué par les commentateurs. Si on s’intéresse au classement du PIB en p.p.a., ou parité de pouvoir d’achat, établi par la banque mondiale en 2021, la Russie était à 32 803 $ et l’Ukraine à 14 219 en $ internationaux. Il est donc évident que nous ne sommes donc pas dans une guerre entre égaux économiquement. Lire statistiques https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.PP.CD
Déclencheur possible de cette invasion russe : certainement la révolution des pantoufles en Biélorussie qui débuta mi 2020.
Poutine ayant dû retenir la leçon de Catherine II qui, répondant à une question sur la protection de ses frontières, affirmait « je n’ai pas trouvé d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ».
Que peut-il se passer demain ?
Les guerres géoéconomiques sont toujours un jeu à somme nulle ; pour tout gagnant, il faut un perdant. Et avec la mondialisation, la globalisation, nous sommes tous un peu devenus les otages du monde, et évidement nous ne pouvons pas être tous gagnants. Après cette fragmentation démarrée avec la Covid et accélérée par cette guerre mondialisée par procuration, trois nouveaux blocs vont s’affronter, les USA et leurs « followers », la Chine et ses alliés et vassaux et enfin la mosaïque européenne assez peu autonome qui, si elle ne décide pas à faire bloc, ne restera qu’une entité utopique et possiblement déclinante.
Quant à l’entité politique Ukraine, en fait une « construction » sur la route commerciale médiévale ou « Rous’ de Kyiv», ou encore route de la Baltique à la mer noire, il est assez exceptionnel que cette entité de peuples nordiques, de Mongols, de Cosaques, de Baltiques, d’Allemands, de Polonais, d’Arméniens, et de Turcs ai pu survivre du Moyen Âge à nos jours.
Cette entité, ce pays ayant donc survécu à de nombreuses évolutions et révolutions, on peut donc considérer que sur le « temps long » cette guerre barbare ne sera qu’une étape. Les questions à se poser seront alors : quel modèle économique fera rêver demain ce très riche pays (agriculture, matières premières, etc. ) et quel exemple politique il aura envie d’imiter après avoir été dangereusement inondé par des dizaines de milliards de dollars d’armes modernes et de munitions…
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