Tribune d’Henri Isaac, président de Renaissance Numérique et Maître de conférence de l’Université Paris – Dauphine.
Depuis sa nomination, le gouvernement se mobilise activement pour accélérer la couverture en très haut débit de nos territoires. Si cet objectif est très légitime, tant la connectivité est désormais une condition sine qua non d’une citoyenneté pleine et entière et qu’il répond à une exaspération très compréhensible d’une partie de la population, force est de reconnaître que ce plan n’a rien d’innovant comme cela a déjà été souligné (1).
Si le gouvernement tente de combler un retard très important de la France en la matière au niveau européen, il ne prépare guère l’avenir, notamment le déploiement de la 5G. En effet, pour faire face aux retards accumulés, les choix techniques consistent surtout à augmenter les débits grâce au VDSL et combler certaines zones par de la 4G/4G+ et/ou du satellite. Si l’on pare au plus pressé, on ne prépare pas l’arrivée prochaine de la 5G qui nécessitera, de par son nombre important d’antennes, un raccordement à de la fibre optique pour absorber les volumes de données qui véhiculeront sur de tels réseaux. On se prépare donc avec le plan actuel à peu de couverture en 5G dans certains territoires. Or, certains services au cœur des usages de demain nécessiteront des temps de latence très faibles, comme la voiture autonome ou la télémédecine. Ces territoires, à qui l’on aura refusé la fibre, seront-ils alors à nouveau enfermés dans une nouvelle fracture numérique ? En répondant à une urgence certaine, on néglige le futur de ces territoires.
Plus encore, si une politique du numérique repose sur le développement des infrastructures numériques et de la connectivité, elle ne peut se résumer à celles-ci. Or, si le secrétariat d’Etat en charge du numérique possède les prérogatives en matière d’inclusion, force est de constater que les moyens dont il semble disposer ne permettent guère d’envisager une révolution des politiques publiques en la matière, qui se trouvent de facto enfermées dans le tropisme de la couverture et de l’accès. Si le Premier Ministre a évoqué le sujet dans son discours de politique générale, c’est pour évoquer le fait que la numérisation des services publics sera accompagnée et aidée. Par quels acteurs et quels moyens ? Les collectivités locales auxquelles on impose une restructuration drastique sans penser à une réorganisation de leurs prérogatives, notamment en matière de politique numérique ? En l’état, pas de réponse.
Or, on sait pertinemment qu’une partie de la société française ne maîtrise pas les usages du numérique (ceci est particulièrement vrai pour les TPE et les PME). Sans une politique publique ambitieuse de médiation accompagnée de réels moyens, il est certain que les fractures numériques ne diminueront pas mais risquent bien au contraire de s’aggraver. Cela est d’autant plus grave que, concernant les TPE et PME, l’enjeu est essentiel dans la mesure où elles concentrent à elles seules 49% des emplois en France (2).
D’une façon plus générale, on peine jusqu’ici, à dégager la vision globale de la politique numérique du nouveau gouvernement. Le Président a parlé à plusieurs reprises d’une « start-up nation », mais on a, jusqu’ici, plutôt vu la nationalisation d’un chantier naval, assez éloigné de l’image que l’on avait de la nation de start-up.
Que devient l’État-plateforme dans cette vision, au-delà de la seule rationalisation des coûts des services publics par leur dématérialisation ? Repenser l’action publique à l’ère du numérique nécessite de préciser quel est le rôle de l’Etat et comment il se positionne par rapport aux autres échelons de gouvernance et la société, comment il met en mouvement celle-ci, comment il lui apporte les moyens de co-construire les politiques publiques et de les évaluer en transparence.
Cette nouvelle mandature devrait être l’occasion d’ouvrir une réforme profonde de nos institutions, afin qu’elles intègrent davantage la voix des citoyens. La mise en place technologique de nouveaux processus de prises de décision et de co-construction des politiques publiques peut nous y aider. A condition de clarifier en amont les règles de ce nouveau partage de pouvoir et de définir les ambitions politiques réelles de ces dispositifs. Au regard du désaveu des citoyens vis-à-vis de l’action politique, on ne doit rien s’interdire en la matière.
Loin des outils d’apparat, on doit s’inspirer d’expérimentations concrètes, à l’instar de l’élaboration de la récente loi Lemaire, et des exemples estonien et islandais. Le droit à l’expérimentation si chèrement porté par le nouveau gouvernement, devrait l’être également dans ce champ, afin d’offrir les conditions d’un retour à l’imagination démocratique et permettre d’inventer de nouveaux dispositifs de décision. La loi pour la confiance dans la vie politique constitue une première consolidation des bases de la légitimité des élus. Mais l’ambition demeure faible et n’est pas à la hauteur de l’éloignement croissant des citoyens vis-à-vis de nos institutions, en témoignent les derniers taux d’abstention.
Si cette loi s’attache (frileusement) à encadrer les pratiques des élus, elle passe à côté d’un renforcement de la redevabilité et de la responsabilité de ces derniers devant leurs missions. Reste à instaurer cette transparence et une implication des citoyens dans la durée, en les associant aux phases de construction et d’évaluation des politiques publiques.
Dans cette perspective, en ce début de mandat, plusieurs initiatives du gouvernement auraient pu constituer de réelles opportunités pour enclencher une dynamique nouvelle sur les sujets du numérique :
1 – La loi pour la confiance aurait pu être l’occasion de repenser une partie de la construction de la loi et des mécanismes de transparence en y associant les citoyens grâce au numérique. Les propositions en la matière ne manquent pas, comme le Conseil National du Numérique l’a récemment souligné (3). Renaissance Numérique et la Fondation Jean Jaurès ont également fait nombre de propositions en mars dernier sur cet enjeu essentiel de refondation de la confiance dans la vie politique. Force est de constater que cette voie a été à ce stade délaissée par le gouvernement pressé de légiférer.
2 – Les états généraux des territoires.
Au-delà de la question de la connectivité des territoires, la question de la conception et la gestion des politiques d’inclusion numérique pourrait être l’occasion d’une nouvelle méthode d’élaboration des politiques publiques. Espérons que ces états généraux laissent aux acteurs une large place dans la conception de l’accompagnement.
3. Les états généraux de l’alimentation.
Comme Renaissance Numérique le rappelle à partir de ses travaux sur le sujet (4), les enjeux actuels de l’agriculture n’appellent pas à un simple rééquilibrage de la chaîne de valeur mais à sa reconception à l’ère du numérique et de la donnée. Force est de constater que cette dimension, qui porte à la fois des enjeux citoyens et stratégiques pour notre pays, est totalement absente des réflexions ouvertes au mois de juillet.
4. La loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme actuellement en discussion au Parlement, tout comme les échanges sur le chiffrement qui ont cours au niveau européen, laissent quant à eux à penser à une vision restrictive, si ce n’est une maîtrise imprécise de ces enjeux, au risque d’empiéter sur des garanties démocratiques fondamentales.
Ces quatre premiers mois, marqués par des mesures précipitées et des déclarations d’intention, nous interrogent quant à l’effectivité d’un réel changement dans la politique numérique de la France. On est ici éloigné des espoirs qu’avait fait naître l’actuel Président lors de sa campagne, notamment en s’adjoignant des personnalités pour le moins expertes en la matière. Espérons que rapidement une feuille de route globale soit élaborée et qu’elle dépasse les mesures d’urgence et de rationalisation budgétaire.
2 Sources : INSEE, Les Entreprises en France 2017 (données 2014) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569436?sommaire=2587886
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