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PORTRAIT | Yael Braun-Pivet, la première dame du Palais Bourbon

yael@Creditphoto

La députée des Yvelines est devenue, en 2022, la première femme présidente de l’Assemblée nationale. Tout en finesse et parfois en compromis, Yaël Braun-Pivet trace sa route dans un quinquennat chahuté. Jusqu’où ?

 

« Je n’aime pas les dorures, je préfère les décors épurés. » Le grand bureau de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, n’est pas encombré, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans un coin de la pièce, à gauche, une table blanche arrondie pratique pour une réunion improvisée ; à droite de l’entrée, sous un immense tableau contemporain très coloré, un coin salon avec petit canapé, fauteuil et table basse ; et au milieu, rien ou presque. « Les tapis ne sont pas encore arrivés, précise-t-elle comme pour s’excuser, c’est pour cela que ça paraît vide. »

 

Le quatrième personnage de l’État n’aime pas les ors de la République et le standing hors sol permis par ce type de fonction. Pour elle, conserver un mode de vie « normal » revêt une importance majeure. Tant pour son équilibre personnel que pour cultiver cette proximité avec les « vraies gens » que sont les électeurs. « Nous aurions pu habiter dans le magnifique appartement dont nous disposons ici, confie-t-elle, mais nous avons préféré rester dans notre maison du Vesinet. Mon mari n’est même jamais venu le visiter. » Cette mère de cinq enfants tient à cette image de « présidente normale » qui consacre du temps à sa famille et aux tâches ménagères. « Chez moi, je cuisine, je fais des machines de linge, j’étends, notamment lors des insomnies qui m’agitent lorsque j’ai une matinale radio, avoue-t-elle. La politique ne doit pas nous couper du quotidien que partagent des millions de Français. » Et pas question de « prendre la grosse tête » comme elle dit et perdre le contact avec les réalités du pays.

 

Management humain

Cette grande et élégante femme qui se requinque dans sa maison de La Baule où elle navigue à ses heures perdues n’a pas toujours arpenté les couloirs de la République. Elle a d’abord été avocate au sein du cabinet d’Hervé Témime, un ténor du barreau récemment disparu. Elle y a appris l’expression publique, l’art de convaincre son auditoire et le management à visage humain. « Rendez-vous compte qu’Hervé m’a augmentée un mois après m’avoir recrutée, se souvient- elle. C’est rare, non ? Il faut savoir rémunérer ses collaborateurs méritants. » Entre deux plaidoiries et trois dossiers épineux, elle trouve le temps de militer dans les Yvelines, « embarquée » dans l’aventure En Marche par le discours d’Emmanuel Macron qui transcende les clivages traditionnels. Elle ne connait pas personnellement le candidat mais elle boit ses paroles lors des meetings où elle découvre l’atmosphère particulière d’une campagne présidentielle.

 

Élection surprise

Élue députée en 2017 dans son département, elle se présente à la présidence de la prestigieuse Commission des lois. Peu croient alors en sa victoire. « Tout le monde me répétait qu’à ce poste, il faut quelqu’un d’expérimenté, pas une députée novice. » Mais contre toute attente, elle est élue. Après des débuts difficiles, elle trouve sa vitesse de croisière, commençant même à imprimer la « Yaël touch » : un grand respect de toutes les composantes de l’Assemblée, notamment de ses collègues des partis d’opposition qui louent son esprit d’ouverture. « C’est très naturel pour moi car c’est l’ADN du macronisme de dépasser les clivages partisans », martèle-t-elle.

En 2022, à la suite de la réélection d’Emmanuel Macron à la tête de l’État, elle est appelée dans le premier gouvernement Borne pour occuper le poste de ministre de l’Outre-Mer. Mais un mois et demi après sa nomination, coup de théâtre, Richard Ferrand est battu aux législatives et contraint de quitter la présidence de l’Assemblée nationale. À l’instinct et au courage, elle décide de monter une marche supplémentaire en se portant candidate à sa succession. Jamais une femme n’a jusqu’alors occupé ce poste prestigieux. Son bilan à la Commission des lois plaide pour elle, son sens politique et son art oratoire vont faire le reste. Elle est élue brillamment, éliminant le candidat soutenu par l’Élysée ! Les députés Rassemblement national choisissent, eux, de ne pas voter au second tour.

La voilà donc présidente de l’Assemblée nationale dans une période très particulière puisque le chef de l’État réélu ne bénéficie que d’une majorité relative. Il va donc falloir à la « première dame du Palais-Bourbon » des qualités de diplomatie et une sacrée science des équilibres pour parvenir à godiller dans ce quinquennat qui s’annonce mouvementé. Et de fait, comme dans ses précédentes missions, Yaël Braun-Pivet fait montre d’un art consommé du « en même temps » macronien, pour rester fidèle à ses convictions politiques sans heurter les oppositions. La presse relaye d’ailleurs la qualité de sa relation personnelle avec le président du Sénat, Gérard Larcher, figure majeure de la droite modérée. Le secret de l’entente de ce couple improbable ? « Gérard Larcher est un homme intelligent et de surcroît, très galant, glisse- t-elle dans un sourire malicieux. Récemment, on m’avait oubliée dans une cérémonie consacrée aux victimes de l’esclavage où il était présent, ainsi que la Première ministre, Élisabeth Borne. Il a fait passer un petit mot à la présentatrice pour qu’elle corrige le tir. J’ai apprécié. »

 

Yael Braun Pivet vu par :  

Marguerite Griffith, 52 ans, meilleure amie et traductrice anglais-français :

« J’ai connu Yaël en moyenne section de maternelle, quand nous avions à peine 5 ans. En fin de CE1, elle a quitté Nantes mais nous avons continué de nous voir pendant les vacances dans sa maison de La Baule. Et nous nous écrivions des tonnes de lettres que j’ai précieusement conservées jusqu’à maintenant. Yaël est un petit soleil. Elle attire les gens par sa joie de vivre et une qualité d’écoute incroyable. Quand elle est avec vous, c’est à 200%. Elle est intelligente, instinctive et courageuse. On le voit d’ailleurs depuis qu’elle est entrée en politique. On ne s’est jamais disputées en presque cinquante ans d’amitié parce qu’elle n’est jamais dans le jugement. Un défaut ? Je ne vois vraiment pas. Elle est déterminée et ambitieuse mais est-ce un défaut ? »

Xavier Chinaud, conseiller spécial à la présidence de l’Assemblée nationale : 

« C’est la première fois que je travaille pour une femme en plus de trente ans de vie politique. La présidente ne marche pas à la testostérone et à la confrontation, ce qui me change beaucoup. Le système masculin est, en général, de laisser se développer les frottements et de garder les survivants. Avec Yaël Braun-Pivet, c’est la bienveillance : il faut que les membres de son équipe s’entendent entre eux, ce sont ceux qui ne s’intègrent pas qui s’en vont. Quand elle est attaquée, mon réflexe naturel est de répliquer, elle me demande au contraire de laisser filer… la caravane passe… Sa gentillesse, son sourire font dire à certains qu’elle est trop naïve pour aller loin. Moi, je trouve qu’une femme qui prend la Commission des lois puis le perchoir en six ans devrait faire réfléchir ceux qui la sous-estiment. Jusqu’où ira-t-elle ? Certains observateurs commencent à lui prêter une ambition pour 2027. Cela a fait progresser sa notoriété mais cela ne reflète pas son sentiment. Elle doit faire fonctionner une Assemblée nationale dont on répète toutes les semaines qu’elle va être dissoute, j’ai l’impression que cela suffit amplement à son bonheur. »

 

Rapprocher l’Assemblée des Français

Outre l’animation des débats parfois houleux de la chambre et la prise de certaines décisions comme celle qu’elle a dû prendre récemment pour éviter la saison 2 du feuilleton des retraites, Yaël Braun-Pivet s’est fixé un grand dessein : ouvrir l’institution qu’elle préside au plus grand nombre afin de la rapprocher des Français. Elle a initié des opérations découverte qui remportent un franc succès, invité les artistes à exposer leurs œuvres « en relation avec l’actualité parlementaire » et organisé une première reconstitution d’un débat parlementaire historique au sein de l’hémicycle. « Nous avons fait appel à des sociétaires de la Comédie-Française pour jouer Jean Jaurès et Aristide Briand, explique-t-elle. C’était fantastique ! Moi-même, j’ai campé le rôle du président de l’Assemblée, je me suis fait plaisir ! Nous allons pérenniser ce rendez-vous. » Il semblerait que les députés de droite comme de gauche aient apprécié le spectacle…

À constater cette inclination presque naturelle pour l’œcuménisme politique, on se dit que cette quinqua énergique a peut-être le profil idéal pour succéder, à Matignon, à Élisabeth Borne qui peine à élargir la majorité, objectif que lui a fixé le chef de l’État après la crise des retraites. On the record, la présidente de l’Assemblée nationale ne veut pas entendre parler de cette promotion. « Je suis très heureuse ici, toute à ma tâche, affirme-t-elle. Je refuse d’envisager autre chose. » Elle confesse cependant son inquiétude face à la progression du Rassemblement national dont la montée au pouvoir ne peut être empêchée que par « le succès du quinquennat » qui paraît loin d’être acquis pour l’instant. Pourrait-elle contribuer de façon encore plus puissante au renversement de la situation ? L’avenir, peut-être pas si lointain, nous le dira…

 

PHOTOS : STÉPHANE DE BOURGIES

 

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