Dans son interview télévisée du 14 juillet, le Président de la République en avait esquissé les contours. Vingt-quatre heures plus tard, pour son premier grand oral devant l’Assemblée nationale puis le Sénat jeudi, le nouveau Premier ministre, Jean Castex, a dévoilé une grande partie du futur plan de relance économique.
Pas l’ombre d’une hésitation sur le cap à suivre : ce sera celui de « la lutte contre le chômage et la préservation de l’emploi, priorité absolue dans les dix-huit prochains mois » assure le nouveau locataire de Matignon, qui n’ignore pas que d’ici au printemps 2021, l’économie française pourrait détruire jusqu’à 1 million d’emplois supplémentaires.
Face à cette prévision morose, Jean Castex entend donc assigner au plan de relance l’ambition de « recréer les conditions d’une croissance économique plus robuste, plus innovante, plus écologique et plus solidaire ». Mais comment s’atteler à tous ces chantiers à la fois et concilier ce que beaucoup considèrent déjà comme inconciliables : l’efficacité économique, sociale et environnementale ?
Les trois blocs du futur plan de relance – emploi et compétences (bloc 1), industrie et territoires (bloc 2) et transition écologique (bloc 3) fournissent des premiers éléments de réponse sur l’intention politique sous-jacente. Si l’on est un peu tatillon, on pourra faire observer que sur les 100 milliards, l’ambition écologique ne recueille au total qu’un cinquième de l’effort budgétaire, principalement dédiés à la rénovation thermique des bâtiments, aux baisses d’émission des territoires et des industries, à une production alimentaire plus locale et durable et à l’appui qui sera fourni aux technologies vertes (à commencer par la nouvelle filière « batterie »). Une bagatelle de 20 milliards tout de même !
L’ambition de préservation de l’emploi et l’arrière-pensée sociale qui l’anime (limiter la casse sur le front du chômage et de ses conséquences en termes de précarité) obtient un soutien financier plus large, avec un paquet de près de 40 milliards très largement englouti par le dispositif d’activité partielle de longue durée (30 milliards), le solde des dépenses prévues revenant au soutien à l’emploi et aux salaires dans les secteurs les plus sinistrés (8 milliards) et à la formation professionnelle (1,5 milliard), qui avait déjà fait l’objet d’un plan ambitieux depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron en 2017.
Mais c’est à coup sûr le volet de « reconquête économique et territoriale » qui mobilisera les moyens les plus lourds. 40 milliards en tout pour accélérer la « transformation de l’appareil productif » et soutenir les investissements des collectivités locales, notamment tournés vers le développement durable, l’aménagement du territoire, y compris dans ses aspects de rénovation urbaine.
Car la première Déclaration de politique générale de Jean Castex ne laisse pas place au doute sur un point central : l’Etat a pris conscience des terribles défaillances de son système productif à l’occasion de la crise et de son incapacité « à pourvoir à nos besoins en biens et ressources stratégiques ». Un aveu de faiblesse qui justifie les moyens considérables qui seront mis sur la table pour reconquérir une souveraineté économique si indispensable, quitte à aller se battre à Bruxelles pour y adapter les règles de la concurrence européenne, afin de faire émerger de nouveaux champions industriels européens. Un aveu de défaillance qui explique aussi que le gouvernement cède enfin aux revendications déjà anciennes des organisations patronales, MEDEF en tête, en faveur d’un allègement des impôts de production. Dans ce domaine, on restera malgré tout assez loin du compte puisque le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, a annoncé au micro de France 2 que ce sont 20 milliards d’imposition (la moitié en 2021 et l’autre l’année suivante) qui seront supprimés, mais sur un ensemble fiscal qui représente 3,5 fois ce montant. Un premier pas donc. Un premier pas seulement…
Dans le tiercé du plan de relance, c’est bien l’économie qui se taille la part du lion, avec des dépenses qu’on peut qualifier d’investissement dans l’avenir dès lors qu’elles aboutiront effectivement à moderniser notre appareil productif (accélération de la numérisation des entreprises, etc.). Le volet « solidaire » se classe deuxième, tandis que les ambitions écologiques sont reléguées au troisième rang en termes de masse budgétaire.
Ce qui ne suggère pas que le plan de relance soit dénué d’originalité dans sa conception. On peut même reconnaître à son auteur un caractère innovant à travers les « contrats de relance » territoriaux qui devront avoir été conclus par les collectivités (intercommunalités, communes, agglomérations urbaines…) d’ici la fin de l’année 2021. De toute évidence, il y a chez le maire de Prades (Pyrénées orientales) réélu triomphalement le 28 juin dernier, le souci de la co-construction avec les élus, les territoires, mais aussi les partenaires sociaux qu’il est prévu de consulter très prochainement.
Jean Castex a aussi le souci du suivi et de l’évaluation. Le premier ministre a promis une présentation tous les deux mois – un rythme infernal pour le temps administratif- d’un « point précis de mise en œuvre du plan ». Un plan qu’il entend bien soustraire aux complications procédurales, afin d’éviter, ajoute-t-il, d’en « retarder l’application ».
Un souci légitime de co-construction donc.
Un souci bienvenu d’évaluation d’impact également.
Un souci heureux de « conditionnalité » enfin. Les entreprises aidées devront se montrer frugales en matière de dividendes, a averti le chef du gouvernement. Il a même pensé aux centaines de milliers de sous-traitants industriels en rappelant en une ligne bien sentie les « exigences » que ses équipes auront en termes de conditions de traitement des PME et ETI fournisseurs des grands groupes. Un avertissement utile quand on sait les pratiques de délais de paiement inter-entreprises actuelles, encore dégradées pendant la crise sanitaire pour chaque catégorie d’entreprises…
Voulant matérialiser les engagements pris par le chef de l’Etat devant les Français le 14 juillet, Jean Castex n’a pas négligé de dire un mot sur la question centrale du « partage de la valeur », invitant les partenaires sociaux à engager rapidement un dialogue social, qui devra prévoir les « conditions de relance de la participation et de l’intéressement ». Une façon de s’assurer que les efforts des salariés au service de la reprise dans les entreprises fassent l’objet, le moment venu, d’une juste rétribution.
La question lancinante du financement de ce plan hors norme de 100 milliards d’euros n’a pas été éludée non plus par le successeur d’Edouard Philippe. Lequel a pris le soin de préciser, sans en rappeler la volumétrie précise, qu’une partie des dépenses serait prise en charge avec le soutien exceptionnel de l’Union européenne (à hauteur probablement de près de 4 euros pour 10 engagés par la France). Et les 60% restants ? Sans doute répartis sur les deux exercices budgétaires 2021 et 2022. Jean Castex ne semble pas traumatisé par l’idée d’un abandon d’une orthodoxie budgétaire que seules quelques organisations « rabat-joie » continuent encore de brandir, alors même que sans relance réussie et « quoi qu’il en coûte », l’économie française et européenne ne pourra pas prétendre restaurer la croissance dont elle a tant besoin pour endiguer le déferlement de chômage qui s’annonce.
La philosophie, la volumétrie, le périmètre, la méthode et le calendrier du plan de relance sont désormais connus. Des composantes dont le corps forme déjà les contours d’un style « Jean Castex ». Reste à réussir ce que nous ne sommes jamais encore parvenus à réussir : faire table rase de toutes nos divisions, que la période n’autorise plus guère, pour reconstruire ensemble, courageusement, et de manière coordonnée et innovante afin que ce plan de relance historique porte tous ses fruits économiques, sociaux et écologiques. Chacun d’entre nous devra y prendre sa part.
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