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Philippe Poutou, candidat du NPA : « L’urgence est d’augmenter les salaires, les retraites et les minimas sociaux pour faire face à la hausse des prix »

PRESIDENTIELLE 2022 // Pour la troisième fois consécutive, Phillipe Poutou est candidat à l’élection présidentielle. Pour Forbes, le représentant du nouveau parti capitaliste (NPA) détaille sa vision de la situation économique du pays et défend ses propositions.

 

La French Tech compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de licornes à son actif… La “start-up nation” imaginée par Emmanuel Macron a-t-elle tenu ses promesses ?

Les licornes sont même plus près de la trentaine et leur nombre augmente rapidement malgré (ou peut-être à la faveur de) la crise. Ce que l’on voit, c’est que là où le patronat et la finance attendent des bénéfices importants, il y a de l’argent. Les entreprises ont reçu des milliards d’aide pour passer la crise sanitaire, les banques ont été renflouées en argent frais par la BCE, qui a racheté pour 1 600 milliards d’euros de titres de dette essentiellement publique. La conséquence est la flambée de la bourse et la spéculation qui battent leur plein, faisant gonfler une nouvelle bulle financière. La French Tech parvient à attirer une partie de cette manne. Mais la dernière fois que la finance s’est emballée pour les start-ups, avec une valorisation des entreprises liées aux nouvelles technologies complètement déconnectée de leur activité réelle, la bulle a fini par éclater et ce sont les travailleurs qui en ont fait les frais.

La « start-up nation » est un slogan marketing pour vendre du rêve à une société où les riches s’enrichissent toujours plus au détriment des classes populaires, une société où l’on coupe les allocations chômage en affirmant qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi… ou de le créer soi-même. Macron avait prétendu que chacun pourrait créer son entreprise dans sa « start-up nation ». C’est du mépris pour tous ceux qui galèrent avec des petits boulots. Créer une entreprise quand on est privé de ressources, c’est juste une nouvelle forme de précarité. Macron peut se vanter d’une forte progression des créations d’entreprises, puisque l’on est passé de 45 000 par mois en moyenne en 2017 à plus de 80 000 en 2021 selon l’Insee. Mais il s’agit quasi exclusivement de micro-entrepreneur, avec un chiffre d’affaires moyen inférieur au Smic et un turn-over important. On est loin de start-up qui lèvent des milliards sur les marchés. Pas de quoi rêver.

 

Si vous êtes élu en avril prochain, est-ce que l’entrepreneuriat fera partie de vos priorités ? Quelles mesures envisagez-vous en la matière ?

La priorité sera d’aider notre camp social à relever la tête face à un patronat qui accumule toujours plus de richesses. En 2021, les entreprises ont encore battu leurs records de profits et s’apprêtent à verser pour 1800 milliards d’euros de dividendes dans le monde en 2022. Les entreprises françaises comptent verser 66 milliards, auxquels s’ajoutent près de 20 milliards de rachats d’actions en 2021. Le patronat est choyé par les gouvernements successifs à coups de baisses d’impôts, d’allègements de cotisations sociales, d’aides à l’investissement et de casse du Code du travail. Le résultat, que mesure le rapport 2022 du Laboratoire sur les inégalités mondiales, est que le 1 % le plus riche a capturé 38 % de la croissance du patrimoine mondial entre 1995 et 2021.

Pour le NPA, l’urgence est au contraire d’augmenter les salaires, les retraites, les minimas sociaux pour faire face à la hausse des prix, et d’imposer des embauches et le partage du travail entre toutes et tous pour lutter contre le chômage et réduire l’exploitation.

 

L’une des grandes mesures de votre programme est la revue du salaire minimum à la hausse (smic à 1800 euros net). Comment comptez-vous  mettre en place une telle hausse pour les PME/TPE ?

Un revenu à 1 800 euros, c’est le minimum qu’il faut pour que chacun puisse se loger et se nourrir correctement, s’habiller, cultiver ses passions. Quand un système économique n’est pas capable d’assurer ce minimum à toute la population, c’est ce système qui ne va pas : il faut donc en changer. Mais c’est symptomatique que, dès qu’il s’agit d’augmenter les salaires, on invoque les petites entreprises pour signifier que ce serait impossible. D’abord, les TPE/PME ne se portent pas forcément mal, beaucoup de petits patrons gagnent bien leur vie et ont largement les moyens de payer correctement leurs salariés. En 2019, la valeur ajoutée hors taxe dans les TPE/PME était en moyenne de 6 000 euros par mois par salarié, il y a donc de la marge pour rémunérer correctement tous les salariés.

Mais les petites entreprises servent surtout d’alibi aux grands groupes qui dominent l’économie mondiale. Les PME elles-mêmes appartiennent très souvent à des groupes d’entreprises : c’est le cas de près de la moitié des PME (hors TPE) et de plus de 80 % de celles de plus de 50 salariés. Dans la réalité, quand une PME est menacée de fermeture, ce n’est jamais à cause des salaires, mais parce que le groupe a décidé de réorganiser ou que le principal client suspend ses commandes : des décisions visant uniquement à augmenter les profits des grands groupes.

Dès qu’une mesure importante en faveur des salariés se discute, le patronat crient toujours à la faillite. C’est son rôle, mais nous ne sommes pas obligés de le croire. D’autant qu’à chaque fois, il s’en sort bien, car il a des réserves. D’ailleurs, le taux de marge des entreprises, c’est-à-dire la part de la valeur ajoutée que s’accapare l’employeur, a connu un niveau record au premier semestre 2021.

Les richesses existent, la question est comment elles sont réparties. Pour financer de meilleurs salaires, il faudra bien sûr prendre sur les profits, et non distribuer des chèques d’argent public comme le fait Macron, ou baisser les cotisations sociales comme veut le faire Pécresse, ce qui revient à prendre dans une poche pour verser dans l’autre. Pour imposer des hausses de salaire, il faudra construire des mobilisations, des luttes, comme celles qui ont commencé à émerger ces derniers mois et qui doivent se développer.

Et si une petite entreprise a réellement des difficultés, elle pourra toujours discuter avec ses salariés pour voir comment faire, mais avec les livres de compte sur la table.

 

Pensez-vous que la technologie et l’innovation sont à même de trouver une solution à l’équation climatique ?

La technologie et l’innovation ne trouvent rien par elles-mêmes, elles sont des outils. La question, c’est qui les contrôle et dans quel but ? Aujourd’hui, la technologie est dominée par les milliardaires, qui préfèrent se payer des voyages dans l’espace que de lutter contre le changement climatique. Les COP se succèdent sans que rien n’avance, ni même que les maigres promesses soient tenues. Le gouvernement actuel ne manque pas de prétendues « solutions » pour résoudre la crise climatique. Elles consistent à prendre des milliards d’euros dans les caisses publiques pour subventionner les profits du grand capital et vendre telle ou telle technologie soi-disant miracle : hydrogène, voiture électrique, séquestration du carbone, etc. Mais à chaque fois, c’est bel et bien l’extraction du profit qui oriente ces solutions, dont les bilans environnementaux sont souvent discutables.

Actuellement, 17 % des émissions de CO2 sont le fait du 1 % le plus riche de la planète, selon le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales. Pourtant, ce sont les mêmes qui ont le plus accès aux technologies dernier cri. Il n’y a pas de miracle à attendre de l’innovation, surtout quand elle est au service du capitalisme. Pour résoudre la crise climatique, il faut repenser les manières de produire et de consommer. Cela nécessite de planifier l’économie sur des bases écologiques et démocratiques, c’est-à-dire sous le contrôle des travailleurs et des usagers. Il faut un service public de l’énergie pour développer les énergies renouvelables, y compris la recherche dans ce domaine, et des transports publics gratuits pour limiter l’empreinte de la voiture.

 

Quelles ambitions pour les entreprises françaises et leur faculté à faire le poids sur la scène économique mondiale ?

Nous proposons d’en finir avec la politique impérialiste de la France dans le monde. C’est-à-dire notamment la fin de la Françafrique, à commencer par le retrait immédiat des troupes militaires, et l’arrêt des exportations d’armes françaises. Loin d’un repli nationaliste prôné par la plupart des candidats, de droite comme de gauche, ou encore des velléités de domination mondiale des grands groupes capitalistes, nous défendons la solidarité et la coopération entre les peuples.L’internationalisme est encore plus nécessaire pour notre classe à l’heure où les grandes puissances font résonner les bruits de bottes autour de l’Ukraine et menacent une nouvelle fois de faire basculer le monde dans le chaos guerrier.

La concurrence entre groupements capitalistes et grandes puissances ne peut qu’aboutir à des catastrophes pour les peuples. Le patronat trouve son intérêt dans les frontières qui divisent les classes populaires. L’Union européenne en est un exemple : les capitaux et les marchandises circulent sans entrave, mais à aucun moment il n’est question d’aligner par le haut la législation sociale, d’instaurer un salaire minimum européen et une protection sociale dignes de ce nom. La bourgeoisie est capable de s’unir par-delà les frontières. Notre classe doit aussi savoir dépasser les frontières pour s’unir contre ce patronat qui sévit à l’échelle planétaire.

Ce que nous espérons, c’est que notre classe, celle des prolétaires, prenne tout son poids sur la scène politique mondiale.

 

Est-ce possible de concilier patriotisme économique et mondialisation ?

Nous pensons que cette alternative n’a pas de sens sinon une présentation fallacieuse des échanges économiques internationaux.

La mondialisation ne se réduit pas aux échanges de marchandises, elle est d’abord une mondialisation financière qui aboutit à ce que des masses énormes de capitaux et de monnaies se déplacent constamment à travers le monde à la recherche d’occasion de profits. Leur importance met ceux qui impulsent ces mouvements en situation d’exercer un chantage sur les politiques économiques des Etats, notamment à travers les dettes publiques.

Un exemple du caractère fallacieux de ce débat est donné par la question des vaccins contre le coronavirus. Il n’y a pas de « patriotisme économique » à protéger les intérêts de Pfizer au lieu d’adopter la seule solution rationnelle, la levée des brevets.

 

Comment assurer notre souveraineté économique et technologique face à la Chine, aux Etats-Unis et aux Gafam ? Face à notre dépendance aux matières premières et la chaîne d’approvisionnement mondiale qui nous les acheminent, une relocalisation est-elle possible ? Comment y parvenir ?

Les Etats capitalistes (et notamment l’Union européenne et la France) se sont dessaisis de leur « souveraineté économique ». En fait, ils se sont encore plus étroitement qu’avant soumis aux intérêts des grands groupes économiques et financiers, aussi bien nationaux qu’internationaux. Ceci au nom de l’idée que la concurrence « libre et non faussée » conduisait à un optimum économique (et social).

La question n’est pas celle de la « souveraineté économique » mais d’en finir avec l’expansion désordonnée des échanges qui éloigne sans cesse les lieux de production des lieux d’utilisation et de consommation, qui est particulièrement dommageable sur le plan écologique et qui rend consommateurs et usines dépendants de chaînes logistiques de plus en plus longues.

Quant à la « souveraineté technologique » (si cette expression a un sens), ce n’est pas en déversant des milliards d’Euros sur les entreprises qu’on favorisera la recherche. Le Crédit impôt recherche (CIR) en est une illustration : à quoi ont servi les sommes perçues par Sanofi dont on attend toujours le vaccin ? Il y aurait par ailleurs beaucoup de choses à dire sur les modalités de financement de la recherche et la situation des chercheurs/euses en France.Pour rompre avec cette logique, il faudra « changer de logiciel », c’est-à-dire rompre avec le primat du marché et du profit, exproprier les grands groupes capitalistes et en premier lieu les banques, mettre en place une planification écologique et sociale et des coopérations internationales basées sur l’intérêt mutuel des peuples.

Nous ne prétendons pas que ce soit un chemin simple et sans embûches mais quelle est l’alternative sinon continuer (avec quelques emplâtres et faux semblants) à avancer vers la catastrophe écologique notamment ?

 

Quelle règle devrait-on impérativement instaurer pour réguler les marchés publics ?

 Il y’en a deux :

  • la transparence
  • la prise en compte impérative dans les choix de critères sociaux : salaires, conditions de travail, pas de sous-traitance en cascade,…. Et également écologiques : nuisances à l’environnement, évacuation des éventuels déchets, etc.

Par ailleurs, certaines activités doivent être soustraites à l’emprise du privé dont les dérives sont évidentes, en particulier la distribution de l’eau et de manière plus générale, tout ce qui correspond à des besoins essentiels (se loger, se nourrir, disposer de l’énergie, se déplacer…)

 

Quel est votre regard sur les réformes fiscales mises en place ces 5 dernières années? Quel a été selon vous leur impact sur la croissance économique française?

Ces réformes ont été principalement inspirées par le souci de favoriser les gros revenus et patrimoines ainsi que les grandes entreprises. C’est évident pour la réforme de l’ISF et l’instauration du PFU sur les revenus du capital.C’est également le cas pour des réformes pour lesquelles c’est moins évident. Ainsi la Fondation Abbé Pierre souligne dans son rapport sur la politique du logement du quinquennat publié le 1er février dernier : « L’extinction de la taxe d’habitation, entière en 2023, profite et profitera surtout aux ménages fortunés puisque les plus modestes en étaient déjà exonérés ou payaient des montants limités, avec un impact colossal sur les finances publiques de 18 milliards d’euros par an dont la collectivité et ses services publics se privent. »

Quant à l’impact sur la croissance économique, le « Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital » mis en place par le gouvernement et qui a rendu son rapport en octobre 2021 a été bien en peine de déceler dans ces réformes le moindre impact positif sur l’économie réelle. Comme cela est dit dans le rapport en termes feutrés : « L’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. – avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes. En particulier, il ne sera pas possible d’estimer par ce seul moyen si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises. » Les dividendes ont augmenté et sont de plus en plus concentrés sur les ménages les plus aisés : « Les 5 000 foyers qui ont augmenté leurs dividendes de plus de 100 000 euros en 2018 et en 2019 par rapport à 2017 expliquent à eux seuls 45 % du volume supplémentaire des dividendes. Parmi eux, 310 foyers ont enregistré une augmentation de plus de 1 million d’euros de leurs dividendes en 2018 et 2019 par rapport à 2017, et représentent à eux seuls une hausse de 1,2 milliard d’euros. »

Certes, il n’y avait pas besoin de démonstration supplémentaire pour savoir que la pseudo-théorie du « ruissellement » ne fonctionne pas !

 

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