Comment faire de la France une véritable « start-up Nation » ? Pour le secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi, il faut simplifier la vie des entrepreneurs, d’un point de vue réglementaire, et promouvoir la diversité « sous toutes ses formes ».
Parmi les principaux axes de la politique du gouvernement figure notamment la volonté de créer un contexte favorable aux start-up, en d’autres termes leur simplifier la vie. Comment comptez-vous y parvenir ?
C’est déjà le cas. Contrairement aux idées reçues, les ordonnances prises dans le cadre de la réforme du code du travail, dès le début de la mandature, abondent justement dans le sens de la simplification que vous évoquez. Elles sont particulièrement favorables aux start-up et ont vocation à permettre à cet écosystème de recruter, de grossir et d’avancer. Autre élément : la transformation fiscale impulsée par nos soins, avec notamment la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui va permettre de disposer d’un cadre plus souple et de mettre un terme à un « no man’s land » fiscal qui pouvait échauder les investisseurs. Mais cela n’est pas encore suffisant. Voilà pourquoi j’ai entrepris un « start-up Tour » afin de lister les doléances de groupes d’entrepreneurs d’une thématique donnée. Nous avons, au total, sillonné dix villes et couvert douze secteurs afin de mieux comprendre leurs besoins. Je veux que nous parvenions à cerner les spécificités de chaque secteur. Il était intéressant d’entendre ce qui freinait ces entrepreneurs dans l’avancée de leurs projets. Outre ces rencontres, nous avons également mis en ligne une plateforme qui recueille des propositions tout en faisant également remonter les contraintes qu’ils rencontrent au quotidien. En un mois, nous y avons recensé plus de mille contributions. A terme, plus personne ne pourra dire « nous n’avons pas pu faire cela en France parce que c’était trop compliqué ». C’est notre objectif.
Ne trouvez-vous pas, malgré tout, qu’il existe encore trop de freins réglementaires à la création d’entreprises ? Prenons l’exemple de Seabubbles, start-up qui avait attiré l’attention du « ministre Macron » en 2016 et qui a vu son développement entravé par des lourdeurs administratives ?
Il s’agit d’un dossier très particulier et complexe avec un « facteur humain » très prégnant entre les différents protagonistes, dont le président de la République. Toutefois, je ne veux plus que cela arrive. Aucune start-up ne doit quitter la France pour mener à bien son projet à cause de contraintes réglementaires. Cela revient à la simplification que j’évoquais en préambule. A cela, j’ajouterai également notre volonté de fluidifier le financement. A ce titre, le rôle de bpifrance est de venir « là où le marché ne vient pas », si j’ose dire. L’argent public a un effet multiplicateur et un effet correcteur. Grâce aux différentes mesures déjà mises en place et à la dynamique d’investissement qui en découle ayant notamment permis l’installation à Paris de fonds étrangers, l’année 2018 s’annonce particulièrement prometteuse.
Quels sont les secteurs en particulier où le « savoir-faire français » peut se distinguer à l’international ?
La santé, l’énergie, la cybersécurité, la smart city, les transports… Sur tous ces sujets, la proposition des start-up françaises peut devenir une solution leader à l’échelle mondiale. Sur le B2C, la tâche s’annonce plus compliquée, mais heureusement certaines boîtes françaises essaient de tirer leur épingle du jeu. Mais pour l’ensemble des secteurs que je viens d’énumérer, le potentiel existe et l’émergence d’un acteur français de premier plan n’est absolument pas un mirage. Pour que la France devienne une véritable « start-up Nation », nous devons mener un véritable travail de pédagogie et répéter à l’envi que nous allons y parvenir… tout en créant, le plus naturellement du monde, les conditions pour cela. Nous disposons d’ailleurs, toujours dans cette volonté de tendre vers la « start-up Nation », du programme « French Tech », lancé par le précédent gouvernement, mais que nous allons continuer à faire vivre tout en l’étoffant avec différentes propositions. Notamment sur les questions relatives à la diversité sous toutes ses formes qui demeure un grand problème dans l’entrepreneuriat français.
La Tech peut-elle être justement promotrice d’inclusion et de diversité dans les entreprises ?
Nous avons mis en place le French Tech Diversité, un programme expérimental qui cible les entrepreneurs qui ont des projets très performants et avec un beau potentiel – sans négocier avec la qualité – et dont les porteurs sont issus de quartiers populaires, en situation de handicap, ou des personnes éloignées de l’emploi. Le problème était de voir que tous ces projets, alors même qu’ils sont excellents, n’arrivaient pas à émerger. Nous mettons un double jury : un premier qui ne regarde pas le business et se concentre uniquement sur les conditions sociales pour vérifier les critères, et ensuite un autre jury qui ne regarde que l’aspect business, sans connaître l’aspect social. 37 start-up ont été accompagnées avec un lieu, du coaching et du financement pendant douze mois. Nous sommes à parité exacte !
La parité dans la tech, nous en sommes pourtant loin. Que comptez-vous mettre en place ?
Il n’y pas de science exacte. Mais il faut taper là où il commence à y avoir l’ombre d’un biais. Nous nous apercevons que vers la fin de l’école primaire ou au début du collège, les filles, alors même qu’elles ont de meilleurs résultats, commencent à ne plus se projeter de la même manière que les garçons. C’est quelque chose qu’il faut que nous réussissions à casser. Avec les jouets, les films, et même les familles, de nombreux biais sont projetés sur les enfants. Le rôle de l’école est donc de ne pas projeter ces biais, mais au contraire d’ouvrir les esprits ! J’ai fait une visite d’école récemment ; les filles et garçons avaient les mêmes projets : une petite fille disait vouloir devenir designer de voitures. Tous les adultes autour étaient époustouflés, alors que cela devrait être normal. Ensuite, il y a l’orientation professionnelle. Pourquoi moins de filles vont en S ? Pourquoi sommes-nous en train de régresser sur le nombre de jeunes femmes en école d’ingénieur ? Pourquoi vont-elles moins dans les entreprises tech ? Pourquoi se tournent-elles moins vers l’entrepreneuriat ? Il y a des éléments culturels dans certaines entreprises qui rendent difficile pour une femme de s’intégrer. Si nous ne sommes pas actifs sur le sujet, vu que ces entreprises sont en majorité masculines, elles ne mettront pas toujours en place les éléments pour accueillir des femmes. Enfin, les quelques femmes présentes dans les milieux de la tech et de l’entrepreneuriat, il faut absolument les mettre en avant, les célébrer, les accompagner… Nous réfléchissons beaucoup avec Marlène Schiappa à ce propos de concert avec des incubateurs à Paris ou à Bordeaux.
Avec le rapport Villani, l’année 2018 semble être celle de l’intelligence artificielle, quels sont vos engagements ?
Le sujet de l’intelligence artificielle est à la fois un sujet sociétal, et un sujet de performances économiques. Quelles sont les technologies que nous devrons maîtriser, et avec quel outil de recherche et quel outil industriel ? Et sur quel secteur allons-nous miser pour ne pas être en retard dans cette révolution économique, scientifique et industrielle ? Pour répondre à ces questions, il est également nécessaire de se poser la question de la formation : comment former les bonnes personnes pour prendre en charge cette thématique ? Comment former les personnes qui vont perdre leur emploi à cause du développement de l’intelligence artificielle ? Comment aidons-nous nos experts à rester en France et à continuer à développer en France ? Comment trouver des investissements sur des technologies dont le risque est très élevé ? En effet, ces technologies, qui vont peut-être mettre encore dix ans avant de donner quelque chose, sont un peu boudées par les investisseurs privés.
Propos recueillis par Samir Hamladji et Audrey Chabal
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