De nombreux experts s’attendent à plus d’acquisitions et à moins de surveillance durant le second mandat de Donald Trump. Ce dernier devrait abroger le décret de grande envergure de Joe Biden sur l’IA, mais l’influence d’Elon Musk sur la politique du futur président est encore incertaine.
Article de Sarah Emerson et d’Alex Konrad pour Forbes US
Alors que Donald Trump s’apprête à revenir à la Maison-Blanche, les dirigeants du secteur de l’IA et les investisseurs de la Silicon Valley s’attendent à ce que le nouveau gouvernement facilite la création (et la vente lucrative) de start-up d’IA.
L’optimisme est de mise dans le secteur de l’IA
Dans une série de messages publics sur les réseaux sociaux et dans des conversations privées, les dirigeants du secteur de l’IA ont déclaré qu’ils se préparaient à un assouplissement des mandats réglementaires et à des contrôles plus étendus des exportations de semi-conducteurs. En outre, ils espèrent le retour des acquisitions complètes de start-up d’IA par les géants de la technologie, qui ont été largement réduites en raison des craintes de pratiques anticoncurrentielles.
Les cofondateurs d’OpenAI et d’Anthropic, deux des principaux laboratoires de recherche sur l’IA à l’origine des modèles populaires GPT-4 et Claude 3, se sont rendus sur X, le réseau social appartenant au milliardaire et conseiller de Donald Trump, Elon Musk, pour saluer la victoire électorale du candidat républicain. D’autres PDG d’entreprises dotées d’importantes divisions d’IA se sont joints au mouvement, comme Google et Meta.
« Il est essentiel que les États-Unis conservent leur avance dans le développement de l’IA avec des valeurs démocratiques », a publié Sam Altman, PDG d’OpenAI. « Anthropic travaillera avec le gouvernement Trump et le Congrès pour faire progresser le leadership américain en matière d’IA et discuter des avantages, des capacités et des problèmes de sécurité potentiels des systèmes d’avant-garde », a déclaré Jack Clark, cofondateur d’Anthropic.
L’un des cadres réglementaires dont Donald Trump héritera, et qu’il s’est engagé à abroger immédiatement, est le décret historique du président Joe Biden sur l’IA. « Nous abrogerons le dangereux décret de Joe Biden qui entrave l’innovation en matière d’IA et impose des idées de gauche radicale au développement de cette technologie », a déclaré Donald Trump dans son programme de campagne. « À la place, les républicains soutiendront le développement de l’IA en s’appuyant sur la liberté d’expression et l’épanouissement de l’homme. »
Le décret du gouvernement Biden sur l’IA
Ce décret, publié par le gouvernement Biden en octobre 2023, visait à établir un cadre réglementaire initial pour le boom de l’IA générative, en mettant l’accent sur la sûreté et la sécurité nationale. Le décret exigeait des entreprises d’IA qu’elles remontent au gouvernement fédéral les risques potentiellement catastrophiques posés par leurs systèmes, notamment s’ils tombaient entre de mauvaises mains. Alors que la Maison-Blanche affirme que ses lignes directrices concilient prudence et soutien à l’innovation, certains groupes technologiques et coalitions de lobbying les qualifient d’étouffantes et de contraignantes.
« Essayer de réglementer à l’avance les capacités ne fait que désavantager les États-Unis. C’est mettre la charrue avant les bœufs. »
Sarah Guo, fondatrice et associée directrice de la société de capital-risque Conviction
Manu Sharma, PDG de la start-up de données d’IA Labelbox, a fait valoir que le décret « comportait des règles lourdes » qui semblaient « choisies de manière arbitraire ». « Donald Trump devrait au moins revoir certains de ses éléments », a-t-il déclaré. Un autre cofondateur d’une grande entreprise d’IA, qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, a déclaré à Forbes qu’il pensait que le gouvernement Biden avait été influencé par des « théories de l’apocalypse » au moment de définir sa politique en matière d’IA. L’abrogation du décret et son remplacement par de nouvelles mesures sous Donald Trump seraient « meilleurs pour les États-Unis », affirment de nombreux professionnels du secteur.
« En matière de réglementation de l’IA, l’approche de Donald Trump est clairement plus favorable à l’innovation », a déclaré Sarah Guo, fondatrice et associée directrice de la société de capital-risque Conviction et investisseuse prolifique dans l’IA. « Je pense que c’est logique. Essayer de réglementer à l’avance les capacités ne fait que désavantager les États-Unis. C’est mettre la charrue avant les bœufs. »
Une abrogation du décret de Joe Biden pourrait également menacer l’U.S. AI Safety Institute (Institut américain de sécurité de l’IA), créé par le décret de Joe Biden et chargé de faire progresser en toute sécurité l’adoption de l’IA et la collaboration dans ce domaine. Parmi les membres de ce consortium d’entreprises et de laboratoires de recherche figurent OpenAI, Anthropic, Google, Microsoft et Meta. En août, OpenAI et Anthropic ont annoncé des accords avec l’Institut pour lui fournir un accès anticipé à leurs nouveaux modèles majeurs afin d’obtenir un feedback. Cette année, OpenAI a soutenu le Future of AI Innovation Act, qui vise à établir de manière permanente l’Institut dans le cadre du National Institute of Standards and Technology (Institut national des normes et de la technologie). Le projet de loi a été avancé par la commission du commerce du Sénat en juillet, mais n’a pas encore été voté.
L’IA, un des piliers de la politique économique de Donald Trump ?
Irene Solaiman, responsable de la politique mondiale chez Hugging Face, a déclaré à Forbes que de nombreux experts en IA étaient prêts à soutenir le nouveau gouvernement Trump. Au cours de son premier mandat, Donald Trump s’est concentré sur « les secteurs, la fiabilité et les valeurs américaines », a ajouté Irene Solaiman. « Cela dit, nous vivons une époque différente en matière d’IA et dans le monde. La sécurité nationale est au cœur des préoccupations, qu’il s’agisse de l’utilité ou de l’utilisation abusive de l’IA. Pour maintenir le leadership technologique, la satisfaction des besoins en énergie est une priorité, tout comme la nécessité d’encourager l’innovation en toute sécurité. »
Donald Trump a déjà commencé à s’entourer d’acteurs de l’industrie de l’IA, de PDG et de chefs d’entreprise. Selon Politico, Gail Slater, conseillère économique de J.D. Vance, et Michael Kratsios, directeur général de Scale AI, sont chargés des questions de politique technologique au sein de l’équipe de transition de Donald Trump. Michael Kratsios a été directeur de la technologie au Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison-Blanche et a travaillé auparavant dans la société de capital-risque de Peter Thiel, Thiel Capital.
Elon Musk ferait partie d’un petit groupe de personnes qui ont consulté l’ancien et le futur président des États-Unis sur des questions telles que l’IA, aux côtés de Jacob Helberg, conseiller de Palantir. Par le passé, Elon Musk a adopté une position favorable à la réglementation de l’IA dans les discussions sur la surveillance de cette technologie. L’année dernière, il a mis en garde les sénateurs du Capitole contre le « risque civilisationnel » que l’IA fait peser sur les sociétés. Elon Musk a également soutenu le projet de loi californien sur la sécurité de l’IA, qu’il a qualifié de « décision difficile » et qui « contrarierait probablement certaines personnes » (le gouverneur Gavin Newsom a par la suite opposé son veto au projet de loi).
« Le dernier gouvernement Trump a fait d’importants progrès en matière de bonne gouvernance de l’IA », notamment ses premiers travaux sur le contrôle des exportations de semi-conducteurs, la coopération internationale et les normes de gestion des risques liés à l’IA, a déclaré Dan Hendrycks, directeur du Center of AI Safety (CAIS) et conseiller du laboratoire de recherche sur les modèles d’IA d’Elon Musk, xAI. « J’ai bon espoir que le prochain gouvernement continuera à donner la priorité à la prise en compte des risques que l’IA pose à la sécurité nationale », a-t-il déclaré.
Les questions parallèles des semi-conducteurs et des contrôles des exportations sont également susceptibles de devenir des piliers économiques clés sous Donald Trump. Même avant sa réélection, les entreprises d’IA et leurs fondateurs ont plaidé en faveur de politiques de développement qui favorisent la fabrication et l’innovation aux États-Unis. Dans une tribune publiée en juillet dans le Washington Post, Sam Altman a écrit : « Nous devons élaborer une politique de diplomatie commerciale cohérente pour l’IA » qui comprendrait des mesures relatives aux investissements étrangers dans les systèmes d’IA et des contrôles à l’exportation de sa technologie, y compris les micropuces et les données d’entraînement.
Un cadre général simplifié
Autre source d’optimisme pour les fondateurs et les investisseurs dans le domaine de l’IA : un potentiel changement de stratégie à la Commission fédérale du commerce, dont les experts s’accordent à penser que la présidente Lina Khan est sur le point de partir. « Je pense que l’on peut supposer que la surveillance en matière de pratiques anticoncurrentielles va considérablement diminuer et que Google, Amazon, Microsoft et Meta vont pouvoir recommencer à faire de vraies acquisitions », a déclaré l’investisseur en IA Rob Toews, partenaire de Radical Ventures.
Les « contorsions insolites » comme les pseudo-acquisitions d’Adept AI et de Character AI, grâce auxquelles les fondateurs et le personnel ont rejoint Amazon et Google tout en conservant l’indépendance des start-up, ne seront plus nécessaires, a prédit Rob Toews. « Je pense qu’il y aura beaucoup plus d’acquisitions de start-up d’IA », a-t-il ajouté. May Habib, cofondatrice et PDG de la start-up Writer, a convenu que davantage de fusions et d’acquisitions contribueraient à alimenter l’écosystème. « Je pense que c’est une aubaine pour l’écosystème technologique », a-t-elle déclaré.
Trouver un équilibre
Les politiques du gouvernement Trump en matière d’IA devront trouver un équilibre entre les positions passées d’Elon Musk en matière de sécurité et celles de son colistier et futur vice-président, J.D. Vance. Ce dernier est largement considéré comme un partisan de la technologie open-source : lors d’une audition sénatoriale sur l’IA en juillet, il a déclaré qu’il s’inquiétait des « tentatives de surréglementation préventive qui renforceraient franchement les opérateurs historiques que nous avons déjà et rendraient les choses plus difficiles pour les nouveaux venus ». Selon un fondateur dans le secteur de l’IA, le fait que J.D. Vance préconise une politique favorable aux logiciels libres pourrait être « très important » pour les start-up. Cependant, d’un autre côté, J.D. Vance a également soutenu certaines des actions en matière de pratiques anticoncurrentielles portées par Lina Khan. « C’est un peu déroutant », a déclaré un éminent investisseur dans le domaine de l’IA.
La suppression d’une grande partie de la « bureaucratie », mais pas de la totalité, pourrait être l’une des solutions préférées. Dans les semaines qui ont précédé l’élection présidentielle américaine, Martin Casado, partenaire d’a 16z et grand défenseur des logiciels libres, a soutenu l’idée de confier au monde universitaire le soin de déterminer les réglementations qui pourraient être nécessaires. « Je pense qu’il est important de simplement réglementer les bonnes choses, en se fondant sur des principes réfléchis », a-t-il déclaré lors de la conférence TC Disrupt.
« La question n’est donc pas de savoir si l’IA sera réglementée, mais si les États-Unis joueront un rôle dans l’élaboration de ces réglementations, ou s’ils laisseront d’autres pays écrire les règles de cette puissante technologie ? »
Adam Gleave, fondateur et PDG du laboratoire de sécurité de l’IA FAR AI
Certaines industries se tourneront vers les régulateurs fédéraux pour obtenir des conseils. Andreas Cleve, PDG de Corti, qui a récemment délocalisé sa start-up d’IA fondée au Danemark aux États-Unis, a déclaré : « Je suis parfois impressionné et un peu surpris de voir à quel point la conformité est faible aux États-Unis. » Pour les start-up du secteur de la santé comme Corti, qui analyse et améliore les consultations des patients, la « clarté » de la réglementation sera cruciale, selon Andreas Cleve. « Notre hypothèse est qu’il y en aura moins avec Donald Trump, et que ce dernier sera plus favorable à l’industrie », a-t-il ajouté. « Comme avec les patients, quand cela a du sens alors la conformité est importante. Mais la grande question sera de savoir où placer le curseur. »
Un cap encore incertain
Sur la scène internationale, les autres dirigeants politiques sont probablement aussi impatients de voir comment les politiques de Donald Trump en matière d’IA prendront forme. Le Royaume-Uni et l’Union européenne continueront à faire progresser leurs propres cadres réglementaires, a noté Adam Gleave, fondateur et PDG du laboratoire de sécurité de l’IA FAR AI. « Je m’attends à ce que le gouvernement [Trump] veuille poursuivre bon nombre des accords bipartisans autour de l’IA au cours des deux dernières années, compte tenu de leur importance pour la sécurité nationale », a-t-il déclaré. « La question n’est donc pas de savoir si l’IA sera réglementée, mais si les États-Unis joueront un rôle dans l’élaboration de ces réglementations, ou s’ils laisseront d’autres pays écrire les règles de cette puissante technologie ? »
Un autre investisseur travaillant en étroite collaboration avec l’un des principaux laboratoires de recherche sur l’IA de la Silicon Valley a averti qu’il pourrait s’écouler un certain temps avant que Donald Trump et son équipe ne fixent leur cap. « Il est trop tôt pour savoir ce qui relève de la rhétorique de campagne et ce qui relève de la politique », a expliqué cet investisseur. « Donald Trump est davantage un capitaliste et il voudra s’assurer que les États-Unis sont en avance sur la Chine, ce qui devrait être positif. « Cependant, lui et tous les autres politiciens disposent d’une marge de manœuvre assez restreinte en matière de compréhension de l’IA afin de mettre en place une politique adaptée. »
Une traduction de Flora Lucas
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