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Maroc : Acquis Et Défis De Deux Décennies De Politiques Sociales

Maroc

Depuis l’entrée dans le nouveau siècle, qui a coïncidé avec l’arrivée sur le trône d’un jeune monarque de trente-six ans, Mohammed VI, le Maroc a effectué un grand « bond en avant » économique caractérisé par une politique axée sur les investissements dans les infrastructures et la réforme de son tissu productif. Ceci a permis au pays de bâtir un maillage logistique, énergétique et de transports inédit en Afrique, avec des milliers de kilomètres d’autoroutes, plusieurs aéroports internationaux, le plus grand port d’Afrique, ainsi que le premier train à grande vitesse du continent. En parallèle, une nouvelle trajectoire des politiques sociales a été mise en place, enregistrant un certain nombre de succès, mais accusant encore quelques limites qu’il convient de dépasser pour installer définitivement le royaume chérifien parmi les pays émergents.

De manière générale, les politiques sociales visent à combattre l’exclusion sociale sous toutes ses formes et la mise en place de différents filets sociaux de sécurité en faveur des couches de population démunies. Dans ce cadre, le Maroc ne fait pas exception. Ainsi, le premier filet social à avoir été mis en place dans le royaume est la Caisse de Compensation en… 1941. Son objectif alors était de subventionner différents produits de base afin de maintenir leurs prix de vente à des niveaux inférieurs à leurs coûts réels.

Au fil du temps, ce système – mal ciblé et profitant aux couches aisées plutôt qu’aux catégories de population qui en avaient vraiment besoin – est devenu trop lourd à supporter financièrement pour l’État marocain. Ceci a conduit à sa réforme graduelle par la libéralisation des différentes filières.

À côté de ce système de subventions, le Maroc a opté pour la mise en place d’une série de filets sociaux de sécurité visant une meilleure protection sociale des populations démunies. Ces programmes, mis en place pour la plupart depuis une vingtaine d’années, visent de nombreux domaines. Au niveau de la santé tout d’abord, la couverture médicale de base comprenant deux volets, l’assurance maladie obligatoire (AMO) dédiée aux salariés et aux pensionnés et un régime d’assurance spécifique dédié aux personnes démunies (RAMED), initié en 2008, généralisé en 2012 et étendu aux étudiants en 2015. Ces deux régimes ont permis d’augmenter sensiblement le taux de couverture médicale touchant actuellement 62% de la population.

De manière plus systémique, afin de corriger les distorsions induites par la croissance rapide enregistrée par le Maroc, l’initiative nationale de développement humain (INDH), initiée puis lancée par le roi Mohammed VI en 2005, vise la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale à travers la réalisation de projets d’investissement en faveur des populations vivant dans des régions démunies et excentrées. Cette initiative a connu deux phases 2005 – 2010 et 2011-2017 ainsi qu’une troisième phase qui vient d’être lancée, après avoir enregistré des résultats probants.

Par ailleurs il y a lieu de citer la multitude d’investissements opérés par l’Etat directement ou indirectement à travers les entreprise et établissements publics qui ont une relation directe avec l’emploi, le revenu et les conditions de vie des citoyens. Il s’agit par exemple du logement social, de la généralisation de l’électrification et l’adduction de l’eau potable avec une couverture nationale respectivement de 97% et 75%, les grands travaux d’infrastructure et de désenclavement rural assurant emplois et revenus aux populations locales, l’amélioration de la condition de la Femme et son insertion dans le tissu productif national à travers la réforme du code du statut personnel (Moudouwana) en 2004 et la constitution de 2011 consacrant les principes d’égalité et de parité.

L’ensemble de ces actions directes et indirectes, associées à une croissance économique soutenue, ont permis durant ces deux dernières décennies d’éradiquer la pauvreté absolue et de réduire le taux de pauvreté relative de 16% environ à 4,8% comme elles ont permis de réduire le taux de chômage de 15% à 9,8%.

Cependant, si les réalisations sont nombreuses et positives pour beaucoup d’entre elles, le chemin reste encore long pour éradiquer la pauvreté, la vulnérabilité, réduire les écarts entre riches et pauvres et de manière générale afin d’assurer les conditions d’une vie décente pour la majorité des citoyens.

Il est ainsi difficilement concevable qu’avec une contribution budgétaire annuelle représentant environ 48% du budget de l’Etat alloués directement et indirectement aux secteurs sociaux, le Maroc continue d’afficher des retards dans des domaines aussi vitaux que l’éducation et la formation, l’emploi, la santé, le logement social, le rôle de la femme. De l’avis de nombreux experts, si les efforts considérables qui ont été fournis n’ont pas produit pleinement les effets escomptés, c’est parce que ces programmes qui dépassent la centaine pêchent à la fois de leur éparpillement et de leur manque de convergence.

De ce fait, afin d’adresser les défis inhérents à la montée en gamme des politiques sociales au Maroc, il est essentiel de remplacer le ciblage territorial par un ciblage individuel afin d’identifier de manière efficace les différentes couches de population nécessiteuses. En parallèle, il est crucial de mettre en place une base de données aussi exhaustive que possible. Enfin, pour éviter la déresponsabilisation des acteurs ainsi que l’atomisation des budgets, il serait nécessaire que toutes les interventions sociales soient dévolues à un seul ou deux organismes pour éviter les redondances, les déperditions et permettre les synergies requises pour atteindre les effets souhaités.

A cet effet, la mise en place du nouveau registre social unifié sera de mon point de vue l’une des réponses des plus appropriées pour pallier ce déficit d’efficacité afin de lutter contre les inégalités sociales.

La mise en place d’un identifiant unique – voulue par le souverain – doit ainsi servir à la confection d’un registre des ménages renseignant sur différents aspects permettant de définir de manière scientifique les classes de population devant bénéficier des aides notamment monétaires non conditionnées. Ce système gagnerait à être géré par un organisme unique venant se substituer progressivement aux aides actuelles qui sont coûteuses, non correctement ciblées et par conséquent non productives. En définitive l’objectif de la nouvelle génération de politiques sociales adoptées par le Maroc depuis vingt ans vise non seulement à corriger les distorsions sociales, mais également à libérer les initiatives et à fédérer les énergies. Si la double exigence de convergence et d’efficacité est replie, elle pourra contribuer à l’installation d’une démocratie solidaire dans le développement durable.

 

Par Najib Benamour, économiste, ancien Directeur général de la caisse de compensation marocaine.

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