Orphelin de son « père en politique », le Premier ministre, désormais devancé par Emmanuel Macron dans l’opinion pour incarner une alternative crédible à François Hollande, devra, comme Michel Rocard en son temps, imprimer sa marque pour sortir la gauche de sa torpeur.
Parmi la kyrielle d’hommages rendus au « visionnaire », à « l’homme d’Etat » ou encore à « l’exemple » Michel Rocard, l’un d’eux est plutôt passé inaperçu…car rendu, à titre posthume, par l’intéressé lui-même à son disciple, Manuel Valls. Ainsi, dans son « testament politique », l’ancien meilleur ennemi de François Mitterrand a souhaité, outre la traditionnelle cérémonie aux Invalides, qu’hommage lui soit rendu rue de Solférino, au siège du Parti socialiste par l’actuel Premier ministre, ce qui lui permettrait ainsi d’inscrire ses pas dans ceux de son mentor et de rappeler l’impérieuse nécessité d’une « deuxième gauche », dont les contours ont été dessinés par Michel Rocard, il y a déjà plus de vingt ans.
Michel Rocard fut un rêveur réaliste,un réformiste radical,animé par le mouvement des idées, le sort de la planète et de la destinée humaine
— François Hollande (@fhollande) 2 juillet 2016
J’aimais chez Michel Rocard son imagination, sa liberté de pensée et le rêve toujours recommencé de dépasser les sectarismes pour construire
— François Bayrou (@bayrou) 2 juillet 2016
Rocard, esprit agile, culture historique, goût du débat sans concessions mais sans sectarisme. Entre nous,des divergences mais de l’estime
— Alain Juppé (@alainjuppe) 2 juillet 2016
Une occasion unique pour Manuel Valls, embourbé dans les limbes sondagières, de revenir sur le devant de la scène et marquer sa différence, à la fois vis-à-vis de François Hollande, considéré comme l’homme de la synthèse-voir de l’immobilisme persifleront les mauvaises langues et d’Emmanuel Macron, « l’homme pressé » qui, en quelques mois, a réussi le prodige d’étouffer les velléités élyséennes de Manuel Valls.
Une gauche « audacieuse et réformiste »
Symbole de cette gauche réformiste et audacieuse au début du quinquennat, l’ancien maire d’Evry semble avoir perdu de sa superbe et de sa « vista », celle-là même qui lui a permis d’arracher de haute lutte Matignon à Jean-Marc Ayrault, devenant ainsi, 26 ans après Michel Rocard, chef du gouvernement de la France.
Mais le destin de Manuel Valls suivra-t-il la trajectoire de son mentor, à savoir une véritable appétence pour l’exercice du pouvoir, davantage que pour sa conquête ? Nommé à Matignon en 1988 par François Mitterrand, Michel Rocard s’évertuera à mettre en pratique les vertus cardinales de cette « deuxième gauche » qu’il appelait de ses vœux, en l’occurrence : prendre en compte « les contraintes de l’économie mondialisée » sans pour autant « renoncer aux ambitions sociales ».
Une crédibilité largement entamée, du moins sur le plan social, par Manuel Valls et la séquence catastrophique de la « loi travail » où son intransigeance a braqué les partenaires sociaux avec, pour point d’orgue, l’interdiction d’une manifestation…et son rétropédalage en règle, quelques heures plus tard, autorisant finalement le défilé. Autre point négatif, là ou Rocard faisait autorité en la matière, l’incapacité pour Manuel Valls de tenir ses troupes, et son turbulent rival Emmanuel Macron, contraint de le recadrer à maintes reprises, sans pour autant éteindre, du moins calmer, les ambitions du locataire de Bercy.
Dès lors, quel avenir s’offre à l’ancien ministre de l’Intérieur, à moins d’un an de l’échéance présidentielle ? Se replier sur son fief d’Evry, comme Nicolas Sarkozy en 1995 à Neuilly-sur-Seine…et Michel Rocard à Conflans-Sainte-Honorine en attendant des jours meilleurs ? Ou alors, encore une fois, s’inscrire dans la droite ligne de son mentor en prenant le Parti socialiste après la présidentielle et le mettre en ordre de bataille, et surtout à son service, pour 2022 ?
Traversée du désert ou tête du Parti socialiste ?
La perspective s’annonce résolument lointaine et hautement périlleuse. Lessivé par trois ans d’exercice du pouvoir à Matignon, Michel Rocard avait, à partir de 1993, pris les rênes d’un parti socialiste en miettes, au sortir d’élections législatives catastrophiques pour les socialistes, où Michel Rocard perdra d’ailleurs sa circonscription.
Plaidant pour un « big-bang » de la gauche, l’ancien Premier ministre n’aura pas le temps de mettre en place sa politique car il sera balayé, moins d’un an plus tard, par la liste de Bernard Tapie-soutenue discrètement par Mitterrand- aux élections européennes, puis mis en minorité au conseil national du PS par le tandem Emmanuelli-Fabius. Ce seront les derniers soubresauts de la carrière nationale de Michel Rocard qui, deviendra, petit à petit selon les mots de Laurent Fabius, une sorte de « sage actif » pour toute une génération, de François Hollande à Emmanuel Macron en passant évidemment par Manuel Valls.
Car si pour ce dernier, Michel Rocard a résolument servi « d’exemple « dans sa volonté de moderniser la gauche, il devra également éviter les écueils que son « père en politique » n’a pas su contourner pour accéder aux plus hautes fonctions. Pour ne pas devenir comme son ancien héros « ce rêveur réaliste » salué par François Hollande, ce samedi soir, quelques heures après son dernier souffle.
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