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Macron, Trump : l’Instant Électoral

Après cinq ans d’un gouvernement social-libéral sans majorité, les Français s’apprêtent à donner à Emmanuel Macron une liberté de manœuvre sans précédent depuis les débuts de la Ve République. Pourquoi ? Et que pourra en faire le Président ? La réponse, inattendue, passe par Washington et Berlin.

Dimanche prochain, les Français donneront une écrasante majorité à Emmanuel Macron. Les résultats du premier tour confirment les projections qui l’indiquaient dès le début du mois de juin. Le très sérieux Centre de la vie politique française à Sciences Po (Cevipof), avec Ipsos et Steria, avait alors accordé à La République En Marche (LREM) presque un tiers des suffrages et deux tiers des députés (*). Il était légèrement en dessous de la réalité :

Il y a de quoi rester interdit.

Quoi qu’on en dise, il ne semble pas que les électeurs se mobilisent pour donner au nouveau Président les moyens de gouverner. LREM s’impose sur l’idée d’apporter un sang neuf, plus que sur un programme détaillé. Sur les 506 marcheurs qualifiés pour le deuxième tour, moins de 30 ont une expérience parlementaire.

Dans le même sondage qui a prédit les résultats avec une telle étonnante précision (*), 37% seulement des Français déclaraient vouloir aller voter aux législatives pour soutenir l’action du Président de la République. Il s’agit plutôt d’une suite dans les idées «révolutionnaires » ou du moins « dégagistes » que d’une adhésion à une idéologie ou à un programme précis.

En cela, les Français montrent une certaine continuité avec les électeurs américains qui, sans majoritairement adhérer à ses idées, ont eux aussi donné une majorité parlementaire écrasante au «dégagiste » Donald Trump qui leur promettait de « drainer le marais de Washington ». « The Donald » a en effet emmené avec lui un raz-de-marée républicain au Sénat et à la Chambre des représentants et cette majorité lui reste fidèle, d’une bourde à l’autre. Y aurait-il quelque chose de commun à ces deux hommes que tout oppose ?

Le Général et le bon élève

Le comportement gaullien d’Emmanuel Macron depuis sa prise de fonctions a certainement contribué à la réussite. A défaut d’instaurer un nouveau rapport de force transatlantique, sa poignée de mains avec (ou contre) Donald Trump au G7 de Taormine et sa réponse Make our planet great again ! à la dénonciation de l’accord de Paris ont sonné aux oreilles des Français comme un appel qu’ils aiment entendre : France is great again. Le Général se réincarne dans le bon élève et Donald Trump prend le rôle de la marionnette que l’on aime à frapper.

Jusqu’au tweet du Président français qui adopte, en anglais, des accents américains et presque trumpiens :

« Delivering on our promise » (« En tenant notre promesse ») suscite une interrogation (quelle promesse ?) mais fait directement écho au discours sur l’état de l’Union de Donald Trump le 28 février dernier : « Above all else, we will keep our promises to the American people » (Avant tout, nous tiendrons nos promesses au peuple américain).

Difficile de mener très loin ce parallèle entre ces deux pôles opposés mais, ensemble, Donald Trump et Emmanuel Macron définissent un axe, ou plutôt le repère cartésien de la nouvelle politique : à l’opposition gauche-droite habituelle, les abscisses, se surimpose un axe nouveau.

Il est désormais convenu d’opposer les « insiders », optimistes, dynamiques, éduqués et se croyant généralement pourvus d’un avenir, et les « outsiders », pessimistes, aigris, ouvriers, paysans, « petits Blancs ». Certes, il n’y a pas plus d’opposition entre les « élites » et le « peuple » qu’entre la bourgeoisie et le prolétariat. Le raisonnement est simpliste (et plutôt insultant pour bien des gens qui, justement, aimeraient une nouvelle chance de « s’en sortir »). Mais une matrice à quatre cases, où chaque électeur se sent tiraillé entre sa confiance dans l’avenir et son appartenance politique, reflète bien la réalité politique dans les deux pays : à cette aune, le parallèle avec les Etats-Unis est frappant. Outre l’affinité idéologique des couples Trump-Le Pen, Clinton-Macron, Rubio-Fillon et Sanders-Mélenchon, l’élection de novembre dernier s’est jouée sur la même diagonale qu’en France :

Certes, le résultat des élections a été diamétralement opposé en France et aux Etats-Unis, mais essentiellement à cause du mode de scrutin. Le système français ramène au centre ; il aurait sans hésitation donné la victoire à Hillary Clinton, majoritaire en voix. Et inversement, qui peut se dire certain que Marine Le Pen n’aurait pas triomphé dans un suffrage majoritaire indirect à un tour sur une base départementale (en gros, le système américain) avec une carte comme celle-ci :

 

 

La diagonale du fou

Pour que cette répartition par diagonale prenne son sens, il faut qu’il y ait une force nouvelle qui, en France comme aux Etats-Unis, pousse les optimistes et les éduqués à se concentrer au centre gauche ; les pessimistes et les marginalisés à se radicaliser, surtout à droite. Une force nouvelle, ou deux faiblesses anciennes : les idées et les médias.

La vétusté idéologique, tout d’abord. Sur la diagonale Fillon/Mélenchon ou Rubio/Sanders, on se réfère encore régulièrement aux idéologies du 19ème siècle : un socialisme (plus ou moins) révolutionnaire, un libéralisme (plus ou moins) traditionaliste. Or, ce débat-là est au bout de son souffle idéologique : une génération entière est née depuis la chute du mur de Berlin. La liberté, l’égalité, restent d’actualité, mais Daech fait plus peur que les fantômes de Bakounine, Hayek et Marx réunis. L’autre diagonale s’impose car la résurgence du nationalisme populiste s’exprime mieux à droite qu’à gauche. Et l’on s’y oppose plus facilement au centre gauche, dans une synthèse de l’internationalisme, du libre-échange et de la liberté de mœurs.

Quant aux médias, même si chaque candidat tâche bien sûr de faire feu de tout bois, les affinités de chacun sont claires : Mélenchon et Sanders sont avant tout des tribuns ; la passion de Donald Trump pour Twitter et l’importance du Front National sur Facebook sont bien connues ; anciens sherpas l’une et l’autre, Hillary Clinton et Emmanuel Macron ne sont jamais aussi à l’aise que dans un débat d’idées sur des dossiers impénétrables. Et ainsi de suite : on peut répartir les médias selon la même matrice que les candidats.

Or, le débat est ici tranché : les nouveaux médias s’imposent progressivement des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, l’impéritie de Donald Trump a beau redonner vie à des journaux menacés comme le Washington Post, les réseaux sociaux ont fait la preuve que les fake news pouvaient changer le sens d’une élection.

 

Quant au triomphe d’Emmanuel Macron en France, il n’a pas lieu grâce aux nouveaux médias, mais parce que les anciens gardent en France plus d’influence qu’aux Etats-Unis. Pour l’heure. 

Une digue gaullienne contre les geysers

C’est là la principale faiblesse du quinquennat qui s’ouvre. La montée des réseaux sociaux dans l’espace public génère des geysers sous les anciennes pyramides : ainsi des printemps arabes ; ainsi de Podemos en Espagne ; ainsi de l’ascension de Donald Trump. Dans tous les cas, se sont ouvertes en conséquence des crises institutionnelles.

Même s’il porte aujourd’hui le renouveau, le quinquennat Macron n’est nullement à l’abri d’une flambée issue des réseaux sociaux. Au contraire, l’absence d’une force d’alternance évidente, apte à canaliser les frustrations, pourra renforcer les colères diffuses. Chaque fois qu’une réforme précarisera un employé ou un ouvrier menacé par la robotisation des processus métiers ; qu’elle privera de moyens un instituteur ou un agent de la fonction publique territoriale ; qu’elle acculera à la faillite un chauffeur de taxi ou un éleveur de poulets en batterie ; à chaque fois le niveau d’alerte montera d’un cran.

Pour dominer l’Assemblée Nationale, la majorité n’en sera pas moins assise sur un tiers de l’électorat. Bien moins que les 55% des Français qui, au premier tour des élections présidentielles, ont voté pour des candidats peu ou prou hostiles à l’Europe. Si l’on veut éviter un Trump français en 2022, il est donc nécessaire de renforcer les institutions.

Voici pourquoi, alors que tout lui sourit, Emmanuel Macron met déjà les bouchées doubles avec l’Allemagne. 

Pour l’heure, tous les principaux alliés de la France sont handicapés dans leur processus de décision, qui par une élection prochaine (Angela Merkel à Berlin), qui par une défaite électorale (Theresa May à Londres), qui par des casseroles toujours plus bruyantes (Donald Trump à Washington). 

Paris peut donc, quelques mois, se saisir du leadership. Puis, les dissensions sur le Brexit et l’imprévisible M. Trump reprendront le dessus, érodant l’autorité d’Emmanuel Macron au moment où les réformes économiques commenceront à mordre – ce qu’elles feront inévitablement avant de déployer, à terme, leurs bienfaits.  A moins qu’un accord avec Berlin ne pérennise la situation actuelle. Déjà, la France apparaît dans certains sondages allemands comme le seul partenaire digne de confiance :

Mais l’opinion publique ne fait pas tout.

Après avoir formé un gouvernement quasiment bilingue, Emmanuel Macron a lancé, sans attendre la fin des législatives, la réforme du marché du travail. Celle-ci évoque clairement les réformes Hartz de 2003 et 2004 et, grâce à la dynamique des élections, devrait pouvoir s’imposer. Si c’est le cas, elle donnera des gages de sérieux à l’Allemagne qui, après le comportement lunatique de François Hollande et Nicolas Sarkozy, est bien en droit d’en demander.

Et si Emmanuel Macron complète les ordonnances sur le code du travail par une loi de finances propre à assainir les comptes publics, il pourra lancer un coup proprement gaullien. Dimanche 24 septembre, en effet, auront lieu les élections allemandes (et, en France, les élections sénatoriales). Les partis outre-Rhin entreront alors en négociations pour le Koalitionsvertrag, le contrat de coalition pour les quatre années de vie du Bundestag.

Le Président français choisira-t-il ce moment pour leur tendre la main et leur proposer un nouveau traité de l’Elysée, tel celui signé par De Gaulle et Adenauer en 1963 ? Il se prépare en tous cas, visiblement, à un partenariat renforcé avec l’Allemagne. Un contrat de mandature pour les deux pays, portant sur les infrastructures, les modèles de société, les institutions serait un choix audacieux pour remettre l’Europe en marche. Un de plus. 

 

 

(*) Les détails de la vague de sondages Cevipof – Ipsos – Steria sont ici : https://www.enef.fr/donn%C3%A9es-et-r%C3%A9sultats/

 

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