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Long format | Neuf choses à retenir sur la plainte déposée par TikTok contre le gouvernement américain

TikTokLogo TikTok. | Source : Getty Images

Au milieu d’un flot de rappels juridiques, la plainte de TikTok contre le gouvernement américain contient quelques révélations notables et surprenantes.

Article d’Emily Baker-White pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Mardi 7 mai, comme ils l’avaient promis, TikTok et ByteDance ont intenté une action en justice contre le gouvernement américain pour contester la constitutionnalité du Protecting Americans From Foreign Adversary Controlled Apps Act, connu sous le nom de PAFACA ou simplement The TikTok Ban Bill. Cette loi, adoptée par le Congrès et promulguée le mois dernier, exige que ByteDance vende les activités américaines de TikTok d’ici au 19 janvier 2025, sous peine d’interdiction de l’application aux États-Unis.

La plupart des arguments avancés dans la plainte de TikTok et de ByteDance ont déjà fait l’objet de reportages, notamment au sujet d’une négociation infructueuse avec le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), une négociation reconnue pour la première par TikTok et BytDance alors que Forbes avait révélé l’information en exclusivité l’été dernier. Cependant, voici neuf éléments nouveaux ou dignes d’intérêt, qui suggèrent la direction que pourrait prendre ce combat à l’avenir.

 

  1. Quid du Project Texas ?

Dans la plainte, TikTok et ByteDance affirment maintenant avoir « investi » plus de 2 milliards de dollars dans le Projet Texas, le cadre juridique et technologique qui constituait la base de la proposition des entreprises au CFIUS après des années de négociations sur la sécurité nationale. L’objectif ultime du Projet Texas était de séparer la propriété du contrôle, permettant à ByteDance de posséder TikTok et son algorithme tout en l’empêchant légalement et logistiquement de contrôler les opérations américaines de l’application. Cependant, le CFIUS a rejeté le Projet Texas en mars 2023, et l’adoption du PAFACA montre que le Congrès pense lui aussi que ce n’est pas suffisant.

Le chiffre de 2 milliards de dollars est nouveau, alors que TikTok avait déclaré début 2023 que l’entreprise dépenserait 1,5 milliard de dollars dans le cadre de cette initiative. Pendant des années, les entreprises technologiques ont cherché à échapper à la réglementation en se présentant comme des moteurs de l’économie américaine, et une partie de la stratégie de TikTok/ByteDance consiste à projeter de la confiance et à montrer que les choses se passent comme d’habitude. Cependant, continuer à investir dans une proposition que le gouvernement américain a rejetée à plusieurs reprises peut revenir à jeter cet argent par les fenêtres, si les tribunaux estiment que la loi d’interdiction peut être maintenue.

 

  1. Le gouvernement a perdu la main : quand l’affaire a vraiment capoté

TikTok/ByteDance brossent un tableau dramatique de la façon dont le CFIUS les a escamotés à la table des négociations entre août 2022 et mars 2023, lorsque le CFIUS a déclaré que ByteDance devrait vendre TikTok ou faire face à une interdiction aux États-Unis.

« Du point de vue des requérants, tout indiquait qu’ils étaient proches d’un accord final », écrivent les entreprises. « Après août 2022, cependant, le CFIUS a cessé, sans explication, d’engager avec les requérants des discussions sérieuses sur l’accord de sécurité nationale. Les requérants ont demandé à plusieurs reprises pourquoi les discussions avaient pris fin et comment elles pouvaient être relancées, mais ils n’ont pas reçu de réponse concrète. »

Il s’est passé beaucoup de choses durant les mois où le CFIUS n’a pas discuté avec TikTok/ByteDance. C’est au cours de ces mois que Forbes a révélé que le service d’audit interne et de contrôle des risques de ByteDance avait l’intention de surveiller les journalistes afin de découvrir leurs sources, et que ByteDance a mené une enquête montrant que ses employés avaient effectivement surveillé des journalistes. ByteDance a licencié quatre employés à la suite de ce qu’elle a appelé par la suite « l’effort malavisé », y compris son auditeur interne en chef et le cadre basé à Pékin auquel il rendait compte.

 

  1. Le fondateur de ByteDance vit à Singapour et non en Chine

Les entreprises affirment que le fondateur de ByteDance, Zhang Yiming, citoyen chinois, vit officiellement à Singapour. Zhang Yiming, qui préfère se faire appeler par son prénom, vit à temps partiel sur l’île depuis 2022, où il a échappé à la plupart des restrictions covid les plus draconiennes imposées par la Chine, mais c’est la première fois que les entreprises le décrivent comme légalement domicilié dans un pays autre que la Chine.

 

  1. TikTok et ByteDance admettent enfin l’étroitesse de leur relation

TikTok/ByteDance s’appuient maintenant sur un fil conducteur que Forbes avait signalé depuis des années : l’application TikTok est inextricablement liée au reste des systèmes de ByteDance, d’une manière qui rend leur séparation effectivement impossible. « Déplacer tout le développement du code source de TikTok de ByteDance vers un nouveau propriétaire de TikTok serait impossible d’un point de vue technologique », affirment les entreprises, avant de se lancer dans une explication sur les « millions de lignes de code logiciel de TikTok qui ont été minutieusement développées par des milliers d’ingénieurs pendant de nombreuses années ».

Il s’agit d’un revirement ironique par rapport à un récit antérieur par le biais duquel TikTok et ByteDance insistaient sur le fait que les deux entreprises étaient davantage distinctes. Elles ont affirmé à maintes reprises que des cadres américains dirigeaient l’entreprise, alors que de nombreux rapports montrent que ce n’est pas et n’a jamais été le cas.

Les entreprises affirment également que « pour faire fonctionner la plateforme », les ingénieurs de TikTok « auraient besoin d’accéder aux outils logiciels de ByteDance, ce que la loi interdit ».

En résumé, la dépendance de TikTok à l’égard d’outils ByteDance autres que ceux de TikTok est l’une des raisons pour lesquelles les législateurs s’inquiètent à son sujet ! La nouvelle entité des entreprises issue du Projet Texas a réduit sa dépendance à l’égard des systèmes ByteDance tels que Lark, la suite bureautique tout-en-un de l’entreprise, et Seal, son réseau privé virtuel (VPN). Cependant, la reconnaissance du fait que TikTok doit toujours passer par les tuyaux de ByteDance élimine tout doute sur le fait que le réseau social n’est pas seulement détenu, mais aussi très largement contrôlé par ByteDance aujourd’hui.

 

  1. Aucune sanction par voie législative

Le PAFACA définit les conditions dans lesquelles un président américain peut désigner une application comme étant une « application contrôlée par un groupe étranger ». Cependant, il place TikTok, et toutes les autres applications de ByteDance, dans cette catégorie, sans exiger que le président américain applique le même type de désignation à d’autres applications qui pourraient un jour être couvertes par la loi.

Ce procédé est assez étrange ! Il s’explique probablement par le fait que certains législateurs ne voulaient pas laisser au président américain le soin de désigner ou non TikTok. En nommant une application spécifique et sa société mère dans le projet de loi, les législateurs se sont exposés à l’une des principales revendications de TikTok et de ByteDance, à savoir que la loi est une loi d’amnistie inconstitutionnelle : en termes simples, une loi qui cherche à punir une personne ou une entité spécifique.

Aux États-Unis, on ne punit pas par la loi, mais par les tribunaux. Par conséquent, si TikTok peut prouver que l’intention de ce projet de loi était de le punir ou de l’interdire spécifiquement, les tribunaux estimeront probablement que la loi ne peut pas être maintenue.

 

  1. Le gouvernement chinois décide de la vente

TikTok et ByteDance reconnaissent catégoriquement dans leur plainte que le gouvernement chinois interdirait à ByteDance de vendre son célèbre algorithme de recommandations. Presque tous les experts l’ont affirmé, mais le fait de l’entendre directement de la bouche de TikTok/ByteDance montre clairement que le gouvernement chinois est l’arbitre ultime pour déterminer qui aura accès à l’ingrédient secret de TikTok.

 

  1. Les législateurs devront revenir sur leurs propres déclarations anti-TikTok

Forbes a écrit il y a quelques semaines que les commentaires des législateurs américains sur le contenu de TikTok pourraient se retourner contre eux devant les tribunaux, rendant plus difficile pour le gouvernement de prouver qu’il n’agissait pas par hostilité à l’égard du contenu sur l’application. Cette prophétie s’est réalisée : TikTok/ByteDance ont fait valoir exactement cet argument dans leur plainte.

 

  1. À propos de cette étrange exclusion des évaluations de produits

Les législateurs ont introduit dans leur loi une étrange exclusion pour les sites qui hébergent des avis sur des produits, des voyages et des entreprises. TikTok et ByteDance estiment que cette mesure est injuste.

Le projet de loi vise les grandes plateformes où les utilisateurs peuvent créer leurs propres messages et consulter ceux des autres, c’est-à-dire les plateformes qui permettent un contenu généré par l’utilisateur (CGU). Les applications d’évaluation sont techniquement des applications de CGU, mais elles n’ont pas la même influence potentielle sur le discours et la culture que les applications sociales, c’est la raison pour laquelle le Congrès les a exclues du champ d’application de la loi.

TikTok et ByteDance affirment aujourd’hui que cette exemption favorise certains discours (les critiques) par rapport à d’autres (les autres). Il semble peu probable que les législateurs aient réellement essayé de privilégier un type de discours par rapport à un autre, mais cela n’aura peut-être pas d’importance si les tribunaux déterminent que c’est effectivement ce que fait l’exemption.

 

  1. Tout le monde a rassemblé des preuves pour cette épreuve de force

TikTok/ByteDance et le gouvernement américain ont passé des années à se préparer pour ce moment : celui où TikTok/ByteDance soutiendra que le projet de loi d’interdiction est mal informé et trop large et où le gouvernement secouera la tête en disant « nous avons essayé, mais il n’y avait pas d’autre moyen ».

Le premier amendement régira la plupart des arguments soulevés par TikTok et ByteDance. Cependant, le premier amendement n’est pas une protection générale pour tous les discours, tout le temps. Les parties se disputeront sur le niveau d’examen qui s’applique dans ce cas : le gouvernement devra-t-il démontrer que la loi est substantiellement liée à un intérêt gouvernemental important (examen intermédiaire) ou devra-t-il démontrer que la loi est étroitement adaptée pour atteindre un intérêt gouvernemental impérieux (examen strict). Néanmoins, ce jargon juridique n’est qu’une gradation de la même question de base : était-ce vraiment nécessaire ?

TikTok et ByteDance ressortiront leurs quatre dernières années de communication avec le gouvernement américain pour affirmer que ce n’était pas le cas. Ils diront que le Projet Texas aurait fonctionné, qu’une loi nationale sur la confidentialité des données aurait fonctionné, qu’il y avait beaucoup de mesures plus concrètes que le Congrès aurait pu mettre en place, des mesures qui étaient plus ciblées sur leurs préoccupations réelles. Parce que le Congrès n’a pas pris ces mesures, TikTok et ByteDance affirment que les législateurs n’ont même pas essayé d’emprunter la voie la plus efficace.

Cependant, il est presque certain que le gouvernement américain a également accumulé des preuves. En 2020, TikTok et ByteDance ont fait échouer la première tentative du président américain Donald Trump d’interdire l’application, en partie en faisant valoir que tout avait été fait à la hâte. Par la suite, le gouvernement Biden a passé des années à négocier avec l’entreprise, s’intéressant au fonctionnement interne des systèmes de TikTok et de ByteDance. Ses agences ont également passé de nombreux mois à examiner les entreprises (le FBI et le département américain de la Justice dans le cadre d’une enquête criminelle et la Federal Trade Commission dans le cadre d’une enquête sur le fait que les entreprises ont induit les utilisateurs en erreur quant à l’accès à leurs données).

À l’instar de la tentative d’interdiction de Donald Trump, TikTok et ByteDance affirment que le PAFACA a été voté dans la précipitation, de sa conception en grande partie secrète au fait qu’elle a été rapidement votée puis annexée à un paquet d’aide à l’étranger, tout cela avant que les lobbyistes n’aient pu jouer leur rôle.

Même si le PAFACA a été voté dans la précipitation, le débat gouvernemental plus large sur TikTok ne l’a pas été. Des années de négociations avec le CFIUS et d’enquêtes ont alimenté les séances d’information à huis clos que les membres de la Chambre des représentants et du Sénat ont reçues avant de voter sur le projet de loi. Il faudra donc analyser des années de preuves des deux côtés lorsque les parties s’affronteront au cours du deuxième round.

 


À lire également : Interdiction de TikTok aux États-Unis : le « cauchemar » ne fait que commencer

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