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Loi Sapin 2 Et Délais De Paiement : Le Droit Peut-Il Aider A Mieux Faire Marcher l’Economie ?

Photo by A.v.Stocki/ullstein bild via Getty Images

Cet article à été co-écrit par Aude Kersulec

Les délais de paiement sont le nerf de la guerre, au cœur de la trésorerie des entreprises, et tout à la fois signe de confiance et de bonne marche de l’économie. Trop longs, ils bloquent les échanges et relations commerciales et nuisent à la rentabilité et la compétitivité des entreprises.

La loi de modernisation de l’économie (LME), menée en 2008 par le ministre Hervé Novelli, s’était déjà attaquée à ce fléau. Les délais de paiement avaient été plafonnés à 60 jours. La LME était-elle dépassée ou inefficace ? En tout cas, en 2016, le volet législatif relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin 2) opère un nouveau durcissement. Le caractère répressif est largement accru. En cas de retard de paiement, le plafond de l’amende administrative est porté à deux millions d’euros, contre 375 000 euros auparavant. S’inspirant du droit anglo-saxon et du principe du name and shame, l’amende sera systématiquement publiée : l’entreprise fautive est non seulement blâmée mais ses fournisseurs doivent le savoir.

L’enjeu est de taille. L’étude d’impact relative au projet de loi Sapin 2 révèle en effet qu’« un strict respect de la loi en matière de délais de paiement représenterait une source potentielle de près de 15 milliards d’euros pour les petites et moyennes entreprises (PME) et de près de 4 milliards d’euros pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ».

La nouvelle loi permettra-t-elle aux PME de reconquérir une partie au moins de cette trésorerie ?

 L’implication économique de la législation sur les délais de paiement

25% des faillites d’entreprises en France sont dues au non-respect des délais de paiement (5ème baromètre ARC-Ifop). Ces délais ont donc un impact considérable sur la viabilité même des entreprises. Selon Altares, la durée moyenne de retard d’un paiement est stratégique : à partir de 30 jours de retard la probabilité de défaillance est multipliée par six.

Le risque bien sûr est celui d’une propagation interentreprise, entrainant des défaillances en chaîne, susceptibles de déstabiliser une filière, un secteur voire le tissu  économique d’un territoire dans son ensemble. Les difficultés de trésorerie engendrées par les retards de paiement réduisent, en outre, la visibilité des entreprises sur leurs perspectives économiques, augmentent la défiance vis-à-vis d’autres investissements et participent au « renforcement d’incertitude qui peu[t] provoquer des attitudes attentistes dans la gestion » (rapport annuel 2015 de l’Observatoire des délais de paiement). Facteurs qui empêchent et retardent la participation et la contribution des entreprises à la reprise économique.

Le tissu des PME, et dans une moindre mesure des ETI, est particulièrement concerné, affecté par l’existence d’un rapport de force défavorable face à des grands clients dont elles sont dépendantes financièrement et commercialement.

D’où la nécessité de légiférer, mais aussi d’éduquer et d’informer. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, une direction de Bercy) et ses directions régionales et départementales sont au centre du dispositif. Elles contrôlent les entreprises et sanctionnent les manquements.

Les effets de 15 ans de législation …

Jusqu’en 2001, les délais de paiement entre entreprises étaient, pour l’essentiel, contractuels. A compter de 2001 et la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), un délai légal de paiement est institué (30 jours courant à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation). Celui-ci restait toutefois supplétif. Clients et fournisseurs pouvaient ainsi s’accorder sur des délais certes plus courts mais bien souvent plus longs.

La LME modifie donc le dispositif en profondeur. A compter du 1er janvier 2009, un délai légal de paiement s’applique, cette fois impératif. Le choc bénéfique pour la première année d’application est significatif : il a été estimé à plus de 9 milliards d’euros, au bénéfice principalement des PME (rapport annuel 2013 de l’Observatoire des délais de paiement). La LME a ainsi entrainé, malgré le retournement économique, « une nette amélioration du délai de paiement moyen entre 2008 et 2011, le délai fournisseur est passé de 59,2 jours à 51,7 jours et le délai clients de 51,4 jours à 43,7 jours. »

A compter de 2012, cette avancée s’essouffle en raison principalement, selon les études d’impact, de l’inefficacité du régime de sanction. Ce qui conduit le législateur à durcir une première fois les sanctions en 2014 : l’amende administrative est créée par la loi Hamon.

Cette pénalité financière réprime le non-respect des délais de paiement et, prononcée par la DGCCRF à laquelle le pouvoir de sanction est transféré, offre une réponse plus rapide et plus dissuasive aux manquements. Si son montant, plafonné à 375.000 euros est a priori dissuasif, deux écueils semblent l’avoir empêché de jouer pleinement son rôle. Une entreprise à l’origine de plusieurs de retards de paiement multiples et répétés ne peut se voir imposée qu’un montant cumulé d’amende de 375.000 euros. La décision de sanction, ensuite, n’est pas systématiquement publiée, voire très peu (six décisions en 2015 ; 22 décisions pour la période janvier-novembre 2016).

… se sont estompés et sont en trompe l’œil

Cette nouvelle sanction administrative a eu un effet relatif et n’a pas redonné son souffle initial à la LME. Selon le 5ème baromètre ARC-IFOP, les délais de paiement en 2015 se sont dégradés par rapport à 2014 pour les PME (retard moyen de 13,9 jours pour 2015 contre 10 en 2014), mais également pour les grandes entreprises (12,1 jours contre 8,2 en 2014).

Plus décevant sans doute, selon le rapport annuel 2015 de l’Observatoire des délais de paiement, « la baisse tendancielle des délais de paiement depuis 15 ans n’a pas contribué à alléger globalement la charge financière pesant sur les sociétés » dans la mesure où les délais de paiement des fournisseurs se sont réduits plus rapidement que les délais de paiement par les clients.

L’objectif initial de la loi d’alléger la contribution des PME au solde du crédit interentreprises et de leur permettre de reconstituer leur trésorerie n’est donc pas atteint. Le solde commercial (solde des créances clients et des dettes fournisseurs) des PME s’est ainsi accru entre 2010 et 2014 de 9,9 à 11,7 jours, dont notamment de 5,5 à 9,2 jours pour les entreprises les plus fragiles, les TPE.

 Qu’attendre donc du durcissement des sanctions ?

L’aggravation de la sanction administrative et le blâme public seront-ils efficaces pour corriger cette tendance ?

Les statistiques pour la période post 2014 conduisent à douter que l’accroissement du plafond de la sanction administrative constitue une réponse véritablement adéquate, surtout dans la mesure où les retards de paiement restent, en très grande majorité, la conséquence de ressources insuffisantes des clients (Payment Practice Barometer Western Europe 2016, Atradius).

La publication systématique des décisions d’amendes administratives et du nom de l’entreprise sanctionnée sur le site de la DGCCRF devrait, elle, avoir un effet vertueux et pédagogique. On pourrait envisager que les sociétés condamnées aient, dans certaines circonstances, l’obligation d’en faire mention dans leurs rapports annuels ou que la publicité donnée par la DGCCRF soit plus large qu’actuellement. Le respect des délais de paiement deviendrait, au même titre par exemple que le respect de la RSE, un vrai critère d’évaluation, comme pourrait l’être la signature de charte de bonne conduite en matière de délais de paiement.

Surtout, la résolution à l’amiable, encore trop méconnue, doit être davantage encouragée, afin de traiter le plus en amont possible les difficultés, par exemple, en instituant des mécanismes d’incitation voire en la rendant obligatoire dans certaines situations. La procédure pourrait être encore raccourcie. Le médiateur pourrait également disposer, outre de la faculté de résoudre un différend, d’une aide à la mise en place d’un financement temporaire pour répondre à un retard de paiement dans l’attente de sa résolution.

Enfin, au temps de la digitalisation massive, le recours à la facture électronique devrait continuer, d’être généralisé et encouragé, comme cela est le cas depuis 2013, afin de simplifier et d’accélérer les procédures de paiement.

Il reste que des voix s’élèvent pour demander un nouveau raccourcissement du délai impératif de paiement et la fin des dérogations qui seraient en partie responsables de la dégradation du solde commercial des PME. Le candidat républicain François Fillon s’était, en mars dernier, exprimé en faveur d’un délai unique et raccourci à 30 jours, sur le modèle allemand.

Une nouvelle LME en promesse de campagne ?

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