Aux États-Unis, les débats sur un crédit d’impôt fédéral crucial pour propulser le marché de l’hydrogène propre, associés aux inquiétudes concernant les coûts de production élevés, réduisent les espoirs à court terme pour ce combustible, considéré comme respectueux de l’environnement.
Un article de Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
L’hydrogène propre a été présenté comme un carburant neutre en carbone essentiel pour remédier à la crise climatique. Il permettrait d’assainir les industries polluantes telles que la production de produits chimiques et d’acier, constituerait une source de carburant propre pour les transports et aiderait les États-Unis à atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Mais les choses ne vont pas si bien que cela.
Après des années de battage médiatique, de collecte de fonds et de milliards de dollars d’aide fédérale pour faire décoller le marché de l’hydrogène vert, le pessimisme grandit quant à la rapidité avec laquelle ce carburant neutre en carbone peut monter en puissance. Frustrées par les lignes directrices proposées pour une incitation gouvernementale cruciale qu’elles jugent trop strictes, des entreprises telles qu’ExxonMobil et Plug Power menacent d’abandonner ou de retarder de grands projets liés à l’hydrogène.
« Il y a deux ans, on en parlait beaucoup. Le sujet suscitait un grand enthousiasme », a déclaré Raffi Garabedian, PDG d’Electric Hydrogen, à Forbes. « Ce qui s’est passé, c’est que les gens ont commencé à se rendre compte que ce dont je parlais depuis un moment – le rapport entre le battage médiatique et la réalité – ne se concrétisait pas. Je me demande bien pourquoi. Les gens ont commencé à se rendre compte que c’était vraiment difficile. »
L’hydrogène propre – en particulier celui qualifié de « vert », fabriqué à partir d’eau et d’électricité renouvelable – est au cœur de la stratégie du gouvernement Biden visant à réduire la pollution par le carbone. Mais les règles proposées pour un crédit d’impôt pouvant atteindre 3 dollars par kilogramme afin de compenser les coûts de production plus élevés du carburant favorisent les projets qui s’appuient sur de nouvelles sources d’énergie renouvelables (ou nucléaires), ce qui augmente considérablement le coût. M. Garabedian n’y voit pas d’inconvénient, mais certains concurrents estiment que cela maintiendra le prix de l’hydrogène vert à un niveau trop élevé. ExxonMobil exprime son mécontentement quant à la reconnaissance insuffisante de son approche consistant à produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel tout en capturant le CO2 avant qu’il ne soit rejeté dans l’atmosphère.
À l’instar d’autres technologies à faible teneur en carbone, telles que les panneaux solaires, les éoliennes et les batteries de voitures électriques, qui ont dû faire face à des coûts élevés au départ, l’hydrogène propre doit devenir moins cher pour être compétitif et avoir un impact. Mais il ne sera pas facile de parvenir à la parité des coûts avec l’hydrogène d’origine fossile, fabriqué à partir du gaz naturel, qui ne coûte que 1,06 dollar le kilogramme. L’hydrogène vert coûte environ quatre fois plus cher.
Le monde utilise environ 92 millions de tonnes d’hydrogène par an, principalement pour l’industrie lourde. D’ici à la fin de la décennie, Wood Mckenzie, chercheur dans le secteur, estime que la production d’hydrogène propre pourrait atteindre environ 14 millions de tonnes, alors qu’elle est pratiquement nulle aujourd’hui. Cette quantité marquerait le début d’une masse critique pour ce carburant. Cependant, c’est environ 1 million de tonnes de moins que ce qui avait été prévu à la fin de l’année 2023.
« Nous nous attendions à des retards, mais ils sont un peu plus importants que ce que nous et d’autres avions prévu », a déclaré Murray Douglas, vice-président pour la recherche sur l’hydrogène chez Wood Mackenzie à Édimbourg, en Écosse.
« Tout est en cause : le coût de la production d’énergie renouvelable, les règles, l’inflation générale des coûts dans tous les secteurs et le fait de convaincre les clients qu’ils devraient s’engager dès maintenant, plutôt que d’attendre que les coûts baissent », a-t-il déclaré. « Lorsque vous mettez tous ces éléments ensemble, vous commencez à avoir une vision plus baissière de 2030. »
Cela conduit certaines entreprises de combustibles fossiles à faire un tour d’honneur présomptif.
« Nous devrions abandonner le fantasme de l’élimination progressive du pétrole et du gaz, et plutôt investir dans ces secteurs de manière adéquate, en tenant compte de prévisions de demande réalistes », a déclaré Amin Nasser, PDG d’Aramco, la plus grande compagnie pétrolière au monde, lors de la conférence CERAWeek de S&P Global qui s’est tenue récemment à Houston, aux États-Unis. « Beaucoup d’entre nous disent depuis longtemps que le monde essaie d’opérer une transition dans le brouillard, sans boussole, sur une route incertaine et sans direction claire. »
Les détracteurs du crédit
Outre les jeunes pousses de l’hydrogène vert, les mesures d’incitation visant à accélérer le développement d’une industrie de l’hydrogène propre doivent contraindre les entreprises du secteur de l’énergie fossile, qui sont en grande partie responsables du problème climatique, à se joindre à l’effort. Or, le plan tel qu’il est proposé ne va pas dans ce sens.
Dans une lettre adressée aux régulateurs, la plus grande compagnie pétrolière américaine a déclaré qu’un projet à Baytown, au Texas, qu’elle présente comme la plus grande usine d’hydrogène à faible teneur en carbone du monde, est menacé par les règles de crédit proposées qui n’encouragent pas le captage et le stockage du carbone. Si elles ne sont pas modifiées, « le coût de l’hydrogène produit sera tel que le marché de l’hydrogène à faible teneur en carbone ne sera pas catalysé et que notre projet, et peut-être d’autres, ne verront pas le jour », a écrit Jim Chapman, vice-président d’ExxonMobil, dans la lettre.
Même Plug Power, l’un des premiers leaders dans le domaine de l’hydrogène vert, n’est pas satisfait de devoir utiliser de l’énergie provenant de sources nouvelles et propres pour bénéficier de l’intégralité du crédit d’impôt. L’entreprise a déclaré à Forbes qu’une usine d’hydrogène vert en Californie, destinée à produire 500 tonnes d’hydrogène sans carbone par jour, pourrait ne pas ouvrir l’année prochaine comme prévu en raison de la proposition de crédit d’impôt de 45 V et d’autres facteurs. (La première installation de ce type a ouvert ses portes en Géorgie cette année, l’électricité nécessaire à la production d’hydrogène provenant d’une nouvelle centrale nucléaire. Tout l’hydrogène qui y sera produit sera éligible au crédit d’impôt).
« Dans l’état actuel de la proposition, nous pensons que les États-Unis font maintenant un véritable pas en arrière par rapport à l’Europe en ce qui concerne l’hydrogène », a déclaré Andy Marsh, PDG de Plug, lors d’une interview en décembre 2023.
Une version finale des règles de crédit est attendue à la fin de l’année, probablement avant les élections américaines de novembre.
Un carburant onéreux
L’intérêt d’ExxonMobil pour la production d’hydrogène plus propre est compréhensible. Comme Aramco, elle utilise déjà d’énormes quantités d’hydrogène conventionnel et se classe parmi les plus grandes sources de pollution par le carbone au monde. Ce n’est pas une bonne nouvelle alors que l’aggravation de la crise climatique entraîne presque chaque semaine de nouveaux records de température sur terre et en mer.
Compte tenu de l’échelle mondiale de ses activités et de ses réserves de trésorerie de plus de 31 milliards de dollars (29,1 milliards d’euros), ExxonMobil est bien placé pour être un leader dans la capture et le stockage du CO2 issu de ses activités, en produisant ce que l’on appelle de l’hydrogène bleu. Cependant, le gouvernement Biden a décidé de ne pas récompenser cette approche.
Une étude de référence menée par Robert Howarth, un scientifique de Cornell, a montré que le captage et le stockage du carbone nécessitent beaucoup d’énergie et entraînent une pollution climatique encore plus importante que si le CO2 était simplement libéré dans l’air. Son empreinte en termes de gaz à effet de serre est également « supérieure de plus de 20 % à celle de la combustion de gaz naturel ou de charbon pour le chauffage et supérieure d’environ 60 % à celle de la combustion de gazole pour le chauffage », selon l’étude.
Contrairement aux carburants à base de pétrole, il n’existe pas de prix de marché pour l’hydrogène. Il est fourni directement par les producteurs aux consommateurs. Les gros utilisateurs, comme les raffineries de pétrole et les usines chimiques, l’obtiennent au prix le plus bas. Les autres paient beaucoup plus cher.
En Californie, seul marché américain pour les véhicules à hydrogène, la société First Element, soutenue par Toyota, exploite des dizaines de stations-service distribuant de l’hydrogène hautement comprimé au prix exorbitant de 36 dollars le kilogramme aux conducteurs de berlines Toyota Mirai et de SUV Hyundai Nexo. (Le prix est faussé par le fait que la plupart des propriétaires de véhicules à hydrogène reçoivent des cartes prépayées leur permettant d’avoir jusqu’à six ans de carburant gratuit).
Les prix sont un peu plus intéressants pour Foothill Transit, une agence de la région de Los Angeles qui possède une trentaine de bus à hydrogène et qui va en ajouter 20 autres. Elle a négocié avec un fournisseur d’hydrogène un tarif pluriannuel de 9,12 dollars le kilogramme, a déclaré le PDG de Foothill, Doran Barnes. « Et bien que les bus soient fiables, le coût de l’hydrogène est environ 2,5 fois plus élevé que celui du gaz naturel comprimé », a-t-il déclaré.
La demande énergétique
Il est compréhensible que l’énergie nécessaire à la production d’hydrogène vert provienne de nouvelles sources d’énergie propres. Le réseau électrique a déjà du mal à répondre à la demande croissante des centres de données gourmands en énergie, de l’industrie manufacturière américaine en plein essor et de la croissance des véhicules électriques qui doivent être rechargés.
« Si nous voulons augmenter la demande d’énergie en produisant de l’hydrogène par électrolyse, nous devons ajouter de nouvelles sources d’énergie propre pour y répondre », a déclaré Eric Guter, vice-président de la mobilité de l’hydrogène pour Air Products, le plus grand fournisseur de gaz au monde. « Sinon, nous allons exacerber le problème des émissions sur le dos des contribuables, ce qui détruira les perspectives à long terme d’un marché viable de l’hydrogène propre. »
Air Products prévoit plusieurs projets d’hydrogène vert à grande échelle qui ouvriront dans le courant de la décennie – dont un en Arabie saoudite, pays riche en pétrole – et soutient les règles proposées en matière de crédit d’impôt. Il en va de même pour Electric Hydrogen, qui développe des usines d’hydrogène vert à grande échelle. Cofondée par deux vétérans de l’industrie solaire, l’entreprise de Boston a pour projet d’implanter ses activités liées à l’hydrogène à proximité de nouveaux projets éoliens ou solaires, avec comme objectif idéal de fonctionner de manière autonome, sans connexion au réseau électrique traditionnel. Elle a levé plus de 600 millions de dollars (563 millions d’euros) auprès d’investisseurs tels que Breakthrough Energy Ventures de Bill Gates, Energy Impact Partners, BP Ventures et Amazon.
L’entreprise souhaite livrer sa première usine d’hydrogène vert à l’échelle commerciale à la fin de l’année à New Fortress Energy, une entreprise du milliardaire Wes Edens. New Fortress a l’intention de vendre le carburant qu’elle produit à un producteur d’ammoniac. Alimentée par 100 mégawatts d’électricité, l’usine pourra produire jusqu’à 45 tonnes de carburant par jour.
Selon M. Garabedian, un autre marché précoce pour l’hydrogène vert pourrait être celui du carburant durable d’aviation, car les réglementations européennes obligent les compagnies aériennes à utiliser davantage de carburants à faible teneur en carbone. Mais alors que l’entreprise s’efforce de trouver des clients, il est conscient du défi qui l’attend.
« Nous rivalisons avec un héritage de 100 ans de subventions mondiales, de conflits, de sacrifices et d’investissements massifs qui ont façonné le pétrole et le gaz tels que nous les connaissons aujourd’hui. Et c’est toujours l’industrie la plus subventionnée au monde, à l’exception de l’armée », a-t-il déclaré. « Essayer de rivaliser avec cela sur la base des coûts, c’est insensé. »
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