Lorsque l’on parle de l’enseignement supérieur, il faut parler de ce dont on ne parle pas, l’ahurissant échec des étudiants en licence. Résoudre cet échec, humain, financier, indigne à l’échelle de la France, devra être au centre des priorités de celui ou de celle qui portera la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le prochain gouvernement.
Echec humain : moins de 40% des étudiants réussissent leur première année en licence. Un quart redouble, un tiers ne se réinscrit pas à l’université. « Seul un gros quart des étudiants en première année à l’université seront diplômés d’une licence trois ans plus tard » (Camille Stromboni, EducPros.fr, 20.08.2015). Echec humain, mais aussi échec financier. Pour rappel, le coût moyen d’un étudiant en France à l’université est de 13 873 euros par an dont 80 % d’origine publique. Soit, à la charge de l’État, un peu plus de 11 000 euros par étudiant par an (lemonde.fr, 24.02.2016).
Même si, comme je l’écrivais dans « Mes propositions pour l’enseignement supérieur » : « l’enseignement supérieur, sans être le parent pauvre de la campagne pour les présidentielles, est peu mis en avant. La faute au principe de réalité de la Realpolitik […] d’autres sujets focalisent l’attention des électeurs et donc des politiques […] »(1), aborder le sujet serait déjà un progrès.
Bien sûr, beaucoup d’efforts doivent être portés au primaire. Et si nous n’avions droit qu’à une priorité, elle serait là, d’évidence !
J’en suis d’ailleurs le plus fervent défenseur. Pour des raisons objectives : faire que les élèves sachent lire, écrire et compter en arrivant en 6e ; mettre en place des cours de soutien pour les élèves en difficulté ; abaisser le nombre d’élèves en classe de CP et de CE1 à 20 par classe puis 25 ensuite, ce qui veut dire recruter de façon conséquente ; etc. Peut-être aussi, parce que l’école de la République que je vante aujourd’hui, n’a plus voulu de moi à la fin de mon CM2 (on disait alors la 7e ; il faudra la main tendue d’un établissement appartenant aux apprentis d’Auteuil pour que je reprenne vie). Enfin, et ce n’est pas anodin, parce que j’ai commencé ma carrière comme instituteur (on ne disait pas encore professeur des écoles), d’abord de CE2 puis de CP.
Dans le même temps, si nous avions droit à d’autres priorités, l’une d’elles serait, d’évidence aussi, pour l’enseignement supérieur.
Là aussi, des efforts colossaux doivent être faits. Et tout particulièrement, pour mettre fin à cet échec dramatique des trois premières années.
Pour réussir, il me semble qu’il faut le faire très différemment de ce qui est proposé lorsque qu’il arrive — car cela arrive tout de même — que l’on parle de ce sujet. Trop souvent en effet, la réponse donnée se cristallise, voire se crispe, sur un « plus d’effectifs » (enseignants, administration, équipes supports, etc.). Je ne suis pas contre les recrutements. À commencer comme on l’a vu pour le primaire où l’on tient là une voie décisive pour améliorer les enseignements et la réussite des élèves. Je suis en revanche plus circonspect si l’on veut là résoudre le problème de nos licences.
Non, s’attaquer, car c’est bien de cela qu’il s’agit, à l’échec insupportable en licence, exige de penser autrement.
Tout d’abord, et je reprends là partie de « Mes propositions pour l’enseignement supérieur », poser ce que j’ai appelé la centralité du désir.
« Partir du désir […] des étudiants et futurs étudiants. Quelle serait la profession de mes rêves ? Quel domaine me donnerait envie d’aimer et de créer ? Quel métier ai-je envie d’exercer ? »(1)
De là deux propositions :
« 1ère proposition : travailler pour que chaque étudiant puisse s’inscrire et suivre la filière qu’il pense la plus adaptée pour exercer le métier de son choix.
2ème proposition : travailler pour mettre en place les conditions équitables de réussite pour toutes et tous.
Pour premier train de mesures :
- Travailler à l’émergence du désir professionnel. Et ce, dès le secondaire.
- Supprimer tout tirage au sort pour décider de l’inscription d’un(e) étudiant(e) dans une formation.
Ne pas le faire, poursuivre cette abomination qui tue le désir chez une partie des futurs étudiant(e)s serait, pour un État, un crime contre sa jeunesse !
[D’autre part], et alors seulement, mettre en place les mesures — celles-ci plus classiques, dont plusieurs font ban d’accord entre les candidats (aux formulations près) ; j’y inclus les propositions fécondes de la Conférence des grandes écoles — qui vont permettre une meilleure efficacité, accroître la compétitivité des universités et grandes écoles, mais aussi l’excellence de nos enseignants-chercheurs, notre attractivité pour faire venir davantage d’étudiants étrangers, etc. Jusque, naturellement, aux questions de budget. »(1)
Enfin, mais aussi dans le même temps, et c’est là le thème de mon propos, reprendre la proposition de Benoît Hamon sur le Revenu Universel d’Existence (RUE).
À tout le moins, pour les étudiants et pour une durée que je limite à 3 ans pour les trois premières années de l’enseignement supérieur (cf. ci-dessous).
Il me semble en effet, parmi certes beaucoup de scories de son programme pour les présidentielles, qu’il y à là une pépite. Car si l’on regarde les causes d’échec des étudiants, beaucoup de celles-ci sont imputables au fait que les étudiants ne sont pas dans de bonnes conditions pour réussir. Je ne parle pas des conditions de travail, mais du fait que beaucoup d’étudiants, pour étudier, doivent pour vivre, et donc en plus de leurs études, travailler. Évidence toujours, par le temps passé, par l’énergie dépensée, par les soucis de lendemains jamais assurés, par la fatigue accumulée, ils mettent leurs études en péril.
Le coût de cette mesure de 600 euros par mois par étudiant pendant trois ans, pour les trois premières années de l’enseignement supérieur, demanderait à être évaluée. Ce n’est pas le plus difficile. Ce coût serait comblé pour partie car il permettrait, associé aux propositions que je porte pour l’enseignement supérieur, d’ambitionner de multiplier par au moins trois — et ainsi de passer de 25% à 75% de réussite — le nombre d’étudiants en première année à l’université diplômés d’une licence trois ans plus tard.
Surtout, le retour sur investissement pour la Nation serait absolument incroyable.
Une Nation riche de centaines de milliers d’étudiants qui ont réussi leurs études, et non une Nation pauvre de milliers d’échecs. Car si l’échec est une chose qui réfère à un instant t, les conséquences, elles, peuvent pesées toute une vie. En quelque sorte, le RUE pour ne pas être à la rue du système éducatif.
Note :
(1) L. Roche, LinkedIn, « Présidentielle, mes propositions pour l’enseignement supérieur : Centralité du désir et équité des chances », 18 mars 2017.
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