Une France « libre » et « prospère », deux qualificatifs qu’emploie Marine Le Pen pour appuyer un « protectionnisme intelligent ». La candidate du Front national espère être portée par l’élan protectionniste qui a amené la victoire de Donald Trump. Et à l’heure des cent jours de mandat de ce dernier, on s’aperçoit que les illusions de campagnes d’un protectionnisme affiché ne collent pas toujours au champ des possibles.
L’emploi, première préoccupation des Français, est dressé en objectif premier du programme de Marine Le Pen. D’ailleurs, le diagnostic que porte la candidate sur la situation économique part de constats concrets, remontant tout droit du terrain. Trop de réglementation européenne, une désindustrialisation massive, une fraude fiscale et sociale importante ou encore le gouffre du déficit commercial, montrant que l’on consomme beaucoup plus de biens venant de l’extérieur que l’on en produit…
Un protectionnisme français en trois actes
Pour les réponses, Marine Le Pen déroule un arsenal protectionniste en trois actes, espérant trouver, comme Donald Trump, le soutien des classes les plus modestes. Au risque aussi d’être confrontée aux mêmes réalités de mondialisation et d’interconnexion des marchés.
En commençant par un protectionnisme fiscal, Marine Le Pen avance des propositions déjà entendues du côté de l’élection américaine, à l’instar d’une taxation sur les entreprises qui choisiraient de délocaliser leur production. Sont ajoutées une taxation des travailleurs étrangers détachés en France, estimée à 10% du salaire, ainsi qu’une autre sur les produits importés, à hauteur de 3% de la valeur du bien. Des mesures contraignantes certes, mais aussi simplement interdites par les accords de libre-échange, dans le cadre de l’Union Européenne et de l’OMC.
Economiquement, ces nouvelles taxes ne sont pas sans conséquence. Une étude de Moody’s Analytics prévoit que « pendant le mandat de Donald Trump, le revenu des ménages américains va stagner sous le poids de l’inflation et qu’il y aura 3,5 millions d’emplois en moins ». Le président américain réalise déjà que le surcoût provoqué par le maintien de certains sites de production aux USA ou le coût de cette nouvelle taxe aux frontières seront en fait directement supportés par les consommateurs.
La seconde phase est la mise en place d’un protectionnisme commercial. Dans le programme de la candidate est évoquée l’envie « de se libérer des contraintes européennes ». Si la proposition de sortie de l’Union européenne serait soumise à référendum, elle est néanmoins nécessaire pour l’application d’autres points du programme. Celui notamment de l’Etat, tenu de choisir exclusivement des entreprises françaises lors de marchés publics.
Un protectionnisme inapplicable à la chaîne de production telle qu’on la connaît aujourd’hui, extrêmement fragmentée entre les pays, explique Patrick Artus, directeur de la Recherche chez Natixis : « 75 % du commerce mondial repose sur des morceaux de produits, et non sur des produits entiers. Si vous taxez, ces morceaux deviennent plus chers. Alors que ce sont des produits dont les entreprises françaises ont besoin ».
Attention également aux effets pervers, car la commande publique directement attribuée à des entreprises françaises porterait un coup trop sérieux aux entreprises françaises. Selon Sébastien Jean, directeur du CEPII, « restreindre l’accès à nos marchés les aiderait un peu en France mais les exposerait grandement à des mesures de rétorsion dans les autres pays. ». En plus de restrictions à l’accès de marchés étrangers, la double peine serait d’avoir une faible concurrence des entreprises entre elles, et donc des efforts moindres en termes d’innovation ou de prix.
Du côté américain, on est déjà à l’heure du protectionnisme commercial refoulé. Donald Trump voulait remettre en cause l’ALENA, l’association de libre échange nord-américain. Mais il sait qu’il aura besoin de l’accord de son Congrès pour obtenir le retrait des Etats-Unis, chose difficile car celui-ci l’a déjà désavoué à plusieurs reprises. Idem avec la Chine, où il préfère aujourd’hui les relations cordiales aux menaces de la campagne.
Dernier acte: le protectionnisme monétaire et le retour au franc, largement compromis depuis le ralliement de Nicolas Dupont-Aignant et le flou que sa proposition de cohabitation de monnaies laisse planer. Le franc qui ne pourrait être qu’une monnaie faible, selon Marc Touati, économiste, expliquant qu’il existe « une demande mondiale pour le dollar ou pour l’euro, pas pour le franc. Une nouvelle monnaie sans activité autour d’elle ne créerait que de l’inflation. D’où une baisse de pouvoir d’achat pour les Français ».
Outre-Atlantique, là encore où Donald Trump était très virulent à l’égard de la Réserve fédérale et de sa présidente en critiquant la politique de maintien de taux bas, le président américain semble maintenant accepter l’indépendance de la banque centrale, ayant même déclaré qu’il pourrait reconduire Mme Yellen à la tête de la Fed.
Le désaveu des grands du monde économique
Le programme du Front national a été fustigé dans une tribune commune écrite par 25 Prix Nobel d’économie. Les intellectuels prennent clairement position contre le protectionnisme au niveau mondial : » les politiques isolationnistes et protectionnistes sont de dangereux moyens d’essayer de générer de la croissance. Au final, elles se révéleront préjudiciables à la France ainsi qu’à ses partenaires commerciaux « . Portant un constat cinglant sur l’inadéquation d’un système protectionniste à l’économie française, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008, rajoute que « la France n’est pas assez grande pour prospérer avec des politiques économiques centrées sur elle-même, nationalistes ».
Le territoire des possibles n’est pas aussi vaste que les promesses que des candidats peuvent faire au moment d’élections. Marine Le Pen oublie le jeu de vases communicants que peut être l’économie. Les conséquences du protectionnisme seraient nombreuses pour les acteurs nationaux privés d’international ou pour les consommateurs obligés de supporter les hausses de prix et destructions d’emplois. Et le problème n’aura été qu’amplifié au lieu d’être résolu.
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