Consultant en lobbying, Fred Guillo vient de publier une étude sur les caractéristiques types des cabinets de conseil en lobbying français. Ce diplômé de l’IEP de Toulouse (2016), et secrétaire général des jeunes lobbyistes s’est appuyé sur les données de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il revient pour Forbes France sur les résultats de son étude.
Forbes France : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette étude ?
Fred Guillo : Premièrement, par curiosité intellectuelle. J’ai eu l’occasion de discuter avec beaucoup de personnes du milieu, et chacun a son avis sur le marché, sa composition, ses pratiques. Grâce aux données qui sont fournies par la HATVP, il est possible de répondre à certaines questions quantitatives sur ce métier de conseil en lobbying : combien de cabinets, combien de représentants d’intérêt, quelle répartition femme / homme, quels secteurs d’activités, quelles dépenses… ? Les données sont là, il suffit de les exploiter. L’étude quantitative ne répond pas à toutes les questions, mais permet déjà de donner un premier cadrage.
Deuxièmement, par souci de transparence. Le métier est souvent l’objet de craintes, de suspicions, de caricatures. Je ne nie pas les dérives qui ont pu jeter le discrédit sur la profession. Mais l’image du lobbyiste (plus communément appelé représentant d’intérêt, dans notre milieu) est très éloigné de la réalité du métier, en tout cas tel que je l’exerce. Tel que l’exercent la plupart des personnes que je rencontre, que je côtoie. En introduisant une vraie transparence sur le métier, on participe à sa meilleure compréhension, donc à l’amélioration de son image.
Enfin, parce qu’elle n’avait à ma connaissance pas de précédent, et que je trouvais utile d’explorer cette voie. J’ai souhaité innover.
Quel serait le portrait-robot du cabinet de lobbying à la française ?
Le cabinet de lobbying français est parisien, masculin, principalement tourné vers le privé. Les associations et ONGs ne représentent qu’une faible part (autour de 8%) des structures accompagnées, alors que les sociétés forment le plus gros contingent d’organisations clientes des cabinets (près de 62%). Ce qui s’explique, à mon avis, plus par la culture militante (qui recourt au bénévolat), et par les moyens plus limités des associations ou ONGs. Il est aussi relativement petit : 8% seulement des cabinets emploient plus que 10 représentants d’intérêts. Si ce sont les grands noms qui attirent le plus l’attention, les petits cabinets forment la majorité des cabinets de conseil. Enfin, il est tourné principalement vers quelques grands secteurs, qui drainent le plus d’activités : l’environnement, la santé, l’agriculture, l’économie et l’énergie.
Ce sont souvent des petites structures, bien loin de l’idée qu’on peut se faire des grosses machines : qu’est ce qui explique ces petites tailles ?
Lorsqu’on pense au lobbying, on pense souvent aux très grandes entreprises, qui pèsent de tout leur poids sur la décision publique, et finissent pas influencer les gouvernement. Dans le conseil, c’est différent, puisque les cabinets fonctionnent souvent avec une petite équipe autour d’un ou deux associés, qui disposent de l’expérience suffisante et parfois d’un réseau politique. L’étude ne permet pas de répondre à cette question, mais on peut supposer que le morcellement du marché de conseil en lobbying est dû à sa faible ancienneté (il existe grosso modo depuis 35 ans en France), à son degré moindre de maturité par rapport à des marchés comme Bruxelles ou Washington, ou encore au fait que le modèle économique des cabinets incite à créer sa propre structure, à se « mettre à son compte ».
Pouvez vous préciser la fonction des « représentants d’intérêt » et donner des exemples concrets de ce que ces gens réalisent chaque jour ? En somme : qu’entend-on par « lobbying » exactement ?
Représentant d’intérêt est en effet l’autre nom du lobbyiste, le nom « officiel », celui qui est évoqué dans les textes de loi et les règlements. Concrètement, il n’y a pas de différence d’activité entre lobbyiste et représentant d’intérêt. Représentant d’intérêt est simplement une expression plus policée permettant de décrire notre activité. Le lobbying, dans le conseil, est plutôt simple : nous accompagnons nos clients dans leurs démarches de relation avec les pouvoirs publics. Nous surveillons pour eux les textes règlementaires ou législatifs en cours de rédaction (projets de décrets, feuilles de route, projets de loi…), leur faisons des recommandations sur les actions à mettre en œuvre pour que leurs intérêts soient bien représentés (organisation de rendez-vous ou d’événements, rédaction de notes argumentaires, proposition d’amendements…), puis les aidons parfois à les mettre en œuvre. Le lobbying est un travail à mi-chemin entre le juridique et la communication. Notre matière, c’est le droit, la décision politique (plus rarement la réputation d’une entreprise). Notre vecteur, c’est la communication d’idées ou d’arguments, aux responsables politiques (au gouvernement, au Parlement…). On est donc bien loin de l’image d’une pratique feutrée, qui se pratique à coup de pots-de-vin. Le lobbying, dans la très grande majorité des cas, est une activité absolument légale, qui tend à devenir de plus en plus transparente, et qui se pratique par tout type d’organisations (les cabinets de conseil, bien sûr, mais aussi les entreprises, les syndicats, les associations…).
Les entreprises sont les organisations qui demandent le plus l’aide des cabinets bien loin devant les ONG et associations : faire appel à ce genre de cabinets est-il en train de s’imposer dans le fonctionnement de l’ensemble des entreprises ?
Les entreprises comprennent qu’elles ont tout intérêt à avoir recours à un cabinet pour défendre au mieux leurs intérêts, et protéger donc leurs modèles économiques. Lorsqu’on a recours à des experts qui analysent en amont les sujets de société, qui décryptent l’actualité, les programmes, et qui font les bonnes recommandations dans le bon pas de temps, il est généralement possible d’éviter des catastrophes, de construire un avenir solide, en accompagnant les évolutions. En tant que consultant dans un cabinet, je peux le dire : aujourd’hui, tant les grands groupes que les ETI / PME, que les start-ups, ont recours à des cabinets de conseil en lobbying. Ce n’est pas surprenant côté grands groupes, mais ça l’est plus pour les petites entreprises, qui n’ont pas forcément les moyens. Il arrive que des start-ups sollicitent un consultant en affaires publiques, parce qu’elles ont identifié un frein règlementaire ou législatif qui empêchent leur développement. En 3, 6, 9 mois, il est parfois possible de rencontrer les dirigeants et de débloquer une situation.
Les questions environnementales sont les principaux enjeux sur lesquels travaillent ces cabinets : quelles conclusions en tirer ? Que les entreprises font tout pour « verdir » leur image ou pour limiter l’impact des politiques publiques environnementales sur leurs activités ?
Je pense que la première conclusion est que l’environnement est l’une des préoccupations principales des Français, l’un des sujets qui irrigue toute politique publique en ce moment, et qu’elle fait donc l’objet de beaucoup de décisions publiques. Ces trois dernières années, on a eu une loi agricole, une loi sur les transports, une loi sur l’énergie et une loi sur l’économie circulaire, chacune avec un gros volet environnemental. Il n’est donc pas surprenant que les organisations sollicitent davantage les cabinets de conseil sur ces sujets. Au-delà de « verdir » leur image, qui selon moi procède plutôt de la communication institutionnelle (ou corporate), je pense que les entreprises cherchent à s’intégrer dans les transitions en cours, en demandant toutefois au gouvernement de respecter un principe de réalité. On ne peut pas tout faire, tout de suite. Des négociations doivent donc avoir lieu pour trouver le bon niveau, ajuster le curseur. C’est l’objet du lobbying et de la représentation d’intérêts.
Les enjeux de santé et de sécurité sociale sont aussi au coeur des activités de ces cabinets : qu’est ce que cela signifie concrètement ?
La santé est, quelle que soit l’époque, l’une des politiques publiques les plus importantes de l’Etat. Mais en ce moment, les enjeux de santé et de sécurité sociale sont encore mieux compris par les Français, sont placés en haut des priorités. Il n’est donc là non plus pas étonnant de les voir figurer en tête des activités des représentants d’intérêts en cabinet.
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