La précampagne pour la présidentielle tourne à la pagaille. Entre les projets et des idées, à droite comme à gauche, il va falloir mettre de l’ordre.
Pour le monde des affaires, la campagne présidentielle démarre très mal en ce qui concerne les projets et les programmes. Les deux hommes qui paraissent pouvoir passer en tête leur ont paru nouveaux, modernes et sérieux : la victoire de François Fillon à droite a été une surprise totale mais dont tout le monde, à droite, s’est félicité. La montée en puissance d’Emmanuel Macron a été une surprise totale pour la gauche, mais beaucoup à gauche et au centre s’en sont félicités.
Les deux candidats ont beaucoup de points communs. Ils sont théoriquement hors système dans la mesure où ils n’ont pas été sponsorisés par un appareil de parti. Les républicains avaient été préemptés par Nicolas Sarkozy, et le Parti Socialiste n’était pas prêt à aider Emmanuel Macron. Il ne l’est pas encore, mais pour beaucoup de cadres du parti, ils n’auront pas le choix s’ils veulent sauver leur job.
Bref, les deux candidats hors système des partis avaient en plus le bon goût de tenir des propos assez transgressifs par rapport à leur famille politique d’origine.
Ils parlent de modernité, de révolution digitale, d’Europe, d’ouverture mondiale … etc. Bref, ils estiment que le progrès technologique est facteur de progrès en général et qu’il faut le protéger y compris et surtout quand ce progrès est combattu par des conservateurs porteurs de petits privilèges sociaux ou financiers.
Tous les deux enfin défendent une société fondée sur la liberté individuelle et cette liberté est le produit du travail individuel.
Cette idée-là n’est pas défendue par le plus grand nombre. Qu’on le veuille ou non, une large part de l’opinion publique française considère que l’objectif est de s’inscrire dans une logique de plaisir et de consommation sans prendre en considération la façon dont les biens de consommation ont été produits et par qui. On perçoit un revenu et on le consomme.
D’un côté, il y a donc la liberté du travail avec les revenus du travail correspondant. De l’autre il y a à défendre le droit de consommer selon ses besoins sans se préoccuper de la production des ressources. D’où la pression sur la protection des revenus de redistribution.
Emmanuel Macron et François Fillon ont donc rassemblé ceux qui, à droite comme à gauche, croient à la valeur travail, à la liberté individuelle et à la nécessité de respecter les grands équilibres financiers faute de quoi, la liberté serait hypothéquée dans son exercice.
Leur problème c’est qu’avec un tel idéal, ils ne rassemblent pas assez d’électeurs chacun de leur côté pour garantir leur accession au deuxième tour de la présidentielle. Ils ont contre eux tous les radicaux d’extrême droite et d’extrême gauche et tous ceux qui hésitent par frilosité devant la modernité et le risque.
Emmanuel Macron doit rassembler à gauche et au centre… François Fillon doit ratisser au-delà de ceux qui ont voté pour lui à la primaire.
Pour l’un comme pour l’autre, l’exercice le plus difficile est à venir. Il leur faut convaincre au-delà du cercle de leurs fidèles sans pour autant abandonner leur cœur de cible comme disent les chefs d’entreprise.
Le chef d’entreprise a un cœur de clientèle, s’il veut faire de la croissance il doit proposer une offre qui aille au-delà de son cœur de clientèle sans pour autant dénaturer son produit.
François Fillon a été élu à la primaire avec un projet clair, faire repartir la machine économique « France ». Pour se faire, il doit demander un certain nombre d’efforts sur les conditions de travail, le modèle social. Ces efforts lui valent aujourd’hui des attaques de l’opposition mais aussi de sa propre famille qui lui reprochent tous d’aller trop vite et trop loin.
Emmanuel Macron a rencontré le succès en offrant un discours d’ouverture sur le travail, la concurrence, la modernité digitale, la flexibilité du travail etc.., mais pour élargir son audience, il doit donner des gages à ceux qui à gauche, le regarde comme un recours possible face au conservatisme de l’appareil socialiste.
La question qui se pose à lui, est la même qu’à François Fillon. Comment drainer des soutiens sans édulcorer son projet initial.
Les milieux d’affaires sont donc très attentifs à ce qui va se passer dans les six mois à venir. Ils connaissent les codes d’une campagne électorale. Ils savent que pour convaincre, il faut parfois flirter avec la démagogie. Mais ils savent aussi que certaines promesses irréalisables peuvent paralyser l’action. Les promesses c’est comme l’impôt. Trop d’impôt tue l’impôt. Trop de promesses, tuent le projet.
Les milieux d’affaires qui appartiennent à des think tank divers et variés ou à des organisations professionnelles, ont retenu 5 dossiers sur lesquels les candidats n’ont pas intérêt à trop déraper par rapport à la ligne stratégique qu’ils se sont fixés.
1e dossier : le modèle social. Toutes les études (de droite comme de gauche) depuis vingt ans dénoncent les risques de faillite compte tenu de l’évolution démographique qui pèse sur la retraite et sur la santé, compte tenu aussi du progrès technologique. La promesse politique de préserver le modèle en l’état ne serait pas responsable. Il faut urgemment expliquer la nécessite de reformer le financement. Transférer une partie de ce qui relève de la solidarité (l’impôt) à un système géré selon les principes de l’assurance. Faute d’avoir expliqué cette mutation, François Fillon s’est pris les pieds dans le tapis de l’assurance maladie. On peut très bien maintenir la même couverture de risques avec des financements différents.
2e dossier : le droit du travail. La question que les mutations modernes posent n’est pas celle de la durée du travail, mais de la flexibilité du travail. La promesse politique qui garantirait que la durée du travail et la règlementation du travail seraient nationales ne serait pas responsable. Il faut urgemment faire descendre la négociation, la fixation des règlementations et des contrôles, au niveau de l’entreprise (ou de la branche). Ce que les syndicats appelaient au moment de la loi El Khomri la hiérarchie des normes.
3e dossier : la politique fiscale. La promesse qui revient à dire que l’on peut tout payer par l’impôt ou par la cotisation serait irresponsable. Trop d’impôts, tue l’impôt et surtout asphyxie l’activité. Trop d’impôts sur les riches les expulsent vers des pays à fiscalité plus light et fabriquent des pauvres. L’urgence française est de retrouver de la compétitivité coût sur le travail et de relancer les investissements. Pour se faire, il faut alléger les charges sur salaires et alléger l’impôt sur le capital investi ou pas. Cependant, à niveau de dépenses publiques inchangées, il faudra compenser le manque à gagner sur les charges et sur l’impôt capital par une majoration soit de la CSG, soit de la TVA. Peut-être une majoration des deux. La répartition de l’effort entre la TVA et la CSG relève de la cuisine politique dont l’importance est assez secondaire.
4e dossier : La politique budgétaire. La gestion du budget n’a jamais été neutre. Les hommes politiques ont toujours utilisé le budget à des fins beaucoup plus larges que ce pourquoi, il était prévu. Le budget sert à gérer les ressources et les dépenses publiques. Si on veut lui donner une fonction économique, il faut l’utiliser là où l’action de l’Etat est strictement nécessaire. Par exemple, dans le financement des infrastructures à très long terme. Le déficit budgétaire n’est acceptable que si, et seulement si, il ne sert à financer que des dépenses d’équipement.
5e dossier : La politique industrielle. Tous les candidats ont en projet de reconstituer l’appareil industriel, reconstruire des usines détruites par la mondialisation. A la limite, la politique industrielle s’accommoderait bien chez certains de protectionnisme. Le made in France est à la mode pendant cette campagne. La promesse du made in France généralisé est irresponsable. Les milieux d’affaires ne supportent pas le protectionnisme ou du moins, pas plus de protectionnisme que dans les grands pays occidentaux, aux Etats-Unis par exemple. Donc, les milieux d’affaires défendront bec et ongle le libre-échange, mais ils accepteront des moyens de contrôle sur le respect des règles et des normes. Réalistes mais pas naïfs.
Beaucoup s’étonneront que l’emploi ne soit pas un objectif prioritaire. Les chefs d’entreprise considèrent l’emploi comme la résultante de l’activité économique et de la croissance. L’objectif est de faire de la croissance ? Cette croissance dépend de la capacité de l’entreprise à innover et à offrir une palette de produits et de services, elle dépend aussi de l’écosystème fiscal et administratif que l’Etat est capable de mettre en place. Donc l’emploi dépend du pragmatisme avec lequel sont gérés les dossiers clefs.
Beaucoup s’étonneront enfin que l’Europe ne soit pas un horizon prioritaire pour les chefs d’entreprise. Là encore, l’Europe est un moyen incontournable pour fabriquer l’avenir et le développement. L’Europe dépend évidemment de la volonté politique.
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